Les fractures
d'Octobre, mal pansées, se sont consolidées par des cals vicieux. La remise en
cause de l'establishement politique unipolaire a abouti à une dégénérescence du
tissu social.
Des excroissances
atypiques sont venues se greffer à un corps à peine sorti de l'hypnose, induite
par les slogans les plus insensés du début des années 80 : «Pour une vie
meilleure !» suivi contre toute logique par «Travail et rigueur». Après le pain
blanc, le pain noir bien évidemment. Il s'en est suivi la remise en cause des
règles morales de bienséance, des bons usages. Le droit d'aînesse parentale ou
communautaire est mis à mal, la discipline de groupe se dissipe et l'individu,
dans tout ce qu'il a de primaire, refait surface. Ayant confié aveuglement son
destin à l'Etat-providence, il peine à croire que la corne d'abondance s'est
évidée.
Comment se
pourrait –il ? Qui en est responsable ? Et c'est tout trouvé : le maire du
coin, le petit chef d'entreprise ou le directeur de l'établissement public.
Privé pendant fort longtemps d'expression libre, on s'essaye à la protesta sans
grande conviction: la grève, le sit in dans sa forme pacifiste ou l'émeute dans
sa forme élaborée. Il était pour le moins curieux que le petit patronat et les
industriels privés n'étaient pas touchés par l'ire des travailleurs. Après les
tragiques coups de force, l'heure était au bilan. On pensait que la révision
constitutionnelle par l'ouverture des champs politique, médiatique et social
allait créer l'homme nouveau. Il n'en fut rien ou du moins pas dans sa
perception idyllique. Le discours n'était pas en phase du comportement, la
désillusion reprenait ses droits. La soif d'information crédible inaugurait la
fièvre parabolique ; les toits et les terrasses se grenelaient de gigantesques
assiettes collectives. Les câbles courraient de bâtiment en bâtiment. Les sites
des bidonvilles n'en étaient pas exempts. Les stations satellitaires
francophones ajoutaient de l'eau au moulin de la contestation même apaisée.
L'information arabe «sÅ“ur» dont la débutante «El Djazira» se mettait de la
partie. L'Algérie pestiférée, inspirait plus d'une rédaction.
Les stades
réunissaient tous les week ends, les «dieux de la guerre» surchauffés par les
oracles des «madjaliss» . La nuit noire enveloppa le pays longuement. En dépit
d'horribles déchirements et de hideuses meurtrissures, l'insouciance et la
désinvolture reprennent de plus belle, s'inscrivant cette fois ci, dans la
normalité. Les appréhensions du départ sur la déculturation par les
comportements occidentaux véhiculés par les chaînes de télévision, ont vite
étaient battues en brèche par les faisceaux médiatiques moyens orientaux.
La morale n'était
pas sauve pour autant. La suggestion lascive n'en était pas moins outrancière.
Les derniers remparts du conservatisme tombaient l'un après l'autre, la pudique
retenue partait en lambeaux. Alimentés par un flux en boucle d'émissions
télévisuelles, les jeunes et les moins jeunes du sexe féminin surtout,
tombaient dans les bras de niais feuilletons «misris» supplantés plus tard par
d'autres «tigres» de l'audiovisuel. Les scories du langage et de l'accoutrement
passaient insidieusement dans le coutumier. Une moyenne de trois heures par
jour de télévision est à défalquer sur les charges quotidiennes du ménage,
notamment l'éducation de la progéniture, qu'on confie volontiers à la rue pour
cause de conservation du fil des événements télévisuels. Le papa quant à lui,
il a d'autres préoccupations d'ordre professionnel ou mondain, ou les deux à la
fois. Quand ce n'est pas le cas, c'est le monde obscur de la «beznassa». Des
néologismes se conjuguant à tous les temps font intrusion dans le discours :
«ydaouar», «ynavigui». L'informel gagne tous les terrains, ses places fortes
sont connues et reconnues, du Hamiz à Sig et de Maghnia à Tadjenanent. Le
mercantilisme touche tous les milieux. Même le religieux n'y échappe pas, de
notables imams se proposent d'effectuer le pèlerinage à la place de défunts
parents contre espèces sonnantes et trébuchantes bien entendu. La «rokia» est
cette autre divine source de richesse.
L'enfance livrée
au DVD et à la rue, est mûrie précocement par l'environnement façonné par
l'attrait du lucre exacerbé par l'individualisme. Le commerce de la valise
mènera beaucoup aux cimes des conteneurs. L'enseignant, ce Diogène moderne,
cogitera seul dans son tonneau du savoir. Formé lui-même par les courants
contradictoires en post indépendance, il se retrouve désarmé face aux aléas du
dépit ; la conjuration sera plus forte que sa volonté. Des mamans «tigresses»
toutes griffes dehors, des papas «en mission commandée» et sans prérogative
aucune, une administration taupinière et un collège craintif l'ont depuis
longtemps laissé sans voix. De compromis en compromis, il négocie sa sérénité
pour ne pas dire son intégrité physique.
Ce comportement
délétère a ouvert la voie à tous les excès et ce n'est pas le dénuement social,
comme certains l'avance souvent, qui est source de déviances ; la zone verte et
les résidences huppées n'y échappent pas. Les gangs à pit-bulls et rottweilers
sont issus de quartiers loin d'être déshérités. A l'heure des bilans, qu'a-t-il
apporté Octobre à un pays en crise identitaire ? Une illusoire liberté
d'expression, une ouverture économique débridée portée par la porosité des
frontières créant de puissants lobbys de narcotrafiquants. La «came» n'est plus
cantonnée au petit dealer, son trafic se fait à grande échelle. Les services en
charge de la répression de la drogue ont saisi 28 tonnes pour la seule année
2008, quantité qui représenterait 1 3% à peine des quantités supposées échapper
au contrôle.
Des milliers de
nouveau-nés, dont une partie fera l'objet d'infanticide, sont abandonnés par
des mères célibataires. Une rue qui devient de plus en plus meurtrière par des
homicides dont les alibis dépassent tout entendement. Des villes sans âme,
jonchées par les ordures, sans salle de cinéma ni de théâtre et sans verdure
sont le gite de l'anomie. Dans leur tour d'ivoire, les élus du peuple pérorent
sur des lendemains qui chantent et parlent volontiers de «hogra», qu'en
savent-ils exactement ? Voici à peu de choses près ce que le libéralisme a pu
apporter à une société qui tend au bien être sans effort, à l'organisation sans
discipline et à la reconnaissance sans mérite. Un vieil adage populaire
restitue non sans sagesse, le vécu actuel : «Houkm jair oula riya sayba» ( une
main de fer est préférable à une communauté dissolue)
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Posté Le : 28/05/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com