Algérie


Temps médiocres Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les relations auteurs-éditeurs ont été de tout temps tendues. En effet, l?auteur qui cajole son ?uvre telle une mère gâtant son fils (en fait, la relation auteur-livre a toujours ressemblé curieusement à une relation mère-enfant, et puis ne dit-on pas que tel auteur a « accouché » de telle ?uvre ?) a toujours eu des appréhensions quelquefois injustifiées envers le système éditorial. Quant à l?éditeur, poussé par une vision mercantile dans la plupart des cas, il ne ménage pas toujours l?auteur, allant jusqu?à le refuser carrément, tout en sachant parfois que son ?uvre est valable scientifiquement ou littérairement. L?affaire Proust-Gallimard est encore fraîche dans les mémoires. On dit aussi que seules les Editions de minuit ont fait survivre le « nouveau roman ». Le monde littéraire se rappelle aussi la poursuite infernale à laquelle les éditeurs ont obligé Dostoïevski durant sa vie. Le phénomène n?est pas étranger aussi à la civilisation arabo-musulmane. L?un de ses exemples les plus frappants a été certainement celui d?Abou Hayan Ettawhidi (qui était et reste pour la culture arabe ce qu?est Roland Barthes pour la culture française), qui, incompris par les transcripteurs et leurs employeurs, est allé jusqu?à brûler certaines de ses ?uvres dans un excès de rage, que beaucoup d?historiens littéraires attribuent au désespoir de se voir de tout temps falsifié ou piraté. Mais si dans le monde dit « développé », la relation auteur-éditeur a été clarifiée et régularisée par la loi sur le droit d?auteur, cette relation ne s?est guère améliorée dans le monde arabe (exception faite de l?Algérie et de quelques rares pays). L?éditeur contemporain a pris la relève du transcripteur de jadis. Les auteurs du Machrek se plaignent quotidiennement du « vol » caractérisé de leurs droits d?auteur. Les plus populaires sont carrément « piratés », surtout au Liban, où certains éditeurs sont passés maîtres en la matière. En effet, la piraterie littéraire est devenue monnaie courante ! Certains éditeurs en on tiré des fortunes étonnantes, et au lieu d?investir dans l?édition ou la diffusion du livre, ils ont investi dans l?immobilier et autres activités encore plus lucratives. Triste tableau dans un monde arabe déchiré politiquement et culturellement en ce début du XXIe siècle. Cette situation a engendré aussi tout un mouvement d?édition qui n?est pas sans conséquences graves pour la culture arabe- déjà sérieusement ébranlée par les déchirements politiques. Ce mouvement, qui n?a cessé de s?amplifier, s?est carrément spécialisé dans la reproduction des ?uvres du patrimoine (turath) arabe en matière religio-littéraire. Les sciences appliquées, aussi islamiques soient-elles, sont carrément omises du catalogue éditorial. Et dire qu?il y a des intellectuels arabes qui cautionnent la reproduction massive du « turath » en alléguant le retour à la « assalah » (authenticité) ! Ils oublient que le retour à celle-ci n?est guère le retour total en arrière, sans même ouvrir les paupières pour voir au moins la lumière du jour présent, l?avenir étant encore dramatiquement incertain pour tous les arabes ! En effet, publier le patrimoine seulement tout en omettant d?encourager la recherche et la création contemporaines (alors que l?Islam a toujours insisté sur l?importance de l?avenir) équivaut purement et simplement au suicide culturel et scientifique. Et le suicide est déjà sur le seuil de la porte ! La « nahda » (renaissance) qu?on a longtemps louée a été une illusion ! En face de l?éditeur irresponsable, de l?orientation politique carrément absente, la création littéraire et scientifique a vertigineusement régressé. Mais dans ce tableau noir, une petite lueur se dégage. Des associations d?écrivains, de chercheurs, d?éditeurs et de libraires de divers horizons se créent défendant la culture dans leurs différents pays et luttant tant bien que mal contre la marée montante de ces temps médiocres.


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