Publié le 03.01.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Kamel Boudjadi
La question des prix reste toujours posée au sujet des produits du terroir tant sur les circuits commerciaux nationaux que sur les marchés internationaux. Toutefois, sur le terrain, ce problème se pose avec persistance et acuité sur le marché national, qui demeure désorganisé et le théâtre de tous les dépassements, et même de toutes les extravagances. Les produits du terroir se vendent à des prix ne répondant, selon toute vraisemblance, à aucune logique commerciale. Malgré les arguments des producteurs, le consommateur reste éberlué devant les prix affichés de certains produits, à l'instar des figues sèches, de la cerise et de l'huile d'olive. Cette différence d'appréciation, qui se déroule en dehors de tout contrôle, a, ainsi, nécessité une virée sur le terrain. Producteurs et acheteurs parlent de la question des prix et s'interrogent surtout sur l'absence de régulation en la matière.
Des prix défiant toutes les règles
Sur le marché de Draâ Ben Khedda, les avis sont illustratifs de ce décalage abyssal entre les avis des uns et des autres. Les prix ne sont pas logiques pour les premiers à cause de leur discordance de la réalité. Pour l'autre partie, produire ces richesses du terroir n'est pas une mince affaire, «mais ce producteur oublie que tout le monde doit suer pour faire son travail. Il n'y pas que la culture des figues sèches qui est difficile et fatigante», rétorque un citoyen choqué par le prix du kilo de figues sèches annoncé par le vendeur qui tient un espace sur ledit marché. C'est vrai que le kilo de figues sèches à plus de 2 000 dinars peut choquer plus d'un. «C'est incroyable! 2 400 dinars pour un kilo de figues sèches. Calculez maintenant le prix d'une figue, qui doit dépasser 200 dinars. Incroyable!», lance un autre acheteur choqué par ce calcul. De leur côté, les producteurs, généralement des citoyens qui ignorent tout des règles commerciales, font prévaloir l'effort consenti pour produire des figues. «Moi, je sue pour produire mes figues. Je dois piocher, désherber et veiller à protéger mes figueraies des maladies et des animaux rongeurs. Parfois, je dois veiller des nuits afin de préserver les figues qui tombent. Donc, le prix ne peut qu'être élevé», explique le vieil homme, avec assurance. «Tout le monde se fatigue pour son travail. Il n'y a pas que lui, mais ce n'est pas pour autant qu'il peut fixer n'importe quel prix. Il y a des règles à respecter afin de fixer des prix, mon ami», répond une dame restée un long moment bouche bée en entendant le prix.
L’illogique commerciale
En fait, le processus de définition des prix est quasiment inexistant dans ces filières, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, il est évident, de par les discussions, que la culture commerciale est inexistante. Le processus de fixation des prix n'obéit à aucune règle, dont la plus élémentaire est celle du calcul des prix de revient et de la marge bénéficiaire. «Moi, je ne calcule rien. Les figues sèches sont un héritage qu'il ne faut jamais vendre à bas prix», explique un vendeur sur le marché de Tigzirt, ville littorale située à une cinquantaine de kilomètres au nord du chef-lieu de wilaya. Ce n'est pas uniquement la figue sèche qui est cédée à des prix qui défient «toute concurrence». C'est la règle pour tous les produits. Sur le même marché, un kilo de marrons coûte 200 dinars. «Pourquoi exactement 200 dinars le kilo de glands? C'est quelque chose que vous avez cueilli gratuitement à coté de votre maison», interroge un enseignant qui veut comprendre le mécanisme de calcul du prix.
L’absence de circuit commercial
«La vie est chère mon ami. Même le gland doit suivre. Je ne peux pas le vendre à 50 dinars alors que le kilo d'orange dépasse les 200 dinars», répond le jeune qui expose son produit dans un cageot et qui tient à préciser que la question ne se pose pas car les prix sont tous alignés sur la même logique. «Pourquoi, vous ne dites rien à propos des champignons? Ils sont cédés à des prix exorbitants, pourtant, je connais des gens qui les cueillent dans leurs champs sans dépenser aucun sou», ajoute-t-il en guise d'argument.
Labellisation et certification en pare-feu
La question se pose d'une façon persistante. Les produits du terroir ont besoin d'un circuit commercial organisé, capable d'offrir aux producteurs des opportunités d'écoulement de leur production. À l'état actuel des choses, tous les produits sont vendus dans l'anarchie la plus totale. Récemment, les services concernés reconnaissaient que seulement 4% de la production de la cerise passe par les circuits légaux.
Le reste est vendu dans des conditions lamentables sur les routes et les marchés hebdomadaires. «Oui, je produis du miel mais où, à votre avis, pourrais-je le vendre? Hormis les foires qu'organisent la Chambre et la direction de l'agriculture, il n'y a aucun autre espace. Le miel, plus que d'autres produits, souffre de l'imitation qui nuit gravement à sa notoriété», déplore un apiculteur interrogé alors qu'il exerce la vente comme un vendeur ambulant. Le prix du miel au moins obéit à une certaine logique, étant donné l'existence d'une organisation de la filière via les services concernés qui assurent des formations et des associations qui prennent part à cet effort. «C'est vrai que les services de l'agriculture nous accompagnent chaque jour, mais ils ne peuvent pas assurer le volet commercialisation qui ne relève pas de leur compétence. Nous avons l'un des plus riches ruchers du pays, mais il nous manque des circuits de vente», explique Lounès, un apiculteur de Makouda. En fait, la question de la commercialisation se pose pour tous les produits. Même si du point de vue des prix, une certaine logique est respectée, pour le miel et l'huile d'olive, il n'en demeure pas moins que la vente se fait selon des procédés primitifs. «L'huile d'olive de Kabylie est encore vendue dans des bouteilles d'eau minérale et d'autres récipients inadaptés. Seuls quelques vendeurs parviennent à proposer de l'huile dans un emballage digne de ce nom, mais encore faut-il qu'ils trouvent un client potentiel», explique le propriétaire d'une huilerie. «Je ne peux pas vendre mon produit à n'importe quel prix. J'ai durement souffert pour le récolter», explique un vieil homme interrogé dans une huilerie. «Il va falloir s'adapter aux règles commerciales car la concurrence fait rage». «L'huile produite dans les autres régions est de très bonne qualité et à de meilleurs prix», répond Ali, enseignant à Alger mais qui a l'habitude de triturer dans l'huilerie de son village. Experts et spécialistes ne cessent d'appeler à moderniser les filières, via un processus universel fondé sur la certification et la labellisation. Ce sont les meilleures voies afin de sortir ces produits de la vente anarchique et incontrôlée. «Il nous faut beaucoup de laboratoires. Nous avons besoin de ces mécanismes pour organiser la production et la vente. La question des prix ne peut être réglée qu'une fois arrimée aux règles prévalant à l'international. Mais pour y parvenir, il faudra rattacher aussi la qualité», explique Arezki, commerçant et propriétaire d'une huilerie moderne. Ce chapitre s'impose ainsi comme une solution en amont, parallèlement aux efforts consentis, en aval, par les services agricoles.
La certification et la labellisation des produits du terroir permettra d'adapter leurs prix aux marchés internationaux, impliquant objectivement leur définition sur les circuits commerciaux nationaux.
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Posté Le : 03/01/2023
Posté par : rachids