Algérie

GaelBaryin. Auteur : le bonheur d'une libération se ternissait d'horreur... Culture : les autres articles



GaelBaryin. Auteur : le bonheur d'une libération se ternissait d'horreur... Culture : les autres articles
L'auteur, kidalien d'adoption, bousculé par la déferlante médiatique et politique autour de la guerre au Mali, décide de mettre à plat ce qu'il sait, ce qu'il a vécu sur place durant des décennies dans ce Nord meurtri aux côtés de ses amis. Dans les mâchoires du chacal, mes amis Touaregs en guerre au Nord-Mali*est un texte poétique et politique fort qui éclaire de manière inédite sur la situation au sud de nos frontières.
-D'abord, pourquoi avoir écrit ce livre qui semble avoir jailli de vous-même, comme une urgence '
Parce que c'était une urgence, justement. Mi-janvier la «guerre du Mali» éclatait, et partout dans les médias - du moins ici en France - on me parlait d'un pays et de gens que je connaissais bien, mais que pourtant je ne reconnaissais pas à travers ce qu'on me présentait. Des experts se succédaient sur les plateaux de télévision ou publiaient des analyses dans les journaux, mais tous me racontaient un Nord-Mali presque irréel, comme fabriqué de toute pièce, qui ressemblait finalement beaucoup plus à leurs propres désirs qu'à la réalité de ce pays...
La région dont ils parlaient, les gens qu'ils décrivaient, la situation qu'ils expliquaient, rien ne correspondait à ce que j'en connaissais : on m'expliquait qu'untel était comme ci ou comme ça, qu'à tel endroit il s'était passé ceci ou cela, mais tout cela était le plus souvent réinterprété, déformé, ou parfois même complètement inventé. Je me sentais impuissant devant ce déferlement de propos souvent volontairement trompeurs. Seul, on ne peut rien contre des armées déchaînant toutes leurs puissances de feu, ni contre des machines qui produisent autant de désinformation à toute vitesse. Restait l'arme des mots. Essayer de dire les choses, de raconter comment, d'expliquer pourquoi. J'ai donc commencé, dès le premier jour des combats, à écrire ce pays, son histoire, à parler beaucoup de mes amis et un peu de ma propre histoire liée à cette région désertique depuis si longtemps. Un éditeur a été informé par un ami commun de ce travail d'écriture. Il m'a contacté quelques jours plus tard pour me proposer d'en faire un livre.
-Que ressentiez-vous lorsque vous l'écriviez sachant qu'en parallèle les événements s'accéléraient sur le terrain '
C'était une situation invraisemblable ! Comme je l'ai dit juste avant, des informations et des rumeurs de toutes sortes circulaient à toute vitesse sur les ondes, sur le web, sur les réseaux sociaux. J'étais dans la solitude du texte, dans le moment de l'écriture où l'on cherche en soi-même à exprimer des ressentis, à formuler les choses le plus justement possible, à chercher derrière chaque mot quelle puissance et quelle responsabilité il porte, et pendant ce temps-là, ici, d'autres mots, souvent très violents, s'empilaient les uns sur les autres, de plus en plus vite, de plus en plus durement, et que là-bas des tonnes de bombes tombaient sur ce pays encore une fois meurtri.
Les horreurs de la guerre. Très vite, les communications avec le nord du Mali sont devenues très difficiles, les réseaux téléphoniques ont été coupés, l'internet ne marchait plus. Heureusement il restait les Thuraya, les téléphones satellitaires, pour se parler, pour garder un lien d'humanité entre nous. Tandis que les médias se remplissaient chaque jour un peu plus de noms que je connaissais trop bien, et que les images de guerre me montraient le nord du Mali comme une sorte de jeu vidéo sans ennemi ni visage, je ressentais cette irruption soudaine dans mon environnement quotidien comme une autre sorte de violence, comme si on me volait quelque chose d'intime, de personnel. Je ne voulais pas rester dans l'indifférence. Comme tout le monde, j'ai assisté pratiquement en direct à la libération de Gao, puis à celle de Tombouctou.
Des scènes de liesse, toute une foule submergée de bonheur. J'étais heureux pour eux mais, en même temps, je voyais le hors-cadre. Tout ce qui n'était pas montré. Tout ce que les journalistes présents sur place ne pouvaient ni voir ni savoir. Ce n'est pas de leur faute, ils n'y sont pour rien, c'est une mécanique guerrière qui les dépasse eux-mêmes... Alors que ces villes sont depuis des millénaires des lieux de rencontre, d'échange, de mixité entre gens du Sud et gens du Nord, entre agriculteurs et éleveurs, entre nomades et sédentaires, les Gao et Tombouctou qu'on me montraient avaient perdu l'exacte moitié de leur âme. Une moitié de la population manquait à l'appel. Plus un seul nomade en ville, pas un seul turban à l'horizon. Eux étaient traqués, cachés, en fuite.
Pourchassés par la haine. Certains de ceux qui ont été capturés ' les témoignages ne sont venus qu'après, par Humanrightswatch, par Amnesty International ou le CICR ' ont été exécutés sommairement, que ce soit par la foule ou par les militaires. Au fil des jours le bonheur d'une libération se ternissait d'horreur. On est très démuni devant de tels événements. On ne sait jamais quoi faire. Le jour où les militaires français se sont posés à Kidal fin janvier j'étais ici, chez moi, à écrire, mais en même temps j'étais là-bas. Je voyais la pauvre piste au bord de l'oued, les baraques en terre, les rues de sable. Je savais qui ils allaient rencontrer, avec qui ils allaient parler, et même dans quelle maison. J'étais dans la cour, cette cour que je connais si bien. Je voyais d'ici toute la méfiance entre deux mondes qui se rencontrent dans des conditions aussi difficiles. Les incompréhensions de toutes sortes entre eux.
D'un côté des nomades enracinés sur une terre qui est leur propre sang, où la vie est si dure qu'elle se résume bien souvent à de simples problèmes d'eau, de l'autre des professionnels venus faire un job très spécialisé. Et plus haut, à Paris, des politiques qui calculent et qui tracent des courbes abstraites sur des cartes du monde. Il est compliqué de se parler entre êtres humains dans des conditions pareilles. Il y a d'un côté les politiques, les stratèges, les commandants. Ceux qui font et qui défont le monde aux noms d'intérêts ou de motivations qui parfois nous échappent ou nous paraissent très lointains. Et puis de l'autre, ce que tous nous vivons et nous ressentons.
Ce sont deux mondes différents. Nous, nous pouvons nous parler, nous pouvons rire ensemble. Parce que la vie est comme ça. Nous pouvons vivre ensemble si on nous laisse tranquille. Ce qui fait mal, c'est le désespoir créé par des forces qui nous dépassent, qui nous prennent nos vies et les hachent en mille morceaux. Contre elles, on ne peut pas grand-chose, sinon leur opposer notre amitié, notre fraternité et notre humanité. C'est peu, mais c'est déjà beaucoup.
Puis plus tard dans le Tegharghar, dans ces montagnes dures, hostiles, où ils traquaient AQMI à l'endroit même où, quelques années plus tôt, j'avais passé de si inoubliables moments en compagnie de nomades. Comment imaginer qu'un même lieu puisse à la fois contenir tant de bonheur et tant d'horreur ' Permettez-moi d'avoir ici une pensée pour mes amis algériens. Vous tous vous savez exactement de quoi je parle.
-Quelle est la réception de ce livre en France, chez vos amis touareg '
Pour le moment je n'ai eu que des retours très positifs. Les lecteurs ont dans leur grande majorité apprécié ce regard à ras du sol, en décalage avec les discours médiatiques souvent réducteurs ou les expertises parfois trompeuses. Malheureusement les conditions de la guerre actuelle font qu'il n'est pas encore arrivé jusqu'à Kidal. Je n'ai qu'un seul souhait, c'est d'aller le remettre là-bas sur place à ceux qui sont aujourd'hui les acteurs de cette si longue histoire. J'espère ne pas les avoir trahis, eux qui le furent si souvent.
Je n'ai pas à juger de leur décision d'avoir repris les armes, cette décision leur appartient. Leur vie est à eux et leur désert est à eux, depuis toujours. Qu'ils restent ou pas dans le cadre national du Mali relève de l'Histoire avec un grand H, elle nous dira plus tard ce qu'il en est. Ce que je sais, c'est que dans la longue mémoire des hommes, les drames vécus ne s'effacent pas. On peut pardonner, mais on ne peut pas oublier.
-Comment vivez-vous personnellement ces événements aujourd'hui, après l'écriture de ce livre '
Je suis évidemment très inquiet. Ce qu'on a appelé la «guerre au Mali» n'était qu'une «guerre dans la guerre», un sur-conflit rajouté au conflit initial. La tension historique entre nord et sud du Mali qui dure maintenant depuis plus de 50 ans, depuis la décolonisation, avait pris, une fois de plus, une tournure extrêmement violente par le déclenchement début 2012 d'une quatrième rébellion au Nord. Et puis, en plein milieu de cette rébellion, un nouvel élément est apparu de façon quand même assez prévisible : l'irruption des groupes salafistes ' AQMI, Mujao, Ançar Eddine ', groupes armés qui, par leur puissance militaire et financière, débordent rapidement le MNLA et finissent par le supplanter.
C'est contre eux que la France est intervenue ces derniers mois. Il y a donc, au beau milieu de cette quatrième guerre entre nord et sud du Mali, un épisode parasitaire qui s'installe en janvier 2013 : la guerre entre une force islamiste radicale et une force internationale, toutes deux n'ayant quasiment rien à voir avec le conflit initial. C'est cette guerre-là, cette «guerre dans la guerre», qu'ont rapporté nos médias, mais ils ont un peu oublié de comprendre d'où elle venait... En faisant l'amalgame entre combattants indépendantistes locaux et djihadistes le plus souvent étrangers à la région, ils ont considérablement contribué à brouiller la compréhension des événements en cours. Il n'y a pas eu «internationalisation du conflit», contrairement à ce qu'on a pu dire.
Il y a eu superposition temporaire de deux conflits distincts, l'un, très ancien, interne au Mali, entre combattants du Nord et gouvernement, et l'autre externe, entre une internationale djihadiste radicale et des armées étrangères, qui est venu temporairement se greffer sur le premier. Une fois les djihadistes désorganisés et les forces françaises parties, alors les deux belligérants initiaux, l'armée nationale et les combattants indépendantistes, vont inévitablement se retrouver face-à-face. Comme rien n'est réglé concernant les causes premières du problème, la guerre va inévitablement reprendre. Sauf si, de part et d'autre, les bonnes volontés et l'humanité qui est en chacun l'emportent sur les calculs politiques individuels. Ou sauf si la force onusienne d'interposition a pour mission de s'interposer en toute neutralité.
Je ne peux pas prédire l'avenir, mais j'ai peur qu'un sentiment de revanche s'empare du Sud ' il est déjà visible dans l'opinion de la rue, à Bamako ou sur les réseaux sociaux ' et, qu'une fois encore, la violence aveugle l'emporte sur la compréhension mutuelle. Si la force internationale onusienne prend parti, que ce soit à cause d'une mission mal définie, mal préparée ou par engagement pour un camp contre l'autre, la situation au Nord va vite devenir encore plus difficile pour des populations nomades déjà durement touchées par la guerre en cours.
Mais il ne faut pas se leurrer ni se bercer d'illusions : c'est de Paris que viendra la solution. Selon ce que Paris voudra ou pas, la solution sera politique ou militaire. Elle sera pacifique ou meurtrière. D'ailleurs, l'attitude générale chez les combattants du Nord est de considérer que, puisque c'est la France qui est depuis 50 ans responsable du problème initial ' en ayant refusé en 1958 l'autonomie du Nord et en ayant contraint des populations qui ne le souhaitaient pas à cohabiter avec d'autres dans une nation artificielle ', c'est à elle de clore définitivement la question. C'est donc le choix de Paris qui s'imposera. Il ouvrira un nouvel espoir ou apportera une plus grande souffrance, on le saura bientôt.
Il y a eu dès janvier un consensus entre les combattants (MNLA, MIA), Paris et Bamako pour empêcher l'armée nationale d'entrer dans Kidal, alors qu'à Gao ou à Tombouctou, elle avait été en première ligne pour reprendre la ville, sitôt les raids aériens terminés. A ce jour, pas un seul soldat malien n'est entré dans Kidal. Ni les combattants, qui avaient annoncé qu'ils ne laisseraient jamais reprendre Kidal sans combattre, ni Paris, qui avait besoin de Kidal et de Tessalit pacifiées comme bases arrières pour ses opérations dans le massif du Tegharghar, ne pouvaient tolérer la présence de l'armée dans la région. A partir de là, la situation devenait très compliquée pour Bamako, qui n'a jamais réussi à tenir un discours de vérité à son opinion publique. Alors que la rue bamakoise ne comprend pas pourquoi Kidal n'est toujours pas réoccupée, commençant même à laisser enfler une rumeur de «coalition entre Blancs» conduite par Paris au détriment du Mali ' le héros libérateur d'hier devenant d'un coup le traître ' le pouvoir s'empêtre dans toutes sortes d'explications maladroites, la dernière en date étant que l'armée n'est pas suffisamment préparée pour participer à de telles opérations.
Je suis toujours surpris par la méconnaissance totale, absolue, de l'histoire du Nord par les gens du Sud, y compris parmi mes amis les plus proches. Si cette histoire, qui est pourtant une histoire nationale commune à tous les Maliens, avait été expliquée, partagée, racontée, et si les hommes s'étaient parlé au lieu de s'entre-déchirer, on n'en serait pas là. Au lieu de tenir des langages de vérité, certains politiques bamakois ont joué des clivages pour radicaliser chaque camp, au lieu de chercher à les rapprocher. Leur carrière valait-elle tout ce sang inutilement versé '
Bien sûr, il fallait arrêter la folie extrémiste et restaurer la paix et la confiance entre les communautés, mais depuis le premier jour de cette guerre, il était évident que sans une gestion politique, volontaire et transparente, de la «question du Nord» posée depuis plus d'un demi-siècle, les victoires militaires ne seraient que des coups d'épée dans l'eau, sans aucune autre portée que momentanée. Si dans les jours ou les semaines qui viennent, le conflit entre Bamako et le Nord gagne en intensité et redevient une guerre ouverte, alors le risque est grand qu'un chaos plus grand encore s'installe, pour une période beaucoup plus longue et sur un espace beaucoup plus vaste. Et si les forces africaines présentes sur place ne s'interposent pas ' ou pire, participent directement aux combats ' il y a de fortes chances pour que des groupes armés venus de pays voisins viennent prendre fait et cause pour le Nord-Mali. Et ce n'est alors plus le Mali seul qui brûle, mais toute une région du globe.
-Avez-vous prochainement l'intention de revenir là-bas '
Je n'ai pas d'autre rêve. Même si mes pas m'ont plus souvent mené au nord qu'au sud, même si mes liens sont plutôt nomades, le Mali est ma seconde patrie, celle du c'ur. Du sud au nord. Je ne peux pas imaginer ne plus jamais revoir mes amis ni ne plus jamais revoir ces lieux auxquels je tiens tant. Rire à Bamako, flâner à Ségou, entamer une causerie à Djenné puis remonter le fleuve Niger jusqu'à Tombouctou et Gao, pour aller prendre un thé à Kidal. Et redécouvrir encore et encore l'incroyable beauté de ce pays, la grande humanité et la profondeur historique de ses peuples et de ses cultures.


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