Algérie

Fronton : Cher Diderot...



J'ai l'honneur de vous écrire cette lettre, absolument virtuelle, pour vous entretenir de faits qui me semblent d'une grande importance. Si je m'y autorise, c'est bien au nom de l'immense admiration que j'éprouve à votre égard et, d'abord, pour vos ?uvres prodigieuses d'ouverture, d'audace et de lucidité.Il se trouve que certains de vos compatriotes actuels s'emploient à piétiner votre héritage intellectuel tout en s'en réclamant ! Je n'aime pas la délation, mais la gravité et l'imbécillité de leurs propos m'obligent à vous en avertir. Le premier d'entre eux a affirmé que «toutes les civilisations ne se valent pas».
Depuis, d'autres lui ont emboîté le pas. Tous se réclament, directement ou indirectement, des Lumières, dont vous êtes, avec quelques-uns de vos illustres contemporains, les concepteurs et les promoteurs. Mais les rhétoriciens de pacotille dont je vous parle clament partout la supériorité de certaines civilisations sur d'autres, fondant leur déblatération sur des arguties retorses, voire des faits divers, en tout cas des phénomènes qui ne peuvent ni qualifier ni disqualifier une civilisation.
Votre ?uvre, qui a inspiré et accompagné la Révolution française, a montré que la marche de l'humanité était la même partout, les civilisations n'étant que les formes qu'elle pouvait prendre dans des conjonctures géographiques et historiques précises. Je suis au regret, cher Diderot, de vous signaler combien, trois siècles après, les idées ont reculé dans votre pays. Entre-temps, les civilisations dont se réclament ces fagotiers de la pensée ont produit les plus grandes catastrophes, décimant les humains et la nature. Elles ont donné l'esclavagisme et le colonialisme que vous aviez dénoncés de votre vivant, prévoyant même les indépendances et affirmant, en 1781 : «Quelle sera l'époque de cette révolution ' On l'ignore mais il faut qu'elle se fasse.»
Après vous, il y eût deux Guerres mondiales, le nazisme, la terreur atomique, le dérèglement de la planète et tant d'infamies que je préfère vous en épargner la peine. Vous deviez cependant vous en douter, vous qui appeliez, entre autres, les Hottentots à exterminer les Européens : «Fuyez ! Enfoncez-vous dans vos forêts. Les bêtes féroces qui les habitent sont moins redoutables que les monstres sous l'empire desquels vous allez tomber. Ou, si vous en avez le courage, (?) faites pleuvoir sur ces étrangers vos flèches empoisonnées. Puisse-t-il n'en rester aucun».
Il est clair qu'aucune civilisation ne peut prétendre à constituer un modèle de perfection, ce qui prouve encore leur parfaite égalité. Mais, voyez-vous, aucune de celles, non supérieures aux yeux des fagotiers évoqués, n'a commis autant de dégâts et de massacres que la leur. Les descendants des Hottentots, dont un certain Nelson Mandela que vous n'avez pu connaître, se sont efforcés de gagner leur liberté sans vous écouter totalement. Respectueusement à vous.


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