Chaque semaine,
ils sont plusieurs millions à battre le pavé. Nicolas Sarkozy, lui, n'en a «
rien à battre ». Au risque d'énerver le populo.
Entre un et trois
millions et demi de manifestants : les statisticiens de la police et ceux des
syndicats divergent toujours gravement sur le nombre de Français manifestant
chaque semaine sur les retraites. Mais ils sont d'accord au moins sur un fait :
après dix manifestations nationales et six depuis la rentrée de septembre, le
nombre des protestataires ne diminue pas d'un fil.
Cette persistance
rare de la mobilisation populaire aurait pu interroger le gouvernement. Il n'en
est rien. Nicolas Sarkozy est «droit dans ses bottes», pour reprendre le mot
malheureux d'Alain Juppé, en 1995, alors Premier ministre, confronté aux mêmes
protestations contre «sa» réforme des retraites. Nicolas Sarkozy, après une
très vague concertation avec les syndicats, a pondu un texte sur lequel il
n'entend rien céder : revenant sur l'acquis historique de la retraite à 60 ans,
il propose aux Français le système le plus dur pratiqué aujourd'hui en Europe :
le droit de partir à 62 ans, mais sans pension complète. Pour l'obtenir, il
faudra accepter de travailler jusqu'à 67 ans !
Le mythe de
«l'homme fort»
Un peu naïvement,
les syndicats et plus largement l'ensemble de la population avaient cru, au
début des négociations, que cette position dure était une manière de cadrer le
débat : le gouvernement en demandait beaucoup pour obtenir, dans un contexte
économique difficile, de vraies mesures qui augmentent substantiellement la
durée et le volume des cotisations. Après plus de quinze ans de demi-réformes
ou de mesures avortées, personne ne contestait en réalité la nécessité
d'adapter l'assurance vieillesse au phénomène d'allongement de la vie.
Mais
syndicalistes et cotisants ont vite déchanté, le gouvernement a rapidement fait
part de sa décision : pas la moindre marge de négociation sur son projet. Pour
Nicolas Sarkozy, relevant fièrement le menton, qu'il y ait cent, mille ou trois
ou cinq millions de manifestants chaque semaine, n'y changera rien, ce sera la
réforme et toute la réforme… Ah, mais !
Pour le
Président, au-delà des décomptes budgétaires, il y a bien un calcul politique :
Nicolas Sarkozy estime qu'il gagnera l'estime de l'opinion publique en
apparaissant dans quelques mois comme un président qui a su réformer en
profondeur, tout en refusant de céder à la pression de la rue. Les électeurs,
émus devant une telle autorité, iraient porter leurs voix reconnaissantes et
admiratives au sortant lors de la prochaine élection présidentielle de 2012. Le
coup est hardi mais pas totalement dénué de sens. La France hérite d'une longue
tradition bonapartiste et le mythe de «l'homme fort» trouve toujours un écho
certain en période de difficultés. Nicolas Sarkozy bat depuis plusieurs mois le
record d'impopularité pour un président en exercice de la Vème République :
selon les instituts, entre un Français sur quatre ou un Français sur cinq
seulement approuve sa politique générale. En montrant «qu'il en a» (du
courage), Nicolas parie que sa mâle attitude saura convaincre et rassurer une
population anxieuse devant la crise économique et qu'il refera le plein des
voix de l'électorat traditionnel de la droite, voire de l'extrême droite, en
ébranlant les voix centristes et en marginalisant l'électorat de gauche. En
ligne de mire d'un tel calcul, figurent évidemment les personnes âgées,
traditionnellement plus inquiètes et conservatrices. Pour l'instant, les
chiffres sont loin de lui donner raison : 71% des Français sont favorables au
mouvement, 62% sont pour une pause de la réforme, 59% sont favorables à un
durcissement du mouvement de protestation et une majorité des retraités actuels
(qui échappent donc à la réforme actuelle) partagent ces opinions !
La protestation
actuelle contre la réforme des retraites cristallise en effet un malaise diffus
mais prégnant dans de nombreuses couches de la population. Le surgissement
récent dans les manifestations de nombreux cortèges de lycéens et d'étudiants
en est un bon exemple.
Mardi, à Paris,
un gamin d'une dizaine d'années qui portait une pancarte qui disait «Papy,
raconte-nous comment c'était, quand il y avait des retraites», s'est taillé un
franc succès. Mais les nombreux jeunes présents exprimaient moins leurs
interrogations sur leur départ en retraite dans quatre ou cinq décennies,
qu'ils manifestaient, et c'est le cas de le dire, leurs très grandes
inquiétudes immédiates pour leur insertion prochaine dans la vie active.
Les cortèges,
très nombreux dans toute la France (266, mardi !), restent dans l'ensemble dans
un climat bon enfant. Mais nombreux étaient les slogans dénonçant les relations
parfois troubles entre le pouvoir actuel et les franges patronales les plus
fortunées. Ils se multiplient, qu'ils visent les «affaires»
(Woerth-Bettencourt, Kerviel, etc.) ou dénoncent le «président bling-bling»
lui-même.
L'agacement est
perceptible et les Français se souviennent qu'explosait il y a deux ans une
crise financière due à l'irresponsabilité des grandes banques mondiales,
elles-mêmes entraînant une récession économique durable, des déficits budgétaires
abyssaux, auxquels on convie fermement les mêmes Français à devoir les combler
en augmentant significativement leurs impôts et leurs cotisations sociales.
Ces
manifestations, enfin, cristallisent la colère de la «France profonde». Il y a
eu des manifestations dans de toutes petites agglomérations. A Arles, ainsi,
aux limites de la Camargue, on a décompté quatre mille manifestants pour douze
mille habitants ! Même proportion enregistrée à Brives, Poitiers et dans des
dizaines d'autres sous-préfectures ou chefs-lieux de canton.
Pointe avancée de
la contestation, Marseille est littéralement bloqué depuis trois semaines : le
port, les raffineries, les trains, les bus, la voirie, les écoles, les cantines
fonctionnent peu ou pas du tout.
Radicalisation et
sanction électorale
Tout cela est bel
et bon mais que deviendra cet immense mouvement une fois que le Parlement, où
l'UMP est majoritaire, après le vote de l'Assemblée nationale et du Sénat, aura
adopté définitivement cette réforme très impopulaire ? Aucun expert,
politologue et autres sondeurs ne se hasardent à formuler une hypothèse
définitive. Certes, les manifestations à répétition usent l'énergie et pas
seulement musculaire, et les jours de grève écornent sérieusement un pouvoir
d'achat déjà chancelant.
Mais aux grandes
manifestations nationales pourraient bien succéder des grèves locales et très
combatives et des mouvements dans certaines catégories, la jeunesse scolarisée
au premier plan. L'épreuve de force actuelle n'est d'ailleurs pas terminée. Aux
grèves dans les transports s'est ajouté le blocage des raffineries qui assèche
les stations d'essence. Un tiers des stations-service sont à sec, les deux
tiers dans les grandes agglomérations. Plus d'essence, plus de voitures et donc
plus de moyens d'aller travailler…
Après avoir
relativisé officiellement le phénomène croissant, le gouvernement a envoyé hier
la force publique rouvrir les dépôts de carburants. Mais sans les ouvriers pour
les faire tourner, l'opération est surtout de la communication gouvernementale.
D'autant que les routiers, à leur tour, entrent dans la danse en utilisant leur
arme favorite, le blocage des autoroutes et des boulevards périphériques qui
entourent les principales grandes agglomérations.
De leur côté, les
syndicats cherchent également un second souffle. Fait rare, cette mobilisation,
qui dure depuis le printemps, s'est réalisée dans une complète unité syndicale.
En France, il y autant de syndicats que de fromages, le plus souvent en
désaccord sur tout (les syndicats, pas les fromages). Sur les retraites, ils
ont travaillé à l'unisson. Il est vrai que l'intransigeance gouvernementale les
contraignait à l'unité : gagner ensemble… ou perdre ensemble. Le refus de
Sarkozy à la moindre concession les contraint également à une démarche jusqu'au-boutiste.
Traditionnellement,
dans une réforme de cette importance, quelques concessions sérieuses permettent
aux syndicats les plus réformistes ou les plus raisonnables d'appeler à la
reprise du travail. On a l'impression que l'omni-président se ferme même cette
sortie-là, tant son envie apparente d'humilier un monde syndical qu'il méprise
est forte. Chaque semaine, le «Canard Enchaîné», relayant les confidences de
ministres, nous narre comment le président de la République se flatte de son
propre génie à chaque Conseil des ministres. Il n'est pas sûr que les élus de
la majorité partagent cet enthousiasme. Ils savent, eux, que les prochaines
élections seront bien difficiles. En 2011, tous les pronostics donnent la
gauche gagnante aux élections sénatoriales. Ce serait une première dans
l'histoire de la République ! La Haute Chambre, élue au suffrage indirect,
conçue historiquement pour refléter l'opinion des notables ruraux, est
traditionnellement plus conservatrice que l'Assemblée nationale.
La présidentielle
ne se présente pas aujourd'hui sous un bon jour pour Nicolas Sarkozy. Jusqu'à
présent, il n'a pas réussi à gagner l'électorat croissant de l'extrême droite,
à rassurer les électeurs centristes, ni même à unifier son propre camp. Mardi
soir, les Français ébahis ont assisté à un face-à-face télévisuel très amical
entre Dominique de Villepin et François Hollande. De Villepin, dernier Premier
ministre de Jacques Chirac (qui, dit-on, apprécie lui aussi beaucoup François
Hollande), ne cache pas son antipathie pour Nicolas Sarkozy, qu'il s'agisse de
l'homme, de ses méthodes ou de ses fins. François Hollande, ancien 1er
secrétaire du Parti socialiste, fort habile et très déterminé, pourrait bien
être le candidat surprise de son parti aux prochaines présidentielles.
Un G20 divisé et
dépressif
Nicolas Sarkozy
pense redorer son blason en gagnant la présidence du G20 en novembre. Il
bénéficie déjà du soutien de l'Allemagne et de la Russie. A l'aise dans les
crises internationales, mû par une énergie que personne ne lui conteste, le
président français se verrait bien en pompier du système financier
international. Tâche difficile.
Lors de la crise
financière de 2008, les grandes puissances avaient réagi rapidement et à
l'unisson pour sauver le système bancaire international par l'injection massive
de fonds publics. Depuis, la récession s'est installée mais tous les pays n'en
souffrent pas, ou pas de la même façon. Les pays émergents continuent
d'afficher des taux de croissance de leurs économies époustouflants en
comparaison de ceux des puissances occidentales ou du Japon. Comme le note
l'économiste Jean Pisani-Ferry, le niveau du PIB des pays émergents se situe à
15% au-dessus de son niveau de 2007 ; il est bien en dessous aux USA et en
Europe. Dans ces pays, il faudra augmenter les prélèvements de 9 points du PIB
pour ramener le ratio de la dette publique à 60% du PIB ; «moins de 3 points
suffiront aux pays émergents pour rester à 40%».
Croissance forte,
dettes allégées, les pays émergents utilisent également l'arme monétaire. La
sous-évaluation de leurs monnaies leur permet à la fois de maîtriser leur offre
interne et leur inflation et de doper leurs exportations. La faible évaluation
du yuan chinois face au dollar et à l'euro est l'exemple le plus probant de
cette arme monétaire.
Les Américains se
plaignent amèrement de la sous-cote des monnaies des pays émergents qui
plongent inexorablement les Etats-Unis dans la récession. Mais ils disposent à
leur tour d'un moyen de riposte sans équivalent sur la planète. Maîtres de la
monnaie de référence internationale, le dollar, les Etats-Unis peuvent à l'envi
faire fonctionner la planche à billets verts, quitte à voir croître leur
inflation, utile en période d'endettement.
Seul «idiot
intelligent» de la classe, la Banque centrale européenne, l'Å“il rivé sur le
chiffre de l'inflation, est ravie de voir l'euro surcoté vis-à-vis du yen, du
yuan et du dollar. Allez comprendre !
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Posté Le : 21/10/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Pierre Morville
Source : www.lequotidien-oran.com