Algérie

FESTIVAL INTERNATIONAL D'ORAN DU FILM ARABE



FESTIVAL INTERNATIONAL D'ORAN DU FILM ARABE
Le jury de la compétition du documentaire présidé par Noureddine Adnani a certainement eu moult difficultés pour départager les douze films en compétition au 8e Festival international du film arabe d'Oran qui s'est clèturé vendredi soir à l'hôtel Méridien. La dernière journée des compétitions a été forte en émotions mais aussi pleine de propositions cinématographiques d'un grand intérêt. Sans aucun doute, cette 8e édition se distingue des précédentes par une hausse d'exigence dans la sélection des films. Et pour cause, il existe un fascinant paradoxe qui fait que la réalité arabe actuelle dans toute sa laideur contraste avec la créativité esthétique des cinéastes. L'exemple du réalisateur palestinien Rashid Masharawi est édifiant à ce sujet. Son film «Lettres de Yarmouk» est réalisé à partir de correspondances en Skype avec Niraz Saeed, un jeune réfugié qui écrit en images un journal intime du camp de Yarmouk en Syrie, victime à la fois d'un siège de l'armée de Bachar Al Assad, de la terrifiante présence des terroristes de Daesh dans un quartier voisin et des bombardements quotidiens visant ces derniers. Artiste photographe, Niraz passe ses journées à filmer la vie quotidienne dans ce camp martyrisé, victime de toutes sortes de fléaux, allant de la malnutrition aux tirs des snipers en passant par les maladies infectieuses et les dizaines de décès par jour. En contact quotidien avec le réalisateur par internet, Niraz lui envoie une somme impressionnante de photographies et de vidéos. Ces images distillent tour à tour les plus insoutenables sémantiques de la souffrance humaine et les moments de joie, de création et d'amour. Nulle trace de misérabilisme ni de mélodrame dans ce documentaire qui emprunte plus au cinéma direct qu'aux reportages pleurnichards dont on a l'habitude. Niraz ne connaît pas la destination finale de cette mémoire visuelle qu'il construit obsessionnellement mais le cinéaste palestinien Rashid Masharawi, résidant à Ramallah, trouve enfin un espace pour saluer l'art du réfugié : le musée Mahmoud Darwich où ses photographies seront exposées. Une belle manière de dire qu'au-delà des clichés, des slogans et des solidarités infécondes, il existe un espace pour l'art et la sublimation. La thérapie que fut cette expo pour les deux amis ne durera cependant pas : Niraz perd son frère, fauché par un sniper à l'extérieur du camp ; sa fiancée, Lamees, finit par obtenir un statut de réfugiée en Allemagne et attend avec impatience la fin du blocus sur Yarmouk pour qu'il puisse la rejoindre. Entretemps, le spectateur aura reçu une rafale de gifles tant la force des scènes filmées par Niraz crée une violente tension émotionnelle, qu'il s'agisse des enfants mourant de faim et attendant vainement l'arrivée des aides humanitaires, ou des récitals sauvages de son ami Waeel qui chante et joue au piano au milieu des ruines. L'humanité désarmante des différents personnages et la dignité quasi-surhumaine avec laquelle Niraz filme les atrocités les plus féroces font de «Lettres de Yarmouk» l'un des plus beaux documentaires sur la cause palestinienne. Du côté algérien, Nassima Guessoum maintient l'émotion déjà forte dans la salle avec son film «10949 femmes», une élégante et bouleversante rétrospection de la participation massive et tout aussi occultée des femmes algériennes à la Révolution du 1er Novembre 1954. La réalisatrice tisse un portrait de l'une d'entre elles, Nassima Hablal, la première femme à avoir rejoint le FLN en 1955. Cette octogénaire brûlante de vie et pleine d'anecdotes nous fera visiter l'histoire du pays à la manière d'un fabuliste de génie. Loin des postures doctorales et des discours insipides qui collent tenacement à ce thème, Nassima, regardée tendrement par la caméra de la réalisatrice, replonge dans ses souvenirs avec autant d'humour que de lucidité. De son adhésion à l'UGTA à son travail en Tunisie en passant par ses années de maquis dans la Wilaya IV, l'ancienne maquisarde peint une fresque vertigineuse où s'entrechoquent noblesse et ignominie, belles aventures et désenchantements. Nassima racontera sa relation privilégiée avec Abbane Ramdane, le choc et le début de la désillusion que fut pour elle son assassinat par ses frères d'armes, la découverte de l'armée des frontières, stationnée en vacances en dehors de la Révolution alors que les maquis étaient asphyxiés et harassés de toute part, le jour de liesses du 5 Juillet qui ne l'a pas vue descendre dans la rue comme tout le monde car elle savait déjà le naufrage que sera l'Algérie indépendante. Ce témoignage est traversé de réflexions féroces sur la politique en Algérie et l'usurpation du pouvoir par les présidents successifs, y compris l'actuel. Le film suit également Nassima lorsqu'elle rend visite à sa camarade de lutte, Baya, une maquisarde sauvagement torturée par les paras. Mais ce n'est qu'après la mort brutale de son fils Youcef, que Nassima acceptera de parler de ses propres tortures à la jeune réalisatrice : un récit glaçant et néanmoins dénué de tout pathos. Enfin, cette héroïne anonyme est aussi une sacrée blagueuse, osant même des blasphèmes hilarants : pour contourner le drame de la mort précoce de son fils, elle se livre à des badineries renversantes contre Dieu : «Le jour où je monterai, je ne lui dirai même pas Bonjour» ! «10949 femmes» est incontestablement l'antithèse des films estampillés «historiques» en Algérie, en ceci qu'il arbore une sémantique centrée sur l'humain et qu'il se débarrasse allègrement de toutes les fioritures démagos chères aux glorificateurs assermentés.




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