Algérie

Fraudes «haut standing» aux séquelles indélébiles



Si aujourd'hui elles ne sont qu'une dizaine, en moyenne, au cours des années 1990, les décisions de retrait du marché de médicaments se comptaient, en revanche, par centaines/an, les motifs jamais précisés et l'information rarement partagée à temps ni adressée à qui de droit.Et des cas de négligence, de laisser-aller des autorités de régulation et de certains départements qui avaient une influence décisive, à différents niveaux du secteur, ayant particulièrement marqué la décennie 1990, étaient tout aussi nombreux.
Des pharmaciens et des grossistes répartiteurs de Annaba, approchés, s'en souviennent encore. Et s'ils ont tenu à en parler, c'est pour interpeller la mémoire de ceux qui en étaient les auteurs et les protecteurs.
En effet, y avaient, en catastrophe, été retirés des médicaments ne contenant, dans les meilleurs des cas, aucune substance active. La plupart étant initialement fabriqués dans des ateliers clandestins et des garages en Inde et en Thaïlande et introduits sur le marché, sous de fausses déclarations d'origines européennes ou arabes, se remémorent nos interlocuteurs. D'autres, constitués de produits chimiques inconnus, donc potentiellement dangereux. En termes relatifs, la liste était vaste, allant des antidouleur ordinaires, aux antibiotiques, vaccins antigrippaux en passant par d'autres médicaments dits «vitaux». Un exemple édifiant : le multivitaminé «suisse» CPS Rivo, dont la commercialisation avait duré plusieurs mois, avant qu'il n'eut été décidé de son retrait de la vente.
Or, ce médicament n'avait jamais été commercialisé en Suisse, prétendu pays du laboratoire d'origine, ni fait l'objet d'une quelconque Autorisation de mise sur le marché international. Quelle était donc la véritable provenance du multivitaminé CPS Rivo et qui se tapissait derrière cette curieuse transaction ' La question est, à ce jour, pendante : l'adresse dudit laboratoire, figurant sur les boîtes -commune de Manno, canton de Tessin- s'était avérée inexistante. Mieux, les propos d'un représentant de la Société suisse des pharmacies (SSP), organisme où sont répertoriés tous les laboratoires pharmaceutiques existants sur le territoire helvétique, alors saisie par nos soins, furent sans appel : le nom du laboratoire, l'adresse et le numéro d'AMM figurant sur la boîte du multivitaminé étaient inexistants sur tout le territoire de la Confédération. «Il s'agissait vraisemblablement d'une opération de blanchiment d'argent déguisée. L'opération consistait à donner une base légale aux transferts de devises pour les placer en Suisse, car avec ce fournisseur fantôme, c'étaient plusieurs contrats qui avaient été conclus et concernaient plusieurs autres médicaments en forme sèche et liquide.
La commune Manno, faut-il le souligner, relève de Lugano, qui abrite la troisième place financière en Suisse», estiment certains professionnels du secteur bien au fait de l'affaire. D'autant que la collusion entre le trafic des faux médicaments et le blanchiment d'argent/corruption, est bien réelle.
Arnaque
Une autre affaire, non moins rocambolesque remontant au début des années 1990, avait fait perdre à l'Algérie plus de 2,5 millions de dollars, et ce, sur une seule partie d'un contrat. Les deux millions de dollars représentaient le premier versement d'un gros contrat conclu entre une ex-entreprise publique et une société étrangère, «Intar et Coliber», prétendument basée à Bruxelles. Le contrat portait sur la fourniture d'une importante quantité d'antibiotiques «belges» pour le traitement de certaines infections intestinales. «Prétendument» car «à mon arrivée à Bruxelles, j'ai commencé à chercher le laboratoire Intar et Colibel suivant l'adresse figurant dans le dossier commercial. Et, en fait de laboratoire il n'en était rien : un simple petit bureau avec une secrétaire, ni machines ni médicaments?
Lorsque j'ai rencontré le patron, je lui avais demandé de visiter l'usine, conformément aux clauses contractuelles. Il tergiversera et devant mon insistance, il m'avait clairement signifié : pourquoi cherchez-vous à visiter l'usine ' Vos supérieurs l'ont déjà fait. Depuis cette rencontre, je ne l'ai plus revu», se souvient encore le cadre supérieur de l'entreprise publique algérienne importatrice, dépêché sur place pour inspecter les conditions de fabrication dudit antibiotique. Toujours selon lui, dans le rapport de mission établi à son retour de Bruxelles, il avait conclu que Intar et Colibel était un laboratoire fictif et que la personne qui s'était présentée, en son nom, était en réalité un courtier exerçant dans le négoce agroalimentaire ! L'origine des antibiotiques que ce laboratoire devait livrer était, par conséquent, inconnue. Ce qui fut, à l'époque, confirmé par nos représentants diplomatiques à Bruxelles qui avaient, d'ailleurs, inlassablement tenté de dissuader les Algériens à traiter avec Intar et Colibel. Et à cela une raison : la société était connue et reconnue comme étant une société écran.
Les recommandations de notre ambassade étaient motivées par une longue enquête des services de sécurité algériens sur de douteux marchés de poudre de lait passés entre Intar et Colibel et l'ex-Orelait. Malheureusement, le compte rendu du jeune «missionnaire» aurait eu une seule suite : il fut notifié de la fin de ses fonctions, peu de temps après son retour au pays pour «manquements graves» dans la gestion d'un dossier dont il a la charge. Et malgré les mises en garde contenues dans son rapport, la partie du contrat de 2 millions de dollars fut menée à son terme, la dizaine de containers d'antibiotiques est bel et bien livrée par Intar et Colibel.
«Les flacons étaient entassés, sans étuis, dans de grands cartons. Mieux, après plusieurs analyses, les chimistes du département de pharmacovigilance (ministère de la Santé), avaient conclu à l'inexistence de substance bactéricide (principe actif)». Partant, le refoulement devenait impératif, au même titre que le remboursement des 2 millions de dollars. Or, «bien que la livraison ait été refoulée au port, l'argent n'avait jamais été rapatrié», se souvient notre source. Dans ses affirmations, il sera conforté par des grossistes répartiteurs contactés.
«Parmi les plus importants laboratoires ?belges' avec lequel avait profusément traité l'Algérie, au début des années 1990, figurait Intar et Colibel. Il nous fournissait surtout en antibiotiques. Ce laboratoire avait curieusement et subitement disparu du marché algérien». Un autre témoignage non moins édifiant, «des sirops pour adultes et enfants anti-allergie, de l'aspirine d'origine?palestinienne, nous en avions vendus. Des laboratoires dans une Palestine en plein bombardements qui arrivent, non seulement à satisfaire ses besoins mais aussi à exporter ! Heureusement ces faux sirops étaient du pur sucre sans effets», se remémore, ironisant, une pharmacienne, exerçant dans la commune d'El Bouni (Annaba).

La liste des importateurs assainie
Des pratiques frauduleuses non moins rocambolesques, il y en a eu notamment dans le cadre des échanges commerciaux avec les pays voisins. Et la période la plus marquante fut celle des années 1990-2000 lorsque beaucoup d'Algériens, avec la complicité de Marocains, s'étaient joyeusement sucrés sur le dos de nos malades. Profitant des dispositions d'exonérations douanières et des cadeaux fiscaux accordés dans le cadre des Conventions commerciales et tarifaires (CCT) bilatérales régissant les échanges commerciaux entre les pays de l'UMA, de puissants hommes d'affaires, d'une grande ville de l'ouest du pays, avaient la mainmise sur les importations algériennes de médicaments du Maroc, lesquelles pesaient 14% du total des échanges commerciaux (achats) avec le royaume chérifien.
Fort d'une solide protection au sein de la haute administration et avec la complicité de Marocains proches du cercle royal, ils avaient, des années durant, réussi à fournir le marché national en médicaments, l'équivalent de plusieurs millions de dollars, avec des certificats d'origine marocaine, alors que le produit était, en réalité, issu d'un célèbre laboratoire étranger. Ce dernier avait une grande filiale marocaine où s'effectuait, à son su ou à son insu, le changement des emballages, et ce, sous le regard impuissant d'un cadre supérieur canadien d'origine algérienne, qui y exerçait. D'ailleurs, les affaires marchaient si bien qu'en 1993, une «sous-filiale» de la grande filiale marocaine appartenant au même laboratoire étranger avait été mise sur pied avec la participation indirecte du «groupe algérien».
En juillet de la même année, un séjour d'une semaine dans un luxueux palace au Canada avait été offert à des personnalités médicales marocaines et algériennes pour fêter l'événement.
Ces hommes d'affaires de l'Ouest, faut-il le souligner, étaient membres d'un club algéro-marocain, très hermétique, qui comptait en son sein des familles de la grande bourgeoisie des deux côtés de la frontière. Ce sont de telles fraudes «haut standing» et tant d'autres, tues pour protéger cette «élite» d'affaires, qui avaient, vraisemblablement, poussé nos Douanes à redoubler d'efforts, à renforcer les dispositifs humain, matériel et technologique de contrôle et à accentuer la vigilance. Aussi, les pouvoirs publics semblent y avoir longtemps «médité» puisque s'ensuivirent, depuis, la rupture de toute relation commerciale en matière de médicaments avec les pays sur lesquels pèsent de forts soupçons de pratiques douteuses ainsi que l'assainissement continu par le ministère de tutelle de la liste des importateurs de produits pharmaceutiques.


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