De nombreux cadres de l'Etat vivent une situation de marginalisation dont
l'objectif premier est de les pousser à la porte de sortie.
Rencontrés au détour d'un ministère, des cadres nommés par décret et occupant
depuis longtemps des postes de responsabilités se voient, aujourd'hui, marginalisés
par leur hiérarchie. C'est au nom du «changement» que certains ministres et
hauts responsables d'institutions exigent de leurs anciens cadres de quitter
leur emploi en procédant aux formalités de la retraite. «J'ai quatorze ans de
décret, je souhaiterai rester au moins une année pour avoir le nombre d'années
requis afin de prétendre à une retraite respectable,» nous disait mercredi l'un
d'entre eux avec un air abattu. Un autre le rejoint pour nous raconter comment
«les anciens sont mis en quarantaine et traités avec mépris.» Des ministres
comme celui du Tourisme et de l'Artisanat a décidé, nous dit-on, «de mettre
plusieurs de ses cadres à la retraite et de les remplacer par d'autres qu'il
garde depuis longtemps sous la main.» Il semble que la revendication du
changement a marqué les esprits des gouvernants mais dans le mauvais sens. «Ils
nous demandent de partir parce qu'ils veulent, comme ils disent, nous remplacer
par des jeunes, ce n'est même pas vrai, ils veulent s'entourer de nouveaux
responsables qu'ils connaissent, qu'ils maîtrisent et qu'ils commandent bien…»,
nous disent-ils. «Il faut céder la place aux jeunes,» aurait dit Smaïl Mimoune à des cadres qui se
plaignent de n'avoir plus de bureau ou même de chaise pour s'asseoir. C'est
donc «au nom du changement des vieux par des jeunes», que ce dernier tenterait
de modifier l'organigramme et d'en changer les personnels par d'autres qu'il aurait
choisis selon des critères qui lui seraient propres. «On a appris qu'il veut
mettre des gens qu'il connaît soit parce qu'ils viennent de son parti ou de son
entourage, ça n'a absolument rien à voir avec cette question de jeunes qu'on
met dans toutes les réformes,» précisait un des cadres. Rompu à l'examen des
dossiers liés aux activités de leur secteur, des responsables de directions ou
de services se retrouvent alors «dehors», tout en étant «dedans», sans que cela
ne dérange aucunement leurs hiérarchies respectives. «Renvoyer quelqu'un à la
cinquantaine est un véritable crime, ils savent qu'il ne peut prétendre à faire
autre chose parce qu'il ne peut faire que ce qu'il a appris et dont il a fait
toute une carrière,» se plaint notre interlocuteur.
Le ministère de l'Industrie, de la PME et de la Promotion de
l'investissement (MIPPI), lui aussi, est plongé depuis de longs mois, dans la
même situation. L'on a appris que le syndicat des travailleurs a pris attache
avec le premier responsable du secteur, Mohamed Benmeradi,
pour lui expliquer les tenants et les aboutissants ou précisément «les dessous»
de comportements assez curieux de certains responsables. «On se retrouve d'un
coup mis de côté, sans aucun dossier entre les mains, on nous a fait comprendre
que nous sommes de trop,» nous expliquait mercredi un des cadres du MIPPI. En
fait, c'est le jumelage des portefeuilles ministériels dans un seul qui a créé
ce désordre au MIPPI.
«Vous au moins, vous avez un syndicat»
«Les cadres de l'Industrie sont totalement ignorés, ceux de la PME veulent prendre tous les
postes, on était tellement bien avant, on travaillait dans de bonnes conditions,»
nous disent certains d'entre eux. Nos interlocuteurs se plaignent du fait
qu'aujourd'hui «notre travail doit être apprécié et noté par des responsables
qui n'ont jamais été avec nous, ni ne nous connaissent ni ont pris connaissance
de ce que nous avons fait durant toutes ces années de travail.» Ils n'admettent
pas de se voir «évaluer à la fin de notre carrière par des gens venus juste
pour nous faire partir.» Ils reconnaissent cependant à Benmeradi
«cette volonté et cette faculté à accepter de voir avant d'agir.» Une fois
qu'il a pris connaissance de ce qui se tramait dans son ministère, Benmeradi a décidé, selon des cadres, de surseoir à toutes
les décisions de changement de responsables. «Vous au moins, vous avez un
syndicat,» lui répond un cadre du ministère de Mimoune
qui se sent totalement perdu.
Au siège de la Télévision
nationale, des journalistes se sont vus mettre à la retraite sans qu'ils ne le
soient véritablement. «On m'a dit de rentrer chez toi et d'attendre, tu es payé
alors prends ton temps, reposes-toi», s'indigne l'un d'entre eux. A la
rédaction de journaux privés, des rédacteurs en chef se sont vu non seulement
écartés brutalement de leur poste mais mutés dans des rubriques dont ils ne
maîtrisaient pas les thèmes. «C'est pire que le parti unique,» avait lâché un
responsable d'une institution, à propos des pressions que certains patrons de
journaux exercent sur des journalistes. Le mépris affiché à l'égard des cadres
de la Nation
n'est pas chose nouvelle. L'actuel Premier ministre a été l'un des premiers
gouvernants à en développer le syndrome et à l'inoculer à nombreux d'entre eux,
au nom d'une campagne bien orchestrée. C'était durant les années 90, au temps
où le terrorisme faisait rage et où les cadres rasaient les murs pour ne pas
être assassinés. Limogés, humiliés, jugés, emprisonnés, beaucoup d'entre eux
ont vu leur carrière brisée parce que le pouvoir d'alors avait désigné Ahmed Ouyahia pour mener contre eux, une indigne chasse aux
sorcières.
Les gestes méprisables des responsables
Il semble que depuis mai dernier, mois durant lequel le gouvernement a
été remanié, beaucoup de cadres de la
Nation n'arrivent plus à travailler. Ils traînent dans les
couloirs sans «objet» de travail. «Ils veulent nous pousser à bout pour qu'on
quitte par nous mêmes,» disent certains d'entre eux, avec amertume. Au
ministère de la Formation
professionnelle, certains attendent la publication de leur décret de mise fin
de fonction «pour qu'on puisse partir et tenter de voir ailleurs.» Aujourd'hui,
l'on affirme que «c'est une véritable chasse aux anciens cadres, on veut les
faire partir par n'importe quel moyen, pour cela, on prend tout en
considération sauf la compétence,» s'indignent-ils. L'actuel ministre de la Solidarité a
fait pire. Avant qu'il ne quitte son poste de ministre de l'Agriculture, Saïd Barkat avait pris le soin de renvoyer ou de muter tous les
cadres qu'il soupçonnait proches de Rachid Benaïssa, alors
ministre délégué chargé du Développement rural. Il a obligé certains d'entre
eux à rejoindre leur poste initial à l'Office algérien interprofessionnel des
céréales (OAIC). Une de ses secrétaires en a fait les frais. Elle passera par
une profonde dépression et vivra de longs mois, dans un bureau exigu sans que
personne ne daigne ni lui donner du travail ni même lui parler. Pour d'autres
raisons qui restent à ce jour obscures, en tout cas loin d'être convaincantes, Barkat avait suspendu un des cadres de la direction
centrale des Services vétérinaires. Brahim Messaoudi
en avait longtemps souffert. Face au mépris affiché à son égard par sa
hiérarchie, il sombra dans un profond chagrin jusqu'en perdre la vie. Il mourra
après près de deux ans de suspension. Barkat a fait
un autre geste méprisable, celui de le réhabiliter à titre posthume. Le
ministre a encore d'autres forfaits de mépris à son actif. Barkat
avait procédé en tant que ministre de la Santé à des changements à la tête des
établissements hospitaliers. Une semaine à peine avant qu'il ne soit «muté» à
la tête de la
Solidarité nationale, il prendra un malin plaisir à relever
un directeur de l'un de ces établissements pour le nommer… chef de bureau.
C'est dire que le pouvoir achève
bien ses cadres. En l'absence de recours clairs et de règles d'éthique
reconnues et respectées par l'ensemble des institutions de ce pays, nombreux
sont les cadres qui sombrent dans la déprime. L'Etat est tenu comme premier
responsable de la déchéance d'un capital-expérience
dur à (re)construire.
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Posté Le : 09/07/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com