Algérie

"Fidèle à ses principes jusqu'à la mort"




img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P160102-12.jpg" alt=""Fidèle à ses principes jusqu'à la mort"" /L'Expression: Hocine Ait Ahmed, le dernier chef historique vient de décéder. Quel sera d'après vous l'héritage laissé parce monument de notre histoire à la génération d'aujourd'hui'Benjamin Stora: A mon avis, l'héritage premier est celui du combat anticolonial livré très jeune. Il est l'un des rares jeunes lettrés de l'époque à rejoindre le PPA. Il le fait par souci de justice, d'égalité entre tous les hommes, par refus de voir une partie de la société algérienne, «indigène», rejetée dans la sous-humanité, le mépris décrété par le système colonial. Hocine Ait Ahmed n'a jamais été un adversaire du peuple français, mais l'homme qui a combattu un système colonial noyé dans l'illusion d'être le dominant de ce pays à jamais. Le second héritage est celui, bien sûr, des combats livrés pour la démocratie, pour le respect des droits de l'homme, après l'indépendance de 1962. Cherchant à tout prix à préserver l'unité de la direction politique, mais n'y parvenant pas au cours du fameux été 1962. L'unité ne signifiant jamais à ses yeux le refus de la pluralité politique, ou culturelle.Vous avez connu Ait Ahmed, l'homme opposant, soit en personne soit à travers vos travaux de recherches. Qu'est-ce qui vous aura le plus marqué chez lui'J'ai rencontré pour la première fois Hocine Ait Ahmed au début des années 1980 à Paris. Il venait de soutenir sa thèse sur la question des droits de l'homme dans les pays du tiers-monde. A cette époque, je travaillais à la rédaction de mon Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, ENA/PPA/MTLD, publié en 1985, et il m'a beaucoup aidé en me donnant des précisions sur la vie et l'activité des militants. Il travaillait alors à la rédaction de son livre autobiographique, Mémoires d'un combattant, publié en France en 1983, et qui a été une «mine» de renseignements pour le jeune historien que j'étais. J'avais été frappé par son méticuleux travail de recherches pour écrire son livre, avec un souci d'exactitude, de recoupement des sources. Il effectuait ses recherches avec beaucoup d'application.C'était alors, avec le livre de Ferhat Abbas, L'indépendance confisquée, l'un des très rares ouvrages de souvenirs de militants nationalistes, et qui servait de référence, notamment pour la connaissance du mouvement nationaliste en Kabylie, ou pour les préparatifs d'une insurrection avortée en mai 1945. Ecrit avec justice, objectivité. Par exemple, au sujet du personnage de Messali Hadj, dont j'avais établi la première biographie en 1978, et que Hocine Ait Ahmed avait combattu en 1954 au moment de la création du FLN, il dressait le portrait d'un homme chaleureux et attentif. A contre-courant des idées reçues à l'époque. Il a rendu un hommage appuyé à sa compagne, Emilie Busquant, lors d'une cérémonie plusieurs années après (voir texte en pièce jointe). En d'autres termes, il savait respecter un adversaire politique, c'était un démocrate authentique.Son décès aura certainement un impact sur l'Algérie actuelle...C'est difficile à dire. Il apparaît surtout comme un homme de principes, de refus des compromissions avec l'ordre établi. Intransigeant, et ce refus de la compromission, et non d'un compromis possible, lui a été beaucoup reproché, surtout durant les années 1990, lors de la décennie sanglante que l'Algérie traversait. Mais il restait ferme sur ce principe: «Ni Etat policier, ni régime intégriste.» L'échec de cette «troisième voie» l'isolait, mais il ne renonçait pas. C'est peut-être l'image de ce refus obstiné face à l'Etat, qui restera. Cette lutte constante contre l'injustice.Vous avez beaucoup écrit sur l'histoire du Mouvement national. Vous êtes un observateur averti, sollicité et respecté. Comment appréciez-vous le rôle politique joué par Hocine Ait Ahmed à travers son combat'Il a mené un combat dans des conditions difficiles d'isolement. D'abord, après son arrestation en octobre 1956, emprisonné, et hors du terrain de combat contre le colonisateur.A l'extérieur de son pays ensuite après 1966, cherchant inlassablement les voies d'un rassemblement démocratique.Durant le «printemps berbère» en 1980, ou lors de la création de la première Ligue algérienne des droits de l'homme, avec Ali Yahia Abdenour.A travers la création, avec l'historien René Gallissot du Comité pour la vérité sur l'assassinat d'Ali Mecili en 1987. Je le voyais aussi dans ces terribles années 1990, cherchant les voies d'un compromis pour sortir de la crise. C'était un militant, qui récusait le terme de «chef historique».Hocine Ait Ahmed a choisi d'être enterré dans son village natal et a souhaité des funérailles populaires refusant des obsèques officielles. Quelle signification donnez-vous à cette volonté'Il est resté fidèle, jusque dans la mort, à ses principes. Refuser l'arbitraire, le mépris organisé par les pouvoirs en place. Cela ne m'étonne pas. Mais il est normal aussi que l'Etat-nation rende hommage à celui qui a été l'un des pionniers dans la lutte anticoloniale. Le peuple, lui, dans son immense majorité, voit en lui l'homme des refus, le combattant de la liberté.Un dernier mot sur Ait Ahmed: un souvenir, un constat, une anecdote...Au moment de la réalisation de mon documentaire, «L'indépendance aux deux visages», diffusé en 2002, il m'avait accordé un long entretien. Et j'ai été frappé par son aspect chaleureux, son souci de rendre vivante cette histoire si compliquée.Il expliquait en restituant des anecdotes savoureuses, comme par exemple les débats tumultueux du congrès de Tripoli en juin 1962, ou l'élaboration de la première Constitution algérienne dans un... cinéma d'Alger en septembre 1962. C'était un homme qui avait toujours le sens du détail, de la pédagogie pour la transmission d'une mémoire aux jeunes générations.




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