Abdelkader Chaoui (1) a passé quatorze ans dans les prisons de Hassan II. Les plus belles années de sa vie dans un cachot sombre, à demi-enseveli sous terre.
Déconcertante horreur de la réalité concrète, de cette jeunesse qui n'est pas vécue et splendeur de la vie rêvée, dans l'enfance et dans l'adolescence où l'imagination dévore comme un brasier les mesquines abominations du quotidien, en se servant de plumes trempées dans l'encre comme torches d'incendie et instruments de transcendance : tel est le cheminement du héros de Etre et ses s'urs (2), écrit par Abdelkader Chaoui dans les geôles de Hassan II et publié à compte d'auteur en 1989. Tout dans ce roman a de quoi laisser une empreinte dans la mémoire la plus insensible. Cette solitude tragique entre des murs humides et puants, cette privation des plus simples joies humaines, cette mort en série de ses frères prisonniers qui s'attirent, sous la torture, l'un l'autre dans des tombes souvent inconnues et cette lueur à la fois si subite et si injustement partagée qui n'améliore en rien la situation morale des prisonniers fraîchement sortis des geôles sombres.Libre, le héros de Etre et ses s'urs arpente les rues de Casablanca à grands pas, la tête courbée par la méditation, car ce qu'il ressent est lourd : aucun espoir, aucune lueur, aucun travail à l'horizon. C'est un vagabond aux lèvres serrées, dont le vent tourmente l'esprit, qui rêve souvent d'un long sentier dans les collines. Il entend derrière lui ses s'urs bavarder en riant. Il se retourne, car il ne perçoit plus rien' Elles ont disparu. Il appelle, appelle. Elles ne répondent jamais. Abdelkader Chaoui a été incarcéré à l'âge de 23 ans. Il s'est soulevé en 1975 avec ses amis militants d'El Amam (en avant) contre l'invasion du Sahara-Occidental par les troupes de Hassan II. Le héros de Etre et ses s'urs est kafkaïen mais les « connaisseurs » trouveront en lui une certaine biographie du romancier.Après l'enfance, malgré tout heureuse, bercée par la puissante fantasmagorie du milieu familial, saoulé de lectures et de légendes, l'adolescence imprégnée de militantisme, souvent idéaliste, puis la jeunesse malheureuse en prison, l'amer dégoût de la vie et du monde s'installe dans son âme écorchée à vif. Le doux royaume, le rêve insensé sont perdus. Privé de tout, même libre, « l'Etre » ne pouvait désirer un compromis. Il avait cette « rojla » brûlante et gonflée d'un génie qui demandait à s'exprimer, d'une vie qui voulait jaillir avec une force de lave. Maintenant qu'il est contraint à vivre dans l'inactivité masquée par les mille soucis, « c'est encore pire que la rojla de prison » (P. 49). Le roman se termine par une expression symbolique : « La nuit porte conseil et demain' » (1) - Ecrivain marocain, arabophone né à Casablanca en 1952. (2) - A. Chaoui a, depuis, publié une dizaine de romans.
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Posté Le : 10/09/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Djilali Khellas
Source : www.elwatan.com