Algérie

Fraternité



Fraternité
«Chacun a père et mère, mais rien de plus difficile à trouver qu'un frère.» Proverbe chinoisCela nous faisait chaud au coeur, au lendemain de l'Indépen-dance, d'entendre un responsable politique, de quelque importance que ce soit, déclarer avant de quitter la tribune d'où il haranguait une foule de gens rivés à ses lèvres «Et maintenant, je passe la parole au frère...» C'est un joli mot, frère, forgé par plusieurs siècles de servitude. Malgré l'été de la discorde, perdus sur le sol ingrat de la montagne rebelle, nous pensions dans notre naïveté que cela pouvait être possible, d'être frères. Nous allions bientôt déchanter. A l'époque, personne n'aurait pensé que cela se passerait ainsi. Personne n'aurait imaginé que des frères pourraient un jour accaparer les biens, la liberté, l'espace des autres frères. De là à penser qu'un jour, des hommes arrêteraient leurs frères, les priveraient de liberté, les tortureraient, les élimineraient physiquement par strangulation, fusillade et égorgement...! Impensable! Qu'un jour des hommes détourneraient, à leur profit personnel, des biens communs, qu'ils allaient confisquer pour le seul intérêt de leurs familles, les entreprises, les mosquées, le syndicat, l'école, la radio, la télévision...! Impensable!Qu'un jour certains vivraient comme des émirs, d'autres comme des Américains et la grande masse comme des...Africains. Impensable! Qu'on arriverait un jour à mettre en scène la farce des tripartites pour pouvoir augmenter les salaires de quelques sous...!A l'époque, pourtant, le village était presque soudé comme une seule personne! Cela se manifesta un doux soir d'automne: un convoi de gendarmes et de goumiers était tombé dans une embuscade où un feu nourri, venu des broussailles, avait anéanti les occupants des véhicules. Pas un n'y échappa. Les véhicules furent incendiés et les armes récupérées. Cela sonna comme une victoire. Les militaires qui, jusque-là, étaient restés discrets, envahirent la petite place du village. Les automitrailleuses pointèrent leurs canons vers les modestes masures qui composaient la masse compacte du village. Les moteurs ronronnèrent longtemps. Les phares illuminaient l'espace mais la montagne sombre qui dominait le village, demeurait menaçante: la guerre s'était installée. Dès la semaine suivante, les contingents de l'armée qui, jusque-là, campaient à la périphérie du village, sur les ruines de la vieille école, occupèrent les deux écoles du village situées à des endroits stratégiques. Ils s'y installèrent comme s'ils étaient en colonie de vacances en petite tenue la journée, se barricadant le soir, ils n'entretenaient des contacts qu'avec les enfants qui venaient la journée et les instituteurs qui voyaient en eux des intrus dérangeants. Les chasseurs alpins à grand béret, avaient remplacé les chasseurs d'Afrique à large chapeau de brousse. Ils venaient de temps en temps sur la place du village exécuter des morceaux de musique, certainement pour amadouer la population insensible à ce genre de musique: rien ne remplaçait la ghaïta et le bendir! Une nuit, tout le village fut réveillé par des crépitements et une forte lueur l'éclairait complètement: on avait incendié le foyer rural, petite maison en préfabriqué où était projeté, une fois par semaine, un film. Le matin, les gens tournèrent discrètement autour des ruines fumantes. Gendarmes et militaires déplorèrent cet acte barbare commis juste sous le frêne tutélaire, à côté du vieux marabout qui ne fut pas importuné par le sinistre. A partir de ce moment-là, la frilosité s'installa et le village commença à se vider petit à petit: beaucoup émigrèrent vers les grandes villes ou vers la métropole pour travailler ou pour échapper à la peur angoissante qui commençait à étreindre le village.




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