Algérie

Ficelles et marionnettes



Et si Belaïd Abdessalam et le général Touati ni adversaires ni ennemis, mais deux hommes complémentaires ? Lecture. Il y a des matches difficiles à arbitrer. Celui que se livrent, en ces journées de canicule, Belaïd Abdessalam et le général Mohamed Touati en fait partie, tant il est malaisé de rester neutre dans une confrontation où la seule décision raisonnable semble être de sanctionner les deux protagonistes d'un carton rouge et de les renvoyer dans leur douar d'origine, en leur signifiant clairement qu'ils sont définitivement exclus du jeu. Car, à lire les reproches que les deux hommes s'échangent et le type d'argument qu'ils présentent pour se défendre, on a de la peine à croire qu'ils ont eu en charge la direction des affaires du pays dans un moment crucial. Dans ce combat faussé, Belaïd Abdessalam semble, à priori, plus faible. Arrogant, imbu de sa personne, adoptant le ton de celui qui détient la vérité, il ne semble même pas se rendre compte de la faiblesse de ses arguments. Racontant comment il est devenu chef du Gouvernement, durant l'été 1992, il donne aussi, malgré lui, une idée sur le fonctionnement du pouvoir. Il a rencontré le président du HCE d'alors, Ali Kafi, et celui qui apparaissait comme l'homme fort du pays, Khaled Nezzar. Il leur fait un exposé sur sa manière de voir la gestion du pays. A l'issue de l'entrevue, ils lui proposent le gouvernement, et il accepte. Aussi simplement. Il n'y a ni délibération, ni concertation, ni consultation. Et cela se passe au moment où, l'Algérie est en train de basculer vers le terrorisme, deux semaines après l'assassinat d'un chef de l'Etat, Mohamed Boudiaf. La démarche révèle une partie de la manière dont Belaïd Abdessalm conçoit le pouvoir. La légitimité est un concept dont il ne se soucie guère. Nommé par l'armée, il a une légitimité au-dessus de tout. Quant aux choix économiques et politiques, il est persuadé qu'il détient la vérité. Il brandit un nationalisme épidermique qui lui suffit à justifier tous les errements. Ses échecs ne peuvent donc être que le résultat de mauvais choix. Il les impute aux autres. Il a ainsi passé une décennie, celle des années 1980, à accuser le président Chadli Bendjedid et ses gouvernements successifs. Il a passé la décennie suivante à accuser le général Touati. Toutefois, le déballage de Belaïd Abdesalam reste cette fois-ci sélectif. Dans la version de son livre mise sur le net, il omet de parler de l'intervention du général Touati au profit d'un puissant industriel, qui avait bénéficié d'un dégrèvement fiscal d'une vingtaine de milliards. Il ne parle pas non plus des trois puissants hommes d'affaires qui monopolisaient 80 pour cent des crédits en devises sous le gouvernement de son prédécesseur. Pourquoi ces silences, alors que Belaïd Abdessalam en avait abondamment parlé dans des déclarations antérieures ? A l'inverse, le général Touati apparaît comme un homme souple, sachant manier les mots et les concepts. C'est un « mokh », paraît-il. Un homme qui prend Belaïd Abdessalam de haut, presque avec mépris. Un expert qui manipule aussi bien les questions sécuritaires que le contrôle des changes. Belaïd Abdessalam a laissé l'Algérie en cessation de paiement larvée, obligeant la Banque d'Algérie à recourir à la pratique périlleuse des « suspens », rapporte le général Touati. Et dans la foulée, il explique en quoi consiste cette technique : différer les arriérés de paiement pour disposer d'un minimum de fonds et éviter de se déclarer en faillite. La leçon d'économie achevée, le général Touati a beau jeu de tirer sur un cadavre politique, un cadavre certes velléitaire, mais un cadavre tout de même. Et cela révèle toute l'habileté du général Touati comme celle du vrai pouvoir algérien : concentrer toute l'attention sur les erreurs, grossières, du pouvoir apparent pour éviter de donner son propre bilan. S'il est aisé de charger Abdessalam de tous les maux, on n'a pas connaissance d'une opposition du général Touati à sa nomination à la tête du gouvernement, alors que Abdessalam a au moins mérite, celui de n'avoir jamais caché ses préférences pour une économique bureaucratique centralisée « djahilienne » et un autoritarisme sans limites. Le général Touati confirme ainsi où se trouve le vrai pouvoir. Il révèle comment, lui et Khaled Nezzar, un homme qui n'est pas particulièrement connu pour la finesse de ses analyses économiques, ni politiques d'ailleurs, il révèle comment ils ont poussé Belaïd Abdessalam vers la sortie, pour le remplacer par Rédha Malek et aller à une décision capitale, celle du rééchelonnement de la dette extérieure. C'est peut-être là l'un des rares points d'intérêt de cette polémique entre Belaïd Abdessalam et le général Touati : montrer comment fonctionne le pouvoir, avec quelle légèreté sont prises certaines décisions qui engagent l'avenir du pays, et comment des subalternes sont chargés d'annoncer des décisions prises ailleurs alors que ceux qui décident réellement sont dans l'ombre, et n'ont de comptes à rendre à personne. Belaïd Abdessalam fait partie de ceux qui font des discours, ont l'illusion de gouverner et se lancent dans des pamphlets qu'ils confondent avec le débat politique. Le général Touati fait partie de ceux qui décident, poussent vers des choix dont l'impact est très grave pour le pays, mais restent dans l'impunité. C'est la principale différence entre les deux hommes. Pour le reste, ils sont parfaitement complémentaires. Ils sont même indispensables les uns aux autres. Car celui qui tire les ficelles ne peut vivre que s'il y a une marionnette au bout de la ficelle.


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