RESUME - La qualité de la lumière dans toute sa pureté est codifiée et manipulée par la
population pour une fonction restreinte à chaque constituant architectural du Tlemcen
ancien.
La qualité de la lumière dans toute sa pureté a pour fonction la régulation des
comportements humains dans les différents espaces géographiques du Tlemcen ancien.
L’approche retenue est à la fois sémiologique et socio-culturelle.
Mots clés : lumière, pureté, fonction, qualité, architecture, Tlemcen.
1. Introduction
Les édifices constituant une ville sont des modes d’expression dotés d’un contenu
sémantique. Ce sont des signes architecturaux qui appartiennent à un système
sémiologique.
La distinction de la qualité de la lumière naturelle dans chacune de ces formes suscite des
fonctions et des modes d’expression dotés d’un contenu pragmatique. Ce sont des signes
lumineux qui appartiennent à un système sémiologique.
Nous procèderons à une analyse de ces deux types de signes qui sont des forces
complémentaires agissant en symbiose sur le comportement de l’individu.
L’étude s’articulera autour des axes suivants :
- Le Tlemcen « ancien »
- Le signe architectural |djidar|
- Le signe architectural |dərb|
- Le signe architectural |dar|
- Le signe lumineux « obscurité »
- La synthèse
2. Le Tlemcen « ancien »
Les facteurs de climat et de sécurité, à eux seuls ne peuvent suffire à expliquer le choix de
cette architecture ancestrale. Un témoignage du 12 è siècle de l’ère chrétienne nous donne
une image du Tlemcen ancien : « C’est une ville très ancienne entourée de solides remparts
fort bien construits, comprenant en réalité deux villes séparées par un mur … » ( Al-Idrisi,
1983).
2.1 Les premiers remparts |djidar|
Les morceaux des premiers remparts, appelés |djidar| en Arabe, sont visibles : à l’Ouest, au
lieu dit El Kalaa, ils entourent une grande partie du cimetière européen, aux abords de la
gare et surtout à la porte Nord dite |bab É™l qarmadin|.
2.2 les seconds remparts |djidar|
Les restes des seconds remparts existent encore au centre urbain au |madras|, dans la rue
des vieux remparts et dans un espace mitoyen de |dar əl ħadidts|.
Entre les deux remparts se situe la première « ville » dont nous parle el Idrissi et qui
comprenait des industries artisanales assez vastes. La toponymie nous les énumère :
|tsafrata| : les fours à chaux
|fakharin| : les faïenciers
2.3 Le |dərb|
« Le mot Derb, au pluriel Derab se trouve dans le dictionnaire avec le sens du rue étroite,
défilé. C’est ce mot que nous traduisons par « impasse ». En effet, dans l’acception vulgaire
qu’il a en Algérie, particulièrement à Tlemcen, il sert a désigner ces ruelles, si communes
dans les quartiers musulmans, qui n’ont qu’une seule issue à l’une de leurs extrémités et
sont quelquefois percées à droite et a gauche, d’autres ruelles plus petites encore,
également privées d’issue tel est le Derb MessOufa.
Autrefois, l’entrée de ces impasses était défendue par une porte qui se fermait la nuit »
(Ch. Brosselard Septembre 1861).
2.4 Le |dar|
L’habitacle est appelé |dar|, « Une cour centrale à ciel ouvert bordée ou nom de portiques
sur laquelle s’ouvrent les appartements de la famille patriarcale. » (André Ravérau ,1981).
La pérennité de la structure sociale est due à la qualité des signes architecturaux
dont tous les comportements sont issus de la manipulation de l’intensité et de la mise en
valeur de la lumière.
Pour ainsi dire, les signes architecturaux ont un sens apparent qui est celui de la protection
de la ville, du groupe et de la famille mais aussi un certain nombre d’implicites appréhendés
à partir du dosage du flux lumineux dont ils sont éclairés.
Il y a interaction des signes lumineux avec les signes architecturaux.
Nous y avons relevé une qualité de lumière hiérarchisée de la manière suivante :
- Le signe lumineux « clarté » : une lumière du jour dans sa pureté naturelle.
- Le signe lumineux « ombre » : une lumière du jour atténuée.
- Le signe lumineux « pénombre » : une lumière du jour fortement atténuée.
Le signe lumineux « obscurité » : une pénombre à son degré le plus faible voire une
Suppression de la lumière.
3. Le signe architectural |djidar|
Les premiers remparts |djidar| sont à la fois sécurité des habitants et sécurité des vastes
industries artisanales.
Les seconds remparts |djidar| sont une deuxième sécurité des habitants et une deuxième
sécurité de l’industrie et du commerce produits en intra-muros.
Les |djidar| sont des signes architecturaux qui objectivent la réalité sociale. Les |djidar| sont
un état de fait : l’entrée dans l’une des deux villes répond à des conditions essentiellement
de clientélisme.
La lumière sur les premiers |djidar| dans ses divers aspects qualitatifs : clarté, ombre,
pénombre et obscurité est une perception personnelle de la réalité.
La socialisation produite par les signes lumineux sur les seconds |djidar| et encore plus forte
pour l’individu .Ces |djidar| suscitent plus de légitimité à la vision imposée du monde.
Les signes lumineux sur les deux ensembles de |djidar| ont un double effet sur l’individu :
- La qualité de la lumière à une fonction de communication qui cristallise la perception
de la réalité concrétisée par ces deux ensembles de|djidar|.
- La qualité de la lumière est aussi une forme d’obstacle à la mystification. La lumière
décristallise la réalité imposée par les |djidar|.
Pour le premier effet, les signes lumineux procèdent à l’intériorisation de l’image sociale pour
les non-résidents.
Pour le deuxième effet, les signes lumineux ont une forme cathartique : ils sont déclencheurs
de libération et d’existence pour les résidents.
4. Le signe architectural |dərb|
La ville comprend deux catégories de |dÉ™rb| :
le |dÉ™rb| résidentiel est constitué d’impasses ne dépassant pas parfois un mètre de largeur
et regroupant un ensemble de maisons appelées |dar|.
Le |dÉ™rb| commercial est constitué d’impasses assez larges permettant l’accès aux bêtes
avec attelage et regroupant le commerce et l’artisanat. Les deux types de |dÉ™rb| sont
parsemés de mosquées.
Le |dÉ™rb| est surtout construit en fonction d’un signe lumineux voulu.
Dans le |dÉ™rb| résidentiel, le signe lumineux « ombre » a une valeur sociologique. La
perception de « l’ombre » intervient dans le comportement de l’individu. Pour le nonrésident,
les impasses du |dÉ™rb| sont des espaces où l’accès n’est pas permis puisqu’elles
abritent les |dar
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Posté Le : 28/10/2010
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : … Pour le résident, le signe lumineux « ombre » est sécurisant : il met à l’abri des regards la famille dans les membres peuvent stationner à |É™l atba|, le seuil de la porte du |dar| ,pour communiquer avec les voisines. Le soleil ne baigne totalement le|dÉ™rb| que dans sa position au zénith. Dans le |dÉ™rb| commercial, le signe lumineux « clarté » a une fonction économique. Il est essentiel à la réalisation des produits artisanaux. Le signe lumineux permet de contrôler et de procéder aux choix de l’article. La qualité de la lumière est un moyen de consécration de la qualité du produit et la consécration de l’artisan en artiste. Le signe lumineux « clarté » a une fonction scientifique : Mohammed Ben Ahmed ben abou yahia « connu sous le nom de sidi El Habbak enseignait la science de l’astrolabe » (Ibn Maryem, 16°siècle) …qui consiste aussi à s’intéresser au soleil pour déterminer l’heure de la journée et les moments des prières… Les signes lumineux « ombre » et « clarté » sont une socialisation du signifié de |dÉ™rb|. Le contenu pragmatique de ces signes lumineux instaure des réflexes conditionnés. - L’ombre connote le respect de la famille - La clarté dénote la valorisation du produit 5. Le signe architectural |dar| |dar| est une construction où se pratique la production et la reproduction de la force du travail nécessaires au fonctionnement de l’atelier et du commerce. |dar| est surtout un lieu générateur des pratiques et des habitudes sociales de la population. Pour cela chaque constituant architectural du |dar| est bâti en conformité des signes lumineux recherchés. 5.1 le signe lumineux « ombre » La cour centrale appelée |Fusaddar| comporte un arbre qui peut être : un figuier aux grosses figues noires ou une treille … Et, c’est sous l’ombre que « la mère dirige la vie domestique et distribue le travail aux unes et aux autres. » (Mathéa Gaudry ,1961) En cas d’intempérie, les femmes se réunissent sous le |nabah| , une galerie ouverte qui court devant les chambres . La fonction de la qualité du signe lumineux « ombre » est de voiler d’éventuels sentiments de révoltes ou de jalousies qui peuvent se reconnaître au niveau des traits du visage. |Fusaddar| est un lieu d’échange où le signe lumineux « ombre » sauvegarde cet échange essentiel à l’harmonie familiale et assoit l’autorité de la mère qui est respectée et obéie de toutes. 5.2 le signe lumineux « pénombre » |É™lkhazna| est une petite chambre où l’on met des provisions. Pour son éclairage, elle comporte une ouverture et où on ne peut regarder appelée |duwaya|. Ainsi |É™lkhazna| baigne dans la « pénombre »…Même si la porte qui donne sur |Fusaddar| est ouverte, il est impossible de percevoir nettement les produits qui y sont emmagasinés. La fonction de la qualité du signe lumineux « pénombre » est d éviter le « mauvais oeil ». 5.3 les signes lumineux « ombre » et « pénombre » |É™lbit| est l’équivalent du français chambre mais aussi : maison, demeure, appartement …|É™lbit| est le lieu qui abrite la famille restreinte composée du fils, de son épouse et de ses enfants. « Cette pièce était longue, étroite, et, à l’exception d’une petite fenêtre haute et carrée, qui laissait passer à peine quelques rayons de lumière, elle ne recevait de jour que par la porte. » (Ch. Didier, 1836). En plus deux rideaux nommés |É™l ħadzab| altèrent le flux lumineux. La fonction de la qualité des signes lumineux « ombre » et « pénombre » est d’éviter les regards des curieuses ou envieuses. A l’intérieur de |É™lbit|, les rideaux | qattaayat| séparent les parents des enfants rendant ainsi la visibilité moins forte encore. La fonction de la qualité des signes lumineux « ombre » et « pénombre » est de sauvegarder l’intimité conjugale. 6. Le signe lumineux « obscurité » Le signe lumineux « obscurité » intéresse tous les signes architecturaux. Il est synonyme de peur, d’insécurité voire de danger. Le signe lumineux « obscurité » fait apparaître le signe architectural sous différents aspects et a un pouvoir dissuasif. Il est la fonction phatique du signe architectural, la façon par laquelle s’énoncent le |djidar|, le |dÉ™rb| et le |dar| à l’individu pendant la nuit. Les signes architecturaux sont hantés par des créatures maléfiques : « des djinns, des r’ouls et autres êtres qu’il faut bien se garder de troubler dans paisible quiétude de leurs sombres domaines, si l’on ne veut s’exposer de leur part, à de dangereuses représailles. » (L’Avenir de Tlemcen,25 Mai 1906). L’anecdote tlemcenienne relate les faits suivants : Tergou chantait : « voilà la récompense de celui qui sort seul la nuit, Haddou. » …et lui, dans sa flûte répondait : « Puisses-tu trouver le malheur, ô Tergou ! ». Mais quand il la vit continuer à danser et à répéter sa menace, il eut peur tout de bon, se leva et à reculons voulu s’écarter ; elle le suivait de près, parfois s’élançait sur lui pour le manger … » (Georges Marçais, MCMXXXV). La fonction de la qualité du signe lumineux « obscurité » est la sécurité du patrimoine familial et matériel. Le signe lumineux « obscurité » est nécessaire en astronomie qui « est pour les tribus africaines qui confinent au grand désert et qui le traversent, une science nécessaire. »(Ph. Chasles, 1841). Les Messoufa étaient réputés comme étant de grands guides sahariens. Ils séjournaient ou habitaient dans le |dÉ™rb| qui porte leur nom. Ils suivaient probablement des cours d’astronomie, « science utile et sacrée, qui sauve l’homme de la mort et lui fait traverser sans crainte la mer de sable ; » (Ph. Chasles, 1841). La fonction de la qualité du signe lumineux « obscurité » est une investigation scientifique. 7. Conclusion La perception de la qualité du signe lumineux est aussi la perception du réel qui est façonné selon les intérêts et les valeurs du groupe humain. La lumière exerce une influence dynamique sur le signe architectural. La lumière est l’avant-plan nécessaire sans lequel le signe architectural n’aurait aucune signification. .Les signes architecturaux et les signes lumineux constituent un système de symboles construisant l’environnement et l’expérience du vécu de chaque habitant. Les signes architecturaux sont des barrières en terre et en pierre qui deviennent des barrières sociales grâce aux signes lumineux. Ben Sahla, chanteur, ayant vécu au 18°siècle, est conscient de la fonction et de la qualité de la lumière dans l’architecture de la ville : il composa un chanson intitulée : |ya dou ayani| « ô lumière de mes yeux » où il procèda à l’élimination des formes d’objectivisation de la réalité sociale en retenant uniquement le signe lumineux « clarté ». Il voit les traits de la femme tlemcénienne, Il voit ses cheveux, Il voit même ses vêtements. L’aspect vertueux de la femme est ainsi éliminé .La valeur disparaît en même temps que le signe lumineux qui l’entretient et la préserve de toute altération voire de toute souillure. La disparition de la fonction et de la qualité de la lumière est une contre-valeur, une contrenorme architecturale. A la diminution de la lumière s’oppose l’augmentation du respect. « L’ombre » et son altération en « pénombre » sont les signes lumineux de la vie familiale et intime. C’est surtout le monde où réside la femme, détentrice des valeurs du groupe. La qualité des signes lumineux « ombre » et « pénombre » permet de réduire la visibilité assez nette de la femme. Ce sont des formes de voile naturel qui cachent et protègent la femme. La femme est la pièce maîtresse de l’espace social. Elle est en même temps la pièce maîtresse de l’espace géométrique. 8. Références bibliographiques Al-Idrisi (1983) Le Maghrib au 6°siècle de l’Hégire.Texte établi et traduit d’après Nuzhat Al Mustaq par Mahammad Hadj Sadok, Ed. Publisud 1983 p.92, Tlemcen Brosselard Ch., (septembre 1861) Les inscriptions arabes de Tlemcen XVII. in Revue africaine N° 29, Ed. Bastide Alger ,Rééditin Kraus Thomson Organisation , volume N° 5 , note 1 p.325. Didier Charles (1836),Le Maroc,III Tétouan in Revue des deux mondes,tome huitième 4°série,Paris 1836, Ed. Imprimerie de H. Fournier p.678. Gaudry Mathéa, (1961), La société féminine au Djebel Amour et au Ksel, etude de sociologie rurale nord-africaine ,1°partie Conditions de la femme, Ed. Société algérienne d’imprimerie diverse ,Alger 1961 p.165. Ibn Maryem,(16°siècle),El Bostan ou Jardin des bigraphies des Saints et Savants de Tlemcen ,traduit et annoté par F.Provenzali ,Ed.Imprimerie orientale,Fontana frèreset Cie 191O p.253. L’avenir de Temcen (25 Mai 1906) ,journal n°647 imprimé par l’imprimerie Desbonnet. Georges Marçais (MCMXXXV-MCMXLV),Le dialecte arabe parlé àTlemcen, Histoire de Tergou et Haddou, in Mélanges Gaudefroy Demombynes,Ed.Imprimerie de l’institut français d’archéologie orientale, Le Caire MCMXXXV-MCMXLV, p.255. Philarète Chasles (1841), L’Algérie, in Revue des deux mondes, tome vingt septième 4°série,Paris 1841,Ed.Imprimerie de H. Fournier et Cie p.449 note1. Ravéreau André (1981),Le Mzab,une leçon d’architecture,Collection la bibliothèque arabe,Ed.Sindbad 1981 Paris 18 ° p.124.
Source : tabet_azeddine@yahoo.fr