L'accident nucléaire de Fukushima, dont l'évolution est incertaine,
constitue un évènement politico-industriel d'une portée considérable.
Il intervient dans un contexte où l'accroissement de la demande en
énergie avait affaibli, en Europe, les écologistes et tous ceux qui appelaient
à sortir du nucléaire. Les défaillances enregistrées au Japon, pays qui a des
exigences de sécurité maximale, ont redonné de la voix aux antinucléaires. L'industrie
du nucléaire crie à l'exploitation de «l'émotion», cela n'empêche plus que la
question de la «sortie du nucléaire» est posée avec force. Ce thème de la
«sortie» n'a pas de sens pour l'Algérie et les autres pays du Maghreb
puisqu'ils n'y sont pas entrés. Mais les sinistres nucléaires japonais obligent
les Algériens, tout comme les Tunisiens, les Marocains ou les Egyptiens, à se
poser une question voisine: doit-on faire notre entrée dans le nucléaire ? Il
ne s'agit plus d'une question théorique. L'Algérie, la Libye, la Tunisie et le
Maroc projettent de développer une industrie électronucléaire. Des
accords-cadres ont été signés avec des pays fournisseurs potentiels. Si des
choix industriels n'ont pas encore été opérés, les projections des uns et des autres,
si elles sont suivies d'effets, verraient l'apparition de centrales nucléaires
au Maghreb dans un horizon moyen de 10 à 20 ans. Les motivations des Etats sont
connues : assurer la relève de l'après-pétrole et du gaz dans le cas de
l'Algérie et la Libye, répondre aux besoins énergétiques pour la Tunisie et le
Maroc. Les quatre pays ont multiplié les accords-cadres pour la formation ou
des accords sur l'étude de faisabilité et du financement de centrales
nucléaires.
Une centrale tous les cinq ans !
La première centrale nucléaire en Algérie est projetée pour 2020.
L'ancien ministre de l'énergie Chakib Khelil avait même annoncé qu'à partir de
2020, une centrale nucléaire sera construite tous les cinq ans. Globalement,
les pays maghrébins se projettent dans le même horizon de 2020-2024. Il faudra
remarquer, par exemple, que l'Algérie a fait l'objet de campagnes médiatiques
régulières et de procès d'intentions au sujet de ses deux réacteurs
expérimentaux, Nour, qui se trouve à Draria (2 mégawatts) et Essalam à Aïn
Oussera (15 mégawatts). De manière régulière, des articles de presse israéliens
et occidentaux jetaient le soupçon sur les « intentions » de l'Algérie.
Désormais, ce pays, hier presque aussi « suspect » que l'Iran, est sollicité et
fait l'objet du rentre-dedans : on veut lui vendre des centrales. La France, à
la politique commerciale nucléaire particulièrement active, pour ne pas dire
agressive, veut d'ailleurs être le grand pourvoyeur de technologie nucléaire du
Maghreb. Le président français Nicolas Sarkozy a d'emblée entamé son mandat en
se faisant le grand défenseur d'une « prolifération » tout à fait conforme aux
intérêts d'Areva qui veut capter le tiers du marché des centrales dans le
monde. Bien entendu, ce sont les besoins des pays du Sud qui sont mis en avant
ainsi que des impératifs de sécurité. « Si on ne donne pas l'énergie du futur
aux pays du sud de la Méditerranée, comment vont-ils se développer ? Et s'ils
ne se développent pas, comment on va lutter contre le terrorisme ? ».
Suspicion durable
La suspicion aurait-elle cédé la place à la confiance ? En réalité, même
si les enjeux économiques importants justifient cette politique de promotion
des centrales nucléaires françaises au sud de la Méditerranée, le président
français a introduit lui-même un verrou qui ne peut que perturber ceux qui
réfléchissent en terme de souveraineté. Le président français a évoqué dans ce
cadre « un système permettant de désactiver une centrale nucléaire depuis
l'extérieur » en cas de «crise». Acheter une centrale nucléaire «clés en main»,
alors que les vraies clés, celles qui permettent de la réduire à un état de
carcasse inutile, se trouveraient ailleurs, voilà qui introduit un élément
fondamental d'insécurité et de dépendance à l'égard du fournisseur. Cela était
en soi matière à débat. L'Algérie, à juste titre, estime que la maîtrise de la
technologie nucléaire est un droit non négociable. Poursuivre la recherche en
vue de cette maitrise est justifié. Mais s'engager dans un proche avenir dans
l'acquisition de centrales nucléaires n'est plus une évidence avec ce qui se
passe au Japon. Si les Européens se reposent la question du sortir du
nucléaire, ce serait absurde de ne pas soulever la question de la pertinence
pour l'Algérie comme pour les pays voisins d'y entrer. La crise japonaise
risque de créer une suspicion durable à l'égard de la filière nucléaire et
suscitera un élan renforcé des énergies renouvelables. L'Algérie dispose dans
ce domaine d'atouts considérables. Pourquoi consacrer de lourds investissements
dans des centrales nucléaires à haut risque alors qu'on peut les orienter
utilement vers le solaire ou l'éolien ?
Nos ressources fossiles et notre potentiel en matière d'énergie
renouvelable nous permettent de ne pas nous précipiter. Il n'est pas utile de
se lancer dans l'acquisition de centrales nucléaires dans les prochaines
décennies. Ce qui se passe au Japon devrait nous pousser, nous Algériens, comme
nos voisins marocains et tunisiens, à repousser au plus loin, à plus de
sécurité, les choix dans ce domaine. Quitte à doter les petites centrales
expérimentales qui existent au Maghreb de moyens plus conséquents pour
permettre le développement accentué d'une technologie stratégique…
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Posté Le : 16/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Salem Ferdi
Source : www.lequotidien-oran.com