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France : Le Sénat accable Benalla et l'Elysée dans son rapport d'enquête



Le Sénat a rendu mercredi un rapport accablant sur les agissements d'Alexandre Benalla et les dysfonctionnements à la présidence de la République qui ont permis à cet ancien proche d'Emmanuel Macron de s'arroger des pouvoirs exorbitants, allant jusqu'à mettre en péril la sécurité du chef de l'Etat.
Au terme de six mois d'enquête, la commission des Lois a également mis en cause trois hauts responsables de l'Elysée, dont le secrétaire général, Alexis Kohler, soupçonnés de ne pas avoir dit toute la vérité lors de leurs auditions et placés à ce titre sous la menace d'une enquête judiciaire. Leur dossier pourra donc être transmis au parquet, de même que celui d'Alexandre Benalla, accusé pour sa part d'avoir fourni des "faux témoignages". Mais, au-delà de ces cas personnels, c'est le fonctionnement même de la présidence qui est critiqué dans le rapport. "C'est comme si un seul être, par son autorité supposée, faisait que tout se mettait à dysfonctionner par cercles successifs", a résumé le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur de la commission. En somme, il n'y a pas une seule affaire Benalla, a déclaré le président de la commission, Philippe Bas, qui s'est distingué ces six derniers mois par sa façon méticuleuse de diriger les auditions de 48 personnes, initialement sur les brutalités reprochées à l'ex-chargé de mission le 1er mai. "Il y a une affaire de la Contrescarpe et du jardin des plantes, une affaire du permis de port d'arme irrégulier, une affaire de contrats russes, une affaire de passeports diplomatiques, une affaire d'immixtion d'un chargé de mission dans le bon fonctionnement de la sécurité présidentielle." La commission, dominée par la droite, a poursuivi ses travaux bien au-delà de celle de l'Assemblée nationale, qui a cessé ses auditions au bout de quelques jours et a refusé de les reprendre, malgré les demandes répétées de la gauche. "L'Elysée va prendre connaissance du rapport sénatorial et réagira prochainement aux propositions qui sont formulées par ce dernier", a déclaré mercredi une source à la présidence de la République. L'Elysée "ne réagira pas en revanche sur le contenu de ce dernier par respect de la séparation des pouvoirs", a-t-elle ajouté. Le gouvernement avait auparavant vivement réagi aux "contre-vérités" contenues selon lui dans le rapport de la commission d'enquête, qui poserait également la question du respect de la séparation des pouvoirs.
Voici les principales conclusions et recommandations faites par la commission d'enquête sur cette affaire qui empoisonne le pouvoir depuis le mois de juillet dernier.

Les agissements d'Alexandre Benalla le 1er mai à Paris
C'est le déclencheur de l'affaire : le chargé de mission de l'Elysée était surtout soupçonné, au départ, d'avoir commis des violences et d'avoir indûment participé au travail des forces de l'ordre sur la place de la Contrescarpe et au jardin des plantes, à Paris, en marge des manifestations du 1er-Mai.
Alexandre Benalla a été licencié en juillet 2018 après la diffusion des premières révélations du Monde, plus de deux mois après les événements du 1er-Mai dont la hiérarchie élyséenne avait pourtant eu connaissance.
"Il n'y aurait pas eu d'affaire Benalla si une sanction appropriée avait été prise dès le 2 mai 2018 par le licenciement de l'intéressé et l'information du procureur de la République", a déclaré Philippe Bas.
Les incidents du mois de mai sont vite apparus aux yeux de la commission comme "la partie émergée d'un iceberg", selon Philippe Bas, les principales défaillances étant révélées par les autres volets de l'affaire.

Les suites judiciaires
Alexandre Benalla a été auditionné à deux reprises par les sénateurs, de même que Vincent Crase, réserviste de la gendarmerie et ancien salarié de La République en marche. Les deux hommes sont en détention provisoire depuis mardi pour violation de leur contrôle judiciaire.
"Nous vous prions (...) de bien vouloir demander au Bureau du Sénat de saisir le ministère public des déclarations de MM. Alexandre Benalla et Vincent Crase susceptibles de donner lieu à des poursuites pour faux témoignage", peut-on lire dans la lettre envoyée par la commission au président du Sénat, Gérard Larcher, afin que ce dernier engage la suite de la procédure. La commission demande aussi la saisine du parquet après avoir remarqué "un certain nombre d'omissions, d'incohérences et de contradictions" dans les déclarations de collaborateurs de l'Elysée auditionnés par ses soins. Elle cible en particulier le directeur de cabinet Patrick Strzoda, le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler, et le chef du groupe de sécurité de la présidence de la République, Lionel Lavergne. "La commission a pu établir que plusieurs personnes entendues ont menti sur le périmètre exact des missions qui étaient confiées à M. Alexandre Benalla", peut-on lire. Alors que la note de service décrivant l'organisation de la chefferie de cabinet du président, datée du 5 juillet 2017, établit que la coordination des services de sécurité de la présidence de la République fait partie des missions confiées à Alexandre Benalla, le directeur de cabinet l'a nié, ses propos ont été confirmés par le secrétaire général et le chef du groupe de sécurité ne l'a pas mentionné. Sur la chronologie de l'affaire d'autre part, les rapporteurs soulignent que le secrétaire général a déclaré avoir eu connaissance des événements de la Contrescarpe le 2 mai alors que le journal Le Monde rapporte un témoignage d'Alexandre Benalla selon lequel il l'aurait averti dès le 1er mai. Les rapporteurs soulignent en outre que, contrairement aux affirmations des trois hommes, des éléments concordants laissent penser qu'Alexandre Benalla exerçait une mission de sécurité ou de protection rapprochée auprès du chef de l'État. Si le bureau du Sénat suit la commission, le parquet devrait être saisi le mois prochain, a précisé mercredi matin sur RTL le président du Sénat, Gérard Larcher. En France, un faux témoignage devant la représentation nationale est passible d'une peine de cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende.

Des doutes sur l'effectivité des sanctions infligées
Les informations recueillies par la commission d'enquête ont permis de démontrer que les sanctions appliquées à l'encontre d'Alexandre Benalla ont été moindres que ce que le porte-parole du président, Bruno Roger-Petit à l'époque, avait annoncé en conférence de presse le 19 juillet. Sa "mise à pied" de 15 jours tout comme celle du "gendarme réserviste" annoncées par l'Elysée après les révélations sur les violences du 1er mai à Paris ne se sont "traduites par aucune conséquence financière immédiate pour les intéressés", peut-on lire dans le dossier de presse. La rétrogradation dont Alexandre Benalla était censé avoir fait l'objet n'a été que "provisoire et compensée par l'attribution de nouvelles tâches". Le porte-parole avait pourtant fait savoir que l'ancien responsable de la sécurité de la campagne Emmanuel Macron avait perdu ses attributions en matière d'organisation des déplacements présidentiels. Cette rétrogradation a surtout été assortie d'importantes exceptions. Alexandre Benalla a pu participer à la cérémonie d'intronisation de Simone Veil au Panthéon le 1er juillet, aux cérémonies du 14 juillet, au retour de l'équipe de France de football le 16 juillet, et à divers déplacements privés du Président de la République.
Alexandre Benalla a par ailleurs conservé l'usage de ses passeports, qu'il a utilisés une vingtaine de fois après son licenciement, et d'un véhicule et a bénéficié de moyens renforcés avec l'attribution d'un logement de fonction à la mi-juin, ajoute la commission.
Il continuait également à participer à la réflexion sur la mise en place de la future direction de la sécurité de la présidence.
Pour la commission, "ces décisions témoignent moins d'une volonté de sanctionner que de ménager dans l'immédiat l'exposition médiatique d'Alexandre Benalla dans un contexte immédiat".
Pour la commission d'enquête, les agissements d'Alexandre Benalla ont "affecté" la sécurité du chef de l'Etat.

Les recommandations
A la lumière des dysfonctionnements soulignés tout au long des 160 pages de son rapport, la commission formule 13 préconisations destinées à améliorer la sécurité du chef de l'Etat et la transparence de l'Elysée.
Il est ainsi proposé de "mettre fin à l'expérience des collaborateurs 'officieux' du Président" tels qu'Alexandre Benalla et de "conditionner le recrutement" des collaborateurs "à la réalisation d'une enquête administrative".
Plus globalement, la commission des lois veut "conforter le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services" de l'Elysée.
Concernant la sécurité stricto sensu, les membres de la commission plaident pour une réforme du "cadre réglementaire relatif au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR)", lequel serait maintenu sous la "responsabilité organique" du ministère de l'Intérieur.

Contre-attaque gouvernementale, silence de l'Elysée
Le gouvernement a vivement réagi mercredi aux "contre-vérités" contenues selon lui dans le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur "l'affaire Benalla", l'Elysée refusant pour sa part de le commenter "par respect de la séparation des pouvoirs".
Au terme de six mois de travaux, la commission souhaite qu'Alexandre Benalla soit poursuivi pour "faux témoignage" et invite le parquet à s'intéresser aux "incohérences" des propos de collaborateurs de l'Elysée, dont le secrétaire général, Alexis Kohler, sur les agissements de l'ancien chargé de mission.
Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait annoncé que l'Elysée apporterait "des réponses factuelles sur manifestement beaucoup de contre-vérités qui se trouvent présentes dans le rapport".
"L'Elysée va prendre connaissance du rapport sénatorial et réagira prochainement aux propositions qui sont formulées par ce dernier", a fait savoir la présidence mercredi soir. L'Elysée "ne réagira pas en revanche sur le contenu de ce dernier par respect de la séparation des pouvoirs".
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a elle aussi invoqué la séparation des pouvoirs, estimant qu'elle n'était pas respectée par la commission du Sénat.
Les recommandations de la commission "concernent l'organisation interne de l'Elysée, il me semble qu'on n'est pas complètement dans le respect de la séparation des pouvoirs tel qu'il est prévu dans la Constitution", a-t-elle dit à BFM TV.
"Depuis le début, les sénateurs se comportent comme des juges politiques et essaient de faire de tout cela une affaire d'Etat. Or le rôle du Sénat, ce n'est pas d'être juge", abonde au haut responsable de la majorité.
"Plus ça va, plus on voit la dérive d'un homme. Mais il n'a pas été protégé, et d'ailleurs il est en prison", a-t-il dit à Reuters, alors qu'Alexandre Benalla a été placé mardi en détention provisoire.
Les remarques des deux ministres, "cela nous fait pas ciller du tout", a répliqué sur Public Sénat le président du groupe Les Républicains (LR) à la chambre haute, Bruno Retailleau. "Il faut des contre-pouvoirs en France".

"Feuilletonnage gênant"
La présentation du rapport du Sénat, majoritairement à droite, est le énième épisode d'une affaire qui est allée de rebondissement en rebondissement depuis le licenciement de l'Elysée d'Alexandre Benalla, en juillet.
Ses conclusions pointent des "dysfonctionnements majeurs au sein des services de l'Etat", accentuant encore l'impression de poison lent instillé par cette affaire dans le quinquennat d'Emmanuel Macron.
La cote du président s'est effondrée l'été dernier après les révélations par Le Monde des violences commises par Alexandre Benalla contre des manifestants en marge des défilés du 1er-Mai. Les mois suivants ont été marqués par la crise des "Gilets jaunes", à laquelle le chef de l'Etat a répondu par un "grand débat" et un discours de fermeté qui lui ont permis de regagner des couleurs dans l'opinion.
Pour Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'institut de sondages Ifop, Emmanuel Macron n'est pas fragilisé par ces nouveaux développements, en tout cas pour l'instant.
"Les critiques à son égard portent sur tout autre chose : le pouvoir d'achat, le 'président des riches'", a-t-il dit à Reuters. "Pour autant, le feuilletonnage permanent autour de cette affaire est gênant."
Alors que la présidence réorganise ses services, le rapport des sénateurs cible trois très proches collaborateurs du chef de l'Etat venus témoigner devant la commission : le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, le chef de cabinet, Patrick Strzoda, et le responsable du groupe de sécurité de la présidence, le général Lionel Lavergne.
"La commission a pu établir que plusieurs personnes entendues ont menti sur le périmètre exact des missions qui étaient confiées à M. Alexandre Benalla", souligne le rapport.
Ce nouvel épisode fait particulièrement de l'ombre à Alexis Kohler, dont le nom apparaît dans une enquête préliminaire ouverte l'an dernier par le parquet national financier, qui s'intéresse aux conditions dans lesquelles il a pu exercer certaines fonctions publiques malgré des liens familiaux avec l'armateur italo-suisse MSC.


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