Algérie

Fronton



Fronton
D'habitude, je ne vous parle qu'au printemps du grand mimosa de la cour de mon immeuble. Mais là, je dois vous signaler en urgence que ses milliers de confettis végétaux ont commencé à jaunir. Légèrement encore, mais sans doute assez pour qu'on puisse s'en inquiéter. C'est que le pauvre, sournoisement trompé par cet hiver déguisé en printemps, a cru l'heure de l'exubérance arrivée. Et comme tout brave mimosa honnête et travailleur, il s'est mis à fleurir à contretemps si l'on peut dire. On le sent hésiter cependant. Sa poussée de couleur n'est pas aussi marquée qu'en sa saison consacrée, comme si une voix, au fond de son instinct botanique, lui murmurait de ne pas en faire trop. Mais je suis sûr que malgré ce reste de prudence, il s'est fait lamentablement avoir par ce simulacre de printemps.Chaque matin, en sortant, je le salue et le soir aussi, de haut, en fermant les fenêtres à l'heure du maghreb. Je regrette de ne pas avoir étudié suffisamment les langues pour communiquer avec lui. Hélas cancre en mes vertes années, j'ai dû rater le cours sur le langage des mimosas. De plus, je doute sérieusement qu'il comprenne celui des signes. En vérité, je n'ai pas osé. Que penseraient mes voisins s'ils me surprenaient à gesticuler devant un arbre ' Déjà que je me demande ce qu'ils pensent ordinairement de moi?Pourtant, j'aurais voulu mettre au parfum mon ami du chamboulement des climats et, au passage, m'excuser au nom de l'espèce humaine de ses crimes contre nature, bien que mes ancêtres, mes compatriotes et moi n'y soyons pas pour grand-chose. J'aurais voulu le rassurer un peu en lui parlant de cette grande Assemblée des Nations dans la Ville des Lumières (dit ainsi, avec les majuscules en plus, ça le fait) pour préserver la planète et éviter que l'on continue à scier la branche sur laquelle nous sommes assis depuis des millions d'années, au risque de tomber dans le cosmos où la respiration n'est pas garantie. Je l'aurais un peu sermonné aussi, genre : «Il ne faut jamais se fier aux apparences», ou «Il faut tourner sept fois la sève dans son tronc avant de fleurir». Mais bon, j'espère encore qu'il comprend le langage des yeux. Après tout, il est Algérien.Il est là, comme un autiste auquel on veut dire tant de choses et dont on sent qu'il en a mille fois plus pour nous. Beau, impassible, muet si ce n'est le frémissement de ses branches au vent. Avec ses jaunissements décalés, il ressemble à un jeune comédien plein de bonne volonté qui rate ses répliques. Ou encore à un amoureux qui se met sur son trente-et-un (mars pour lui) sans savoir encore que sa bien-aimée ne viendra pas à leur rendez-vous. Mais, j'y pense, nous sommes déjà le 2 janvier. Et déjà en 2016. C'est donc une fable de début d'année. Bien sûr, puisqu'il est prouvé que le temps passe toujours trop vite ! Finalement, nous sommes tous des mimosas fascinés par les printemps factices.




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