Ne tournons pas
autour du pot : la récente percée du Front national (FN) aux élections
cantonales françaises est tout sauf une surprise.
On peut s'en
indigner, on peut s'en inquiéter mais cette montée en puissance du parti de
Marine Le Pen traduit bien plus que l'exacerbation de sentiments xénophobes et
anti-immigrés. En effet, cette dynamique électorale qui risque de faire des
dégâts en 2012, qu'il s'agisse de l'élection présidentielle ou des
législatives, est révélatrice de l'impasse dans laquelle se trouve l'ensemble
de la classe politique française dite républicaine.
Tout le monde en convient. Les électeurs du
FN ne sont pas tous des racistes qui détestent les Arabes, les Noirs, les
Musulmans et, ne l'oublions pas, les Juifs. Bien entendu, il ne faut pas nier
le fait qu'il existe une grande part d'adhésion aux idées extrémistes défendues
hier par Jean-Marie Le Pen et auxquelles sa fille Marine tente aujourd'hui de
donner un aspect respectable. Mais il n'y a pas que cela et c'est pour cette
raison que les arguments moralisateurs ne suffiront pas à contenir cette
poussée.
Il faut être totalement déconnecté des
réalités pour ne pas comprendre que le Front national tire profit de l'immense
fracture sociale qui lézarde la France. D'un côté, une minorité qui gagne très
bien sa vie, qui contribue à la flambée de l'immobilier dans toutes les villes
et qui, surtout, tire parfaitement son épingle du jeu de la mondialisation. De
l'autre, des pans entiers de l'Hexagone qui survivent tant bien que mal et se
sentent abandonnés par Paris et ses élites.
La peur du déclassement est une réalité qui
se vit au quotidien. Elle touche les classes moyennes et ouvrières à tous les
niveaux. C'est la hantise de perdre son emploi et de faire face à l'implacable
dureté des banques et des huissiers. C'est une terreur, le mot n'est pas
exagéré, qui mine la société et conditionne les comportements. Et elle est
d'autant plus forte que les Français sont convaincus que leur modèle social ne
fonctionne plus et qu'ils n'ont guère à espérer d'une solidarité nationale de
plus en plus défaillante.
« Si je perds mon emploi, je suis à la rue ».
Cette phrase, entendue à longueur de journal télévisé, témoigne à elle seule
d'un grand malaise. Pour s'en rendre compte, il suffit juste de prendre la
mesure de la détresse des grévistes d'une entreprise délocalisée ou liquidée
par des actionnaires trop gourmands. Jadis préservé, le secteur public
n'échappe pas non plus à cette réalité qui fragilise les gens et les transforme
en salariés craintifs et angoissés à l'idée de faire face à l'une de ces
restructurations menées au nom de la diminution des dépenses publiques.
Cette France qui souffre, qui est accablée
par la désindustrialisation et par le retrait de l'Etat des campagnes et de
nombreuses villes de province, ne trouve aucune oreille auprès des grandes
formations politiques. Elle se sent abandonnée par une classe politique qu'elle
juge désinvolte et trop éloignée de ses préoccupations. Et l'omniprésence du
phénomène bobo (bourgeois-bohème) dans les médias, notamment la télévision,
avive ses frustrations et ses rancÅ“urs. Pour reprendre une expression happée au
cours d'un talk-show, c'est la France des friches contre celle du bio et du
TGV…
Ouverture des frontières, libre-concurrence
érigée au rang de dogme national, puissance des lobbies libre-échangistes qui
activent à Bruxelles auprès de la Commission européenne et du Parlement – c'est
le cas notamment des banques et des acteurs de la finance -, précarité
organisée dans le monde du travail : tout cela mériterait des politiques
sociales et économiques énergiques et volontaristes. Cela exigerait de la
classe politique qu'elle refaçonne ses doctrines, qu'elle reprenne le pouvoir
et qu'elle ne soit plus à la traîne du monde économique et financier comme
viennent de le montrer les récentes crises.
C'est tout l'enjeu des prochaines années.
Mais on attend encore que soit formulées, à droite comme à gauche, des
propositions novatrices. La question est simple : comment faire pour sauver
l'industrie française ? Comment faire pour sauver les emplois industriels et
autres menacés par des délocalisations ? C'est de cela dont devraient débattre
le Parti socialiste et l'UMP. C'est dans ce domaine qu'il faut prendre tous les
risques et ne pas hésiter à remettre en cause les dogmes ultralibéraux qui
corsettent la France et l'Europe depuis la chute du mur de Berlin.
Il faudrait avoir le courage de s'interroger
sur la pertinence du modèle imposé par des organisations telles que le Fonds
monétaire international (FMI) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La
classe politique française croit, ou feint de croire, que les problèmes de
chômage, d'exclusion et de précarité vont se régler tous seuls, comme par
enchantement. Mais le miracle ne viendra pas et le temps qui passe ne fera
qu'aggraver les choses. Des usines vont continuer de fermer, des activités
seront raflées par la Chine, l'Inde ou le Brésil et, dans les campagnes et la
province, la désertification démographique va se poursuivre. L'Union européenne
continuera d'être le dindon de la farce en matière d'échanges internationaux et
les partis extrémistes auront encore plus de grain à moudre.
L'incompétence de la classe politique
française, son incapacité à relever le défi de la post-mondialisation, son
caractère provincial et rentier sont les germes du succès du FN. Et il est saisissant
de voir que la seule réponse qui est apportée au discours de ce parti consiste
à le concurrencer sur le plan du discours islamophobe, à l'image de cet élu UMP
qui a fait campagne contre les minarets (que personne ne demande…). Le débat
sur la laïcité, qui est en réalité un débat sur l'islam, est une réponse pauvre
et sans imagination aux défis économiques et sociaux. Une réponse dilatoire qui
traduit bien le manque d'envergure de la direction de l'UMP sans parler du
locataire du palais de l'Elysée. Libre à eux de faire croire que le musulman
est la cause de tous les problèmes. Cela occupera un temps les Français mais
cela ne résorbera pas les fractures sociales pas plus que cela ne contiendra
l'essor du Front national.
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Posté Le : 31/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com