Algérie

Fronton : Les Bermudes, à 100 km d'Alger



L'automobile est devenue le meilleur allié de la radio. Mac Luhan, le père de la théorie des médias, qui considérait le véhicule comme un prolongement de nous-mêmes, l'avait-il prédit ' En tout cas, pour se préserver de la furie des embouteillages, rien de mieux que de se brancher sur les ondes. C'est bien connu, la musique adoucit les mœurs. Dernièrement, sur Radio Bahdja, captée dans la tourmente d'un carrefour à  une heure de pointe, passait un sympathique et étonnant groupe de jeunes musiciens et, entre leurs propos et leurs morceaux, c'est toute leur génération qui pointait le nez. On peut écouter de la musique en appréciant seulement la musique. Cela est même recommandé. Mais on peut également en interpréter les signes par rapport à  la société. Immatérielle, la musique révèle l'inapparent. La musique andalouse, rapportée par les exilés de Cordoue et d'ailleurs, exprimait leur nostalgie d'un monde perdu. Plus de cinq siècles après, elle perdure, soulignant le besoin profond d'un repère de civilisation. Le chaâbi est né de l'immense exode du début du siècle dernier provoqué par l'expropriation et la misère, bienfaits notoires de la colonisation. Il fallait aux milliers de déracinés, déportés brutalement dans la jungle urbaine, un point de ralliement et de réconfort, ainsi qu'un «bain sonore» à  leur intégration citadine. Des inventeurs comme El Anka se chargèrent d'en concocter la formule entre noubates andalouses et musiques du terroir. Quant au raï, il est né, entre autres, de la révolte des jeunes des années quatre-vingts. A Oran, au début de cette décennie, il coïncide à  la première de ces émeutes en 1984, avant de s'étendre et gagner la capitale où survint Octobre 1988. Ce ne sont certes pas les musiques qui créent ou influent les tendances sociales ou historiques. Mais l'inverse se vérifie presque toujours. Les musiques sont des marqueurs d'évolutions et aussi des signes avant-coureurs ou des symptômes socioculturels. Le groupe de musique évoqué nous vient de Bouira avec un premier album, talentueux si l'on en croit les extraits diffusés. Leur musique compte une bonne dizaine (à vue d'oreille) de sources différentes. Deux de ses membres ont fait du chaâbi, deux autres du rock et ils ont commencé par faire du gnaoui avant d'évoluer dans une autre direction. Avec aisance et bonheur, ils expriment parfaitement l'extraordinaire capacité des jeunes algériens à  mêler l'enracinement au patrimoine culturel à  l'ouverture universelle. Ce talent synergique, ce trésor de ressources, n'est pas encore reconnu et nous n'avons pas encore trouvé le moyen de l'injecter dans une dynamique économique et sociale. Il n'est donc finalement pas surprenant que ce groupe ait choisi de se nommer «Bermudes», non pas la forme de la plaine de Bouira, mais une belle illustration de l'état d'esprit de notre jeunesse : entre le rêve de rivages idylliques et la malédiction du fameux triangle.


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