Algérie

Foires, consommations et « jérémiades sociales » Festival du shopping: discours de pauvres, dépenses de riches



Dans les colonnes de la presse ou dans les cafés de quartier, le discours est bien rodé: les Algériens sont pauvres, ils sont mal payés, les prix sont à la hausse, les salaires à la baisse, les syndicats sont en guerre et la vie est de plus en plus «invivable». Le spectacle de tous les jours est cependant autre: les Algériens achètent, achètent beaucoup, consomment et dépensent sans compter. Etat des lieux d'une contradiction nationale. A Oran, la dernière «bonne idée» économique a été une foire placée sous un slogan inédit: un festival du «shopping» dont le vague de l'interpellation autorise les stands de tous les genres et les dépenses qui slaloment entre la «folie» des budgets faciles et le nécessaire des budgets en chasse des soldes virtuelles. L'idée en soi peut être bonne, elle reste une hérésie du point de vue du calendrier. Comment a-t-on pensé à organiser une foire du shopping, alors que les Algériens viennent tout juste de clore le gros cycle des dépenses annuelles qui vont de la rentrée scolaire, le ramadan, l'Aïd et la fête du sacrifice ? Dans un pays normalisé, la question du «qui va pouvoir acheter ?» aurait donné matière à de grosses analyses qui auraient trouvé leurs arguments dans la faiblesse des salaires, leurs augmentations qui tardent ou qui se retrouvent vidées de sens par l'inflation, le chômage et le manque d'opportunités. Il n'en est cependant rien; «Allez du côté de M'dina Jdida le week-end et vous serez démentis !», nous dira une cliente en quête du «bel objet» au stand d'un bijoutier «Argent» spécialisé dans le filon «iranien» et autour duquel les femmes se bousculent au Palais des sports depuis quelques jours. Le paradoxe est, en effet, presque inexplicable: d'un côté un discours ambiant de demande sociale incompressible, difficilement négociable, soutenu par des fronts syndicaux et des supports partisans avocats «du réel difficile des Algériens» présentés comme touchés de plein fouet par l'augmentation «mondiale» des prix à la consommation, le manque d'emploi et la panne des offres et, de l'autre, une explosion de la consommation qui profite aux réseaux des banques et leurs produits de «crédits» en tout genre, un calendrier de foires et de braderies généralisées, un commerce informel qui se «nourrit» d'une demande en hausse et des dépenses de ménages qui font croire que la classe moyenne algérienne existe bel et bien et qu'elle se porte mieux que les statistiques de l'échec dit économique. A la foire du shopping à Oran, les exposants ne se souciaient pas de chercher l'explication; «J'ai vendu plus de bijoux made en Iran durant les trois premiers jours que dans mon magasin», nous répond un revendeur. En témoigne le haut de son catalogue avec des colliers et des parures de fantaisie cédés à 50.000 DA l'unité et vendus déjà en plusieurs exemplaires. Devant le journaliste, les revendeurs préfèrent parfois jouer les victimes de la mévente mais le sourire est toujours là pour illustrer la plaisante mauvaise foi. Tout se vend et se vend bien. Miel, huile d'olive, couettes «soldées», meubles importés, gâteaux syriens et ustensiles de cuisine répondant plus au design qu'à la nécessité. Les prix ? Ils sont à peine soldés. «Les fabrications chinoises sont déjà à des prix qui défient les concurrences», nous expliquera un responsable de stand «décor» kitch avec des tableaux «coraniques», des bouquets de fleurs en plastique et des kits maquillage à 200 DA le «trois en un». Où se trouve l'explication ? «Nulle part !», nous dit-on avec amusement car «les Algériens ont de l'argent, en trouvent lorsqu'ils veulent acheter ou s'endettent lorsque c'est nécessaire pour ne pas rater les occasions». A la fin, il n'est même plus besoin d'afficher des «soldes». Tout se vend dès qu'on l'expose, le reste n'étant que reliquat du discours d'assistanat légué par le socialisme et qui profite à l'ère du marché libre. Est-ce absolument vrai ? Peut-être pas. Pour certains, l'explication est d'abord dans l'effet d'optique et de foule. «La classe moyenne algérienne n'est pas toute l'Algérie», tente de résumer un vendeur de bijoux «kabyles» venu de l'Algérois pour cette occasion, ancien universitaire à l'époque des engagements idéologiques des années 80, très critique envers la presse «d'aujourd'hui» mais confortablement converti dans le commerce dit culturel. Pour lui, et là il frôle la bonne analyse, les Algériens ne sont ni pauvres ni riches: ils sont dépensiers, peu économes et encore affolés par l'explosion de l'offre pléthorique. L'explication est peut-être là, dans la psychologie plutôt que dans la gestion rationnelle des budgets de ménages. Une sorte de réaction par l'excès à trente années de pénuries et de magasins d'Etat et qui joue avec finesse ou irrationalité sur la contradiction entre le revenu formel, le salaire qualifié de bas et de non suffisant, et les revenus informels (couple qui travaille, emploi informel, rentes indirectes, double emploi). Les foires étant là non pas pour prouver que l'économie et la consommation se portent bien mais pour illustrer la bonne santé de débrouillardise collective. Au festival du shopping en cours au Palais des sports à Oran, on ne vend pas, du coup, que du nécessaire (ustensiles de cuisine, meubles et vêtements) mais aussi de l'accessoire dont le filon se porte bien (bijoux iraniens et hindous qui sont à la mode, décorations et trousses de maquillage au rabais). L'argument du «mouton» de l'Aïd qui aurait endetté les ménages algériens se retrouve spectaculairement démenti et pousse à croire que la classe moyenne se porte bien en Algérie, autant que son discours de classe «fauchée». Aux stands, la bousculade des types de «familles» algériennes (celle du nouveau couple dont les achats sont négociés à l'amiable et par consensus, celle matrimoniale de la mère âgée qui commande à une série de descendance assourdissante, celle de la femme seule, épouse de cadre moyen, la quarantaine, venue comparer les prix ou celle des familles bruyantes des quartiers populeux de la ville, âpres à la négociation mais promptes à l'achat, etc). La bousculade est impressionnante et laisse songeur. On a de la peine à croire qu'il s'agit du même pays qui va faire grève pour demander plus dans quelques jours et dont l'essentiel de la revendication et de survivre à la menace alimentaire et à celle du sous-salaire depuis des décennies. La conclusion ? Au festival du shopping, il n'y avait pas toute l'Algérie, certes, mais une grosse partie de sa mentalité et de sa nouvelle culture. D'où le paradoxe de ce discours de pauvres avec des dépenses de riches.


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