Algérie

Festival du cinéma arabe: «Le sel de cette mer» pour sauver la mise



Que laisse présager la première journée du Festival du cinéma arabe à Oran ? Même s'il est trop tôt de formuler des pronostics, déjà quelques interrogations commencent à circuler. La tonitruante absence des élites locales, pourtant très portées sur les rassemblements et les regroupements. Dans l'après-midi de vendredi, le personnel politique oranais a été l'absent le plus en vue lors de la projection des deux premiers films au programme. Personne ne doute de la culture cinématographique de nos élus et responsables locaux, certes, mais le Festival, sous le patronage du président de la République, est censé représenter une vitrine de toute la ville.

 Deux élus uniquement, de générations différentes, ont été curieux de voir un film algérien au titre s'apparentant à une invitation au voyage. De simples manifestations, initiées de plus en plus par des institutions privées à Oran, drainent d'anciens professeurs, certains sénateurs, quelques avocats... et des chefs d'entreprises. A part quelques hommes de théâtre, aucune figure intellectuelle ou universitaire n'a sacrifié son vendredi après-midi pour voir et se faire voir dans ce festival. Excepté Yasmina Khadra. Il a assisté à la projection de «Voyage à Alger» d'Abdelkrim Mebtoul mais on ne peut pas prétendre qu'il a focalisé sur lui les objectifs des caméras des chaînes arabes présents sur les lieux. Aucune notabilité, aucun homme de loi, aucun haut responsable de l'administration ne s'est départi de son statut pour retrouver et participer à un espace de convivialité.

 S'agit-il d'une simple indisponibilité ou d'un boycott qui ne dit pas son nom ? Ou d'une volonté de priver ce festival de toute notoriété ? C'est vrai que ce qu'on a déjà désigné par élites locales ne figure pas sur le carnet d'adresses du commissaire du festival. Lors des deux précédentes éditions de cette manifestation se trouvant dans un véritable tournant, Hamraoui Chawki n'a pas cherché à établir des ponts avec les élites oranaises. Il n'a jamais fourni l'effort de casser l'image d'extériorité de cette manifestation par rapport à la cité qui l'abrite.

 Le premier film proposé au public, très éclectique de la salle Essaâda, a été ovationné à deux reprises. Pour cause, il traite un sujet auquel les Algériens sont très sensibles: «la hogra». L'idée de «Voyage à Alger» est très simple. Juste après l'indépendance, un officier de police, dont le passé patriotique est douteux, essaye de déloger une veuve de chahid et ses enfants de la somptueuse demeure que leur a cédée le maire de la ville de Saïda avant son départ. La femme, de caractère, décide de s'adresser aux plus hautes autorités du pays. Ne pouvant rencontrer le président de la République de l'époque, elle réussit à être introduite chez son ministre de la Défense, en l'occurrence Boumediene. Emporté par une colère noire quand la veuve lui fait part de ses déboires, il prend son cas en charge. Le réalisateur Abdelkrim Bahloul reconnaîtra que son film est une commande pour «déterrer» le souvenir de Boumediene. Très linéaire, abusant des clichés, ce film se laisse voir parce que s'adressant à l'affect. Mais sa sélection dans ce festival, de surcroît pour représenter le cinéma algérien, soulève plus d'une interrogation. Le réalisateur imputera les écueils de son film au budget limité qui lui a été alloué: 200.000 euros.

 «Le sel de cette mer» de la Palestinienne Annemarie Jacir appartient à un autre registre. Il traite de la question de l'identité chez les Palestiniens, mais d'un angle très humain. Soraya, une Palestinienne vivant aux USA, revient en Palestine. Elle découvre le caractère policier de l'Etat hébreu aux frontières puisqu'elle est soumise à des interrogatoires et des fouilles humiliantes parfois. Durant son séjour, elle essaye de récupérer l'argent de son père déposé avant la «nekba» de 1948 dans une banque mixte palestino-anglaise. Même munie de tous les documents justifiant la légitimité de sa demande, sa démarche va paraître incongrue aux responsables de la banque.

 Après cette métaphore, la réalisatrice exploite une autre. Soraya qui ne daignera pas organiser avec deux complices un hold-up pour récupérer son bien arrive à s'introduire en Israël. Elle cherchera la somptueuse demeure familiale. Sa nouvelle occupante, apparemment appartenant à la gauche israélienne, offre «l'hospitalité» au petit groupe. Mais vite, Soraya réclame de son hôte la reconnaissance que la demeure lui appartient à elle. Ne pouvant accepter cette idée, l'Israélienne, très cool à première vue, menace de faire appel à la police. Imad, l'amoureux de Soraya qui rêvait de partir aux USA, ira lui aussi en compagnie de sa dulcinée redécouvrir l'habitation familiale dans un autre village. Les deux séjourneront quelque temps dans les ruines de la bâtisse. Mais l'escapade des deux jeunes gens tournera court et ils finiront entre les mains de la police israélienne.

 Avec beaucoup de subtilités, Jacir a réussi à donner à la question de l'identité un contenu physique, palpable. Tourné entre Ramallah et les territoires occupés, le film n'a pas cédé à la facilité en versant dans le discours militant outrancier. Apparemment, le souci de la réalisatrice est de s'inscrire dans l'universel. Des simples comparaisons entre la désolation des territoires palestiniens actuellement et la luxuriance de la Palestine avant l'occupation suffit pour la réalisatrice pour démontrer le caractère belliqueux de l'Etat hébreu. En désertant des sentiers battus, Jacir n'a pas sacrifié un iota de son engagement patriotique. Au contraire, le film de 103 mn, programmé après le film algérien, a captivé l'attention des spectateurs. Son message a été reçu par tout le monde. Dommage que Jacir n'a pas pu se déplacer à Oran.




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