Algérie

Fronton : La Havane-Djanet



Avec des accents dignes du Lider Maximo lorsqu’il enflammait la place de la Révolution, Gober Guibert P’rarao, le responsable des artistes cubains en tournée à l’Est du pays, a déclaré, dimanche dernier, à Constantine, ce qui suit : «Les potentialités constatées en Algérie sont des diamants bruts qui feraient de ce pays, s’ils venaient à être mis en valeur, la première puissance artistique du monde arabe». Voilà de quoi nous remonter le moral, bien que nos amis cubains, qui sont au fond des Méditerranéens de l’Atlantique, aiment, comme nous, les belles envolées, les déclarations tonitruantes et les propos supervitaminés en images et couleurs. Et puis, cette notion de puissance qui galvanise l’âme de ceux qui appartiennent à des pays qui n’en sont pas ! L’exagération n’est pourtant pas synonyme de mensonge, en foi de quoi ce cher Gober n’avait certainement pas l’intention de nous faire gober des balivernes, mais sans doute seulement l’envie de nous faire partager son exaltation. Tout en gardant une réserve méthodique, nous adhérons à son enthousiasme sur le potentiel culturel du pays. Comment, par exemple, ne pas s’émerveiller de la célébration, durant l’Achoura, de la fête de la Sbeïba dans la ville de Djanet ' Selon la légende locale, l’origine de cette tradition magnifique remonterait à environ 1230 ans avant J.C., ce qui la situerait à plus de 3200 ans de nous ! Comme on ne peut pas dater une fête au carbone 14, on ne peut que croire ou ne pas croire. Mais là n’est pas l’important. Plus que sa longévité, c’est la cause de cette célébration qui en fait la beauté. La Sbeïba serait issue, en effet, des guerres fratricides qui opposèrent longtemps les tribus Oraren et Tar’Orfit, factions de la confédération des Ajjers, elle-même partie des Touareg. Un jour, las de se combattre ou devenus conscients de l’imbécillité de leur conflit – ou les deux à la fois –, les frères antagonistes décidèrent de fraterniser. Pour maintenir vivant leur pacte de paix, ils décidèrent de le fêter chaque année puis, à l’avènement de l’Islam, de l’accoler à l’Achoura, moment sacré de partage. Depuis, les deux ksour de Djanet, celui des Azelouaz et des El Mihan se rencontrent à cette occasion en tenues d’apparat guerrier, pour un simulacre joyeux de bataille, dans le cliquetis des armes et le son des musiques et des chants. Leur vieille rivalité meurtrière, au motif oublié, s’est déplacée sur le terrain de l’expression artistique. Il s’agit bien là d’une des fonctions les plus nobles de la culture, dans cette alchimie humaine qui transforme les différences, les rivalités et l’agressivité en désir d’affirmation de soi et d’échange avec l’autre.La Sbeïba pourrait donc être l’un de ces «diamants bruts» auxquels faisait allusion notre ami cubain qui a eu la finesse d’ajouter : «s’ils venaient à être mis en valeur…» Car, quel que soit le nombre de ses carats, une potentialité demeure une potentialité.


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