Algérie

Ferroudja Ousmer, écrivaine, à L'Expression «Écrire, c'est défier la société»



Publié le 13.08.2024 dans le Quotidien l’Expression

Ferroudja Ousmer est écrivaine, auteure d'un roman, Derrière les larmes de ma grand-mère (éditions Koukou). Elle vient de publier un recueil de poésie en langue française intitulé Tawenza, aux éditions «Dar Samar».

L'Expression: Après la publication d'un premier roman, vous éditez un recueil de poésie, pourquoi ce besoin de changer de genre d'écriture?

Ferroudja Ousmer: J'ai toujours écrit de la poésie et participé, hors concours, dans plusieurs festivals mais je n'avais jamais songé à publier un recueil. Ce sont mes amies qui m'ont encouragée et c'était pour moi une bonne occasion pour rendre hommage à mon amie Fadhila Harzi Fellag, partie à la fleur de l'âge, il y a une dizaine d'années. Elle est l'auteure d'un recueil «Poèmes pour elles». Fadhila est une féministe. La faucheuse ne lui a pas laissé le temps de publier son deuxième ouvrage. J'ai trouvé injuste qu'on l'ait oublié aussi vite. Un poète peut-il mourir? à travers cet ouvrage, c'est Fadhila que je veux ressusciter. Je lui dédie ce recueil. Tawenza est l'un de ces destins.

Vous avez choisi de titrer votre livre en tamazight (Tawenza) alors que vos poèmes sont écrits en français, est-ce qu'on peut conclure que vous n'avez pas trouvé d'équivalent en français pour le mot Tawenza?

Effectivement, je n'ai pas trouvé de mot équivalent en français. Certains mots résonnent plus fort et n'ont de sens que dans ma langue maternelle: Le kabyle. Ils heurtent, choquent, bousculent et procurent une puissante sensation. Ils portent le poids de la tradition. Tawenza est plus percutant que destin. En kabyle, tawenza est un ensemble d'événements inéluctables, décidés par une force supérieure que l'on subit et dont on ne peut changer la trajectoire. Une sorte de fatalité. Ce mot est très usité dans la bouche de nos mamans comme pour nous museler. Une façon de dire qu'il est inutile de se battre, tout est écrit à la naissance et de faire tout accepter à leurs filles, même l'intolérable parfois.

Dans les poèmes de votre livre, vous abordez plusieurs sujets, peut-on en savoir plus?

Mes poèmes ne sont en fait que des ressentis du moment, un peu comme le haiku (court poème japonais), pour saisir l'instant présent. Écrire de la poésie, c'est poser un regard sur sa société, sur sa vie où sur ce qui nous entoure et dire qu'on a été témoins d'un tel événement ou d'une telle situation. La poésie n'a pas uniquement une fonction esthétique. Ma poésie ne répond pas toujours à la rime ni à la métrique. Les normes poétiques ne sont pas toujours observées. J'écris la poésie comme elle vient, en vrac, elle coule d'elle-même et je la retravaille rarement. J'écris ce qui m'émeut, ce qui me prend aux tripes, sans frous-frous. Les thèmes dépendent des émotions du moment. Plusieurs sujets sont traités dans ce recueil: la mort, l'exil, la femme, la Palestine, le désespoir des jeunes, l'écologie... J'ai beaucoup d'affection pour le haiku que j'ai abordé dans cet ouvrage. Il a d'ailleurs séduit mon éditrice. Le Haïku est le plus court poème au monde. Il est parfait pour saisir, en 17 syllabes seulement, l'instant présent. Il invite à la méditation et à la réflexion. Une philosophie de vie nippone destinée à l'origine à la noblesse japonaise et qui s'est démocratisée au 17 e. Je l'ai beaucoup utilisé dans un atelier d'écriture que j'ai animé il y a quelque temps. Je suis arrivée à la poésie par la mort. Elle a été le déclic qui m'a amenée à la versification, tantôt en kabyle tantôt en français

En tant que femme étant née et ayant grandi dans une société où les interdits étaient fort nombreux, avez-vous eu recours à l'autocensure quand vous avez écrit ces poèmes?

Effectivement, j'ai grandi dans un milieu où les codes du patriarcat étaient bien ancrés. L'écriture, encore moins l'édition, n'avaient pas leur place. Comme je l'ai dit plus haut, j'écris ce qui m'émeut, ce qui m'interpelle. Au départ, ma poésie était juste déclamée à mes proches et non destinée à la publication donc sans aucune autocensure. En réalité, je suis restée sagement à ma place. Trop encline à respecter les règles du milieu, non pas par manque d'ambition mais biberonnée à la discrétion, à coup de formules qui interdisent aux filles de se mettre en avant. Les limites à ne pas franchir se sont dressées d'elles-mêmes, j'ai su garder mon rang. Mais depuis, l'eau a coulé sous les ponts, je me suis autorisée à prendre ma place dans l'espace public. Je crois que je me suis bien rattrapée.

Après votre expérience dans le roman et celle, plus récente, en poésie, peut-on savoir dans quel genre vous vous exprimez le mieux?

Je suis à ma première expérience dans l'écriture, je ne peux donc prétendre m'exprimer mieux dans un genre que dans l'autre.

Y a-t-il encore beaucoup de personnes qui lisent de la poésie actuellement, selon votre expérience?

Très peu lisent la poésie. Je considère que la poésie est de tradition orale et donc s'écoute. Celui qui la déclame y met tout son coeur et ses tripes et peut vous toucher au plus profond de vous-même. La poésie, je l'écoute beaucoup plus que je ne la lis mais je peux affirmer que je suis carminophile. La poésie est bien vivante. Il n'y a jamais eu autant de publications de recueils de poésie que ces 10 dernières années. Rares sont les éditeurs qui acceptent de la publier. La majeure partie des poètes le font à compte d'auteurs.
Une vraie galère, en ce qui concerne la diffusion et la distribution. Je remercie au passage la directrice des éditions Dar Samar qui a émis le souhait de m'éditer.

Vous êtes très présente sur le terrain des rencontres littéraires organisées par les librairies ainsi que dans les salons du livre, pouvez-vous nous en parler?

Les livres ont toujours fait partie de ma vie. Je suis très rassurée quand je suis entourée de livres. Ce sont mes amis. «Une bibliothèque est une chambre d'amis», disait Tahar Ben Jelloun. Où que vous soyez, vous ne risquez pas d'être seul ou vous ennuyer avec une pile de livres. J'ai été membre de l'organisation du salon du livre de Boudjima durant les six premières éditions et du festival Raconte-arts pendant douze ans, avant de franchir le pas vers la publication de mon premier ouvrage: Derrière les larmes de ma grand-mère édité chez Koukou, ce qui explique un peu ma présence dans le milieu littéraire.
De plus, j'ai été souvent invitée par le département de français de l'université Mouloud Mammeri lors des colloques même si je ne suis pas de formation littéraire. J'ai forgé mon penchant pour les lettres dans ce département.
Un ouvrage doit être porté par son auteur. L'écrivain doit aller à la rencontre de ses lecteurs. Pour cela sa présence dans les salons du livre, des cafés littéraires et des librairies pour les ventes dédicaces est indispensable. Un brin de causette avec le lecteur peut susciter le désir de lire et donc l'achat de l'ouvrage.

Etes-vous une écrivaine qui écrit sur la femme et pour les femmes, ou bien êtes-vous une auteure qui écrit pour les deux franges de lecteurs?

Même si les problèmes de femmes me touchent énormément, je n'écris pas uniquement pour les femmes. Mon récit Derrière les larmes de ma grand-mère, est très dense, il allie féminisme, guerre d'Algérie et pleins d'autres sujets.
À quoi bon écrire pour la femme, puisque ses problèmes sont très souvent liés au patriarcat et aux inégalités de genre. Ces problèmes ne peuvent être résolus sans la contribution des hommes. Rester à côté de l'âtre, entre femmes, à se morfondre et se lamenter n'est guère la solution idoine pour aller vers une émancipation.
Une cohabitation nécessite forcément un dialogue entre les deux parties. Il faut écrire sans animosité pour les hommes afin qu'ils comprennent que la société évolue et qu'ils doivent accepter de changer et de se défaire de certains avantages qui leur ont toujours été accordés. Sont-ils prêts à cela?

L'écriture est-elle un plaisir pour vous ou plutôt une thérapie? Pourquoi?

Je ne vois pas en quoi l'écriture peut être une thérapie. Ce qui vous a marqué au fer rouge, est indélébile. L'écriture apaise mais ne peut guérir un mal. Elle permet juste de mettre des mots sur les maux. C'est un «défouloir» qui permet d'extérioriser ses émotions. Pour ma part, l'écriture a été plus un défi qu'une thérapie. Écrire c'est oser dire. Une femme qui écrit est une mise à nu. Investir l'espace littéraire n'est pas chose aisée pour une femme. Elle devient du jour au lendemain une personne publique, exposée à la critique. L'écriture de la femme est souvent transgressive. Écrire, pour une femme, c'est défier la société. Ne pas se taire est un véritable challenge dans un environnement où la voix des hommes résonne plus fort que celle de leurs moitiés. L'écriture permet de soulever ou de dénoncer les maux de la société. Ce que vous ne pouvez dire de vive voix, vous pouvez le coucher sur du papier dans la solitude d'un moment. L'écriture libère la parole

Votre prochain livre, peut-on en avoir une idée?

Le deuxième récit est prêt depuis trois ans. Je l'avais entamé parallèlement à Derrière les larmes de ma grand-mère. J'espère qu'il sortira bientôt, j'attends le feu vert de mon éditeur. Ce récit porte également sur une histoire familiale avec, comme toile de fonds, les deux guerres mondiales.
Un récit qui a nécessité énormément de recherches car on n'a pas le droit à l'erreur lorsque lorsqu' on évoque des pans de la grande histoire.

Aomar MOHELLEBI



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