Il y a certainement de bonnes intentions et de véritables raisons qui ont conduit à organiser des hommages aux artistes disparus et, ces dernières années aussi, à ceux encore en vie.Pour beaucoup d'entre eux, la reconnaissance de leurs pairs, de la société et surtout de l'Etat ne s'était jamais penchée sur eux de manière manifeste. Le souci de rattraper cette injustice s'est traduit par diverses manifestations, les plus répandues étant la cérémonie à l'égard des vivants, souvent pathétique, sonnant comme un préambule à l'ultime départ, et, pour les disparus, la journée d'étude, le concert commémoratif, la rétrospective posthume, etc.On peut donc considérer tout cela comme le fruit de pensées généreuses. Mais l'on devrait se pencher un moment sur ce type d'actions, dans leur esprit et leur contenu. Notre attitude en la matière remonte à loin, comme le suggère l'ancien proverbe toujours cité en la circonstance : «De son vivant, il manquait d'une datte. A sa mort, on lui en a suspendu tout un régime».En effet, les hommages sont généralement rendus in extrémis ou post-mortem, interdisant de facto à un jeune d'en rêver, fut-il un futur Mutanabbi ou Mozart. Et cela concerne même des quinquas ou sexagénaires.La proximité à la mort, ou sa survenance plus ou moins récente, apparaît comme un critère d'éligibilité à l'hommage. On retrouve cela dans le monde entier, mais nous avons poussé le bouchon bien loin. Ainsi, comme par extension subconsciente de la culture du martyr liée à l'histoire, on ne célèbre pratiquement jamais la date de naissance d'une grande figure de l'art, lui préférant de manière morbide celle de son décès. Une attitude de pleureuse d'enterrement qui surjoue la peine et néglige l'art du défunt. Presque tout le monde connaît la date de l'assassinat de Tahar Djaout, mais combien ont lu ses ?uvres ou pensé à les acheter, ne serait-ce que pour soutenir sa famille ' Son ?uvre intégrale, sortie aux éditions Quipos, peine à se vendre. Quant à Rouiched, lors de l'hommage rendu de son vivant, on pouvait déceler au fond de son regard la tristesse qui devait l'étreindre.Se demandait-il combien dans la salle avaient lu ses Mémoires ' Et, aujourd'hui, on ne trouve ses films et pièces qu'en éditions piratées et de qualité exécrable. Près de deux mois après sa mort, Assia Djebar fait l'objet d'une attention sans doute sincère, mais on peut se demander combien cela durera.Rendre hommage aux artistes et écrivains passe par la mise en place d'un dispositif permanent de reconnaissance : promotion, prix, distinctions, etc. Mais c'est d'abord dans la diffusion de leurs ?uvres et leur «consommation» par les publics que doit se manifester l'admiration qu'ils méritent. De manière organisée. Dans la sérénité. Voire la joie. Et non dans cette ambiance passablement mortifère qui laisse penser que notre société cultive le mythe de l'artiste maudit quand la réussite de son vivant paraît toujours suspecte.
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Posté Le : 04/04/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ameziane Farhani
Source : www.elwatan.com