Algérie - Actualité littéraire

« Français d’Algérie et Algériens avant 1962 » aux éditions Hémisphères



« Français d’Algérie et Algériens avant 1962 » aux éditions Hémisphères
Jean-Piérinot: Roger Vétillard, vous publiez un nouveau livre « Français d’Algérie et Algériens avant 1962 » aux éditions Hémisphères. Ce thème surprend un peu : est-ce un livre d’histoire, un ouvrage d’anecdotes ou un recueil de témoignages
Roger Vétillard : Depuis longtemps, je pensais écrire un tel ouvrage qui parlerait des relations inter-communautaires dans l’Algérie française. Je suis contrarié quand j’entends des personnes qui n’ont pas, comme moi, vécu des années en Algérie avant 1962, m’expliquer que les relations entre les pieds-noirs et les Arabes étaient inexistantes, qu’il y avait en Algérie un véritable apartheid, que les Indigènes ont été très heureux du départ des Français. Je ne savais pas comment aborder ce sujet. J’ai beaucoup lu : mémoires d’Algériens de ma génération, presse algérienne, mémoires de pieds-noirs. Et peu à peu j’engrangeais documents, citations et références.

Un jour, Joseph Pérez, le président du Centre de Documentation sur l’Histoire de l’Algérie, auprès duquel j’évoquais ce projet, m’a mis en relation avec Nicole Lenzini. Elle a recueilli, pour cette institution, les témoignages de dizaines de Français d’Algérie et, il n’était pas rare que cet aspect du vécu quotidien y soit évoqué. Elle m’a transmis ainsi plus de 70 témoignages. Elle a fait un très gros travail, transcrivant les enregistrements, sélectionnant les plus caractéristiques.

Mais il manquait des témoignages d’Algériens. J’ai donc sollicité mes amis algériens connus au Lycée ou dans le voisinage avant de quitter le pays at avec lesquels j’ai renoué des liens depuis des années. J’ai interrogé les Algériens que je rencontrais et d’autres Français d’Algérie.
Le plus difficile a été de mettre cela sur le papier.

En quelques mots, que révèle ce travail ?
Il montre qu’il existait entre Européens (c’est ainsi qu’étaient appelés ceux qui n’étaient pas des Indigènes, c’est-à-dire tous ceux qui étaient issus d’une immigration non maghrébine) et Musulmans, des relations amicales, parfois même de réelle proximité. Certains témoignages sont éclairants. Je raconte des moments où par exemple , un des membres d’une communauté a choisi de « sauver » un de ses amis de l’autre communauté, sauvetage gratuit et spontané dicté par la seule estime.

On retrouve cette proximité quand les pieds-noirs reviennent sur les lieux de leurs séjours algériens, ou quand les Algériens rencontrent les pieds-noirs en France. L’accueil est toujours bienveillant, amical et chaleureux. Ainsi cet homme qui revient, des décennies plus tard, dans la banlieue algéroise pour des raisons professionnelles et qui est amené dans les lieux de son enfance par le fils de son partenaire commercial. Dans le quartier, il est reconnu et passe de longs instants avec les anciens voisins, tous émus et tous heureux de revoir un des anciens de la cité. Son accompagnateur est surpris et ému de découvrir toute l’affection qui existait entre ces voisins, à lui à qui on avait enseigné que les pieds-noirs étaient de mauvaises gens.
Il y a encore ces articles de la presse algérienne contemporaine qui rappellent que les relations avec les pieds-noirs n’étaient pas exécrables, que la vie avant l’indépendance avait de bons côtés.

Mais l’essentiel de ces relations fortes existaient surtout dans les villes moyennes et les villages, à l’école, dans les activités sportives, dans les relations de voisinage. Dans les villes à forte densité européenne comme Alger et Oran, les rapports étaient plus rares, les deux communautés ayant moins l’occasion de cohabiter.

Mais, n’y avait-il pas, comme on le lit parfois, des attitudes religieuses irréductibles ?
Ce livre n’aborde pas cette thématique, même si dans plusieurs témoignages, on peut noter les difficultés que les jeunes Européens ont pu rencontrer lorsqu’il s’est agi de côtoyer des adolescentes musulmanes. On peut soutenir que les relations entre les individus, les familles, les voisins ont souvent été bonnes, mais globalement les relations entre les communautés n’ont pas toujours été très cordiales dans les zones où une des religions était très fortement prédominante. Ce n’est pas à partir de ces seuls témoignages que l’on peut avoir une image exhaustive des attitudes inspirées par les préceptes religieux. Et s’il y a eu, Ici et là, un « vivre ensemble » sympathique, cela n’a concerné que des groupes minoritaires.

Je dois dire que ce livre est fort bien accueilli par les enfants de pieds-noirs et également dans la presse d’Algérie (La Dépêche de Kabylie, La Cité, Le Matin).

ROGER VÉTILLARD, FRANÇAIS D’ALGÉRIE ET ALGÉRIENS AVANT 1962, AUX ÉDITIONS HÉMISPHÈRES, 192 PAGES, 15€

Roger Vétillard est né en Algérie. Après une carrière médicale hospitalo-universitaire, il se consacre à l’histoire de son pays natal, auquel il a consacré plusieurs études dont Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie (éditions de Paris, 2008, prix Robert Cornevin) et 20 août 1955 dans le nord-constantinois, une tournant dans la guerre d’Algérie ? (Riveneuve éd. 2012, Prix Jean Pomier 2014 et prix spécial du salon du livre de Toulouse).


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