Un poète doit
laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font
rêver. René Char (1907 – 1988)
Une préoccupation
semble de plus en plus se faire jour à savoir que le développement économique
ne signifie pas nécessairement développement social.
En ce 21ème
siècle, de nombreux milieux dans le monde sont en quête d'un univers à visage
plus humain.
C'est dans cet
esprit que j'aborderai l'apport de la femme algérienne à la société et son rôle
important de pourvoyeur de l'Homme algérien, en priant celles et ceux qu'une
telle approche pourrait déconcerter ou décevoir, de m'en excuser.
La femme
algérienne a perdu le monde de sa mère et de sa grand-mère sans pour autant
gagner celui du nouveau monde moderne. En effet, si la femme algérienne parait,
à certains égards, plus libre que ses soeurs dans certains pays arabes, le
poids de la pression sociale et la détérioration de l'environnement économique
l'accablent énormément. Aussi, les femmes portent désormais un double poids,
celui des activités professionnelles et celui des activités ménagères. Afin
d'assurer la survie de leurs familles, les femmes algériennes s'ingénient à
trouver des expédients. Ainsi, certaines d'entre elles, fonctionnaires,
enseignantes, employées de bureau ou simples femmes de ménages exercent en
fait, un deuxième métier, engendrant de nombreux troubles en particulier des
cas de surmenage comme conséquence.
Les emplois
salariés diminuant, les femmes algériennes essaient de plus en plus de s'investir
soit dans le commerce soit dans les activités d'intermédiation, soit dans
l'artisanat. A ce propos, il est couramment admis en général, qu'elles font
preuve de plus de dynamisme que les hommes.
Et partir de la
promotion de la femme dans notre pays, pourrait être une autre voie vers la
démocratisation, susceptible d'être conjuguée avec le développement économique.
C'est pourquoi l'approche des problèmes par la vie et la sensibilité des femmes
qui sont, avec les jeunes, les plus grandes victimes de l'évolution actuelle, pourrait suggérer un moyen de promotion humaine dans notre
pays.
En effet, il
s'agit surtout de favoriser des pratiques sociales, des pratiques de solidarité
et de gestion. Aussi, un vivre ensemble plus solidaire, un réel développement
qui valorise la place du sujet, des acteurs, des réseaux, du territoire.
Réfléchir sur les
stratégies utilisées ou à élaborer, pour que les femmes algériennes accèdent à
des postes de pouvoir, de prestige et de haute visibilité, oserais-je proposer
de poser les problèmes moins en termes de pouvoir qu'en termes de communion,
d'un vivre ensemble harmonieux, la possibilité de se réaliser en solidarité
tant entre les femmes et hommes qu'entre les ancêtres et les descendants. Il
s'agit bien d'un problème important, celui d'une culture. Culture à reconquérir
ou de la mettre en place.
Si j'ose aborder
le problème en ces termes, c'est d'abord pour rendre hommage à nos mères et aux
grands-mères. Ces femmes du passé courageuses, dont on ignore souvent à quel
point elles furent en avance sur leur temps, et le rôle important, qu'elles ont
joué dans la construction de la société algérienne. Des exemples à suivre pour
les femmes d'aujourd'hui, qui devront apporter la clairvoyance, la fraîcheur et
ce petit plus, en plus indispensable, pour construire le présent et inventer
l'avenir, un avenir radieux auquel nous aspirons tous : hommes et femmes.
La famille
algérienne constitue, en principe, le moyen de la reproduction
civilisationnelle de sa société. La famille algérienne traditionnelle jouait ce
rôle grâce à des attributions précises faisant coexister un monde masculin et
un monde féminin.
La mère, centre
et pilier du monde féminin, assurait la synthèse des deux mondes (féminin et
masculin) et représentait la clef de voûte du système familiale et social. Dès
sa naissance, l'enfant de sexe masculin ou féminin est totalement pris en
charge par sa mère. Cette évolution dans un monde féminin pourrait durer
jusqu'à un âge avancé. Elle était rompue, pour le garçon, par la circoncision.
Pour ne
considérer que le garçon, celui-ci grandissait dans un environnement totalement
féminin. Jusqu'à l'âge de six ans et plus, le garçon reste un démembrement de
sa mère. Celle-ci ordonne ses actes. Elle lui transmet la culture orale. Elle l'utilise
comme agent de relations sociales. Le garçon rapporte et porte les messages et
leurs produits. Dans la rue, Il est l'Å“il et l'oreille, de sa mère.
Le garçon
fréquente, jusqu'à un âge avancé, la nudité de sa mère et des femmes en
général. Il est autorisé, en ville, à prendre son bain au hammam avec les
femmes. L'exclusion de ce monde féminin, se fait brutalement par la
circoncision et par l'interdiction (entre six et huit ans) de fréquenter la
nudité féminine.
Le garçon
s'intègre alors au monde masculin avec un cerveau totalement imprégné de la
culture que lui a transmis sa mère. Il est en réalité, l'agent de sa mère dans
le monde masculin. C'est elle qui le mariera, qui lui donnera le droit à la vie
sexuelle et qui même choisira, pour lui, une femme. Le mariage n'apparaît alors
que comme le couronnement tardif du rapport noué avec
la mère avant l'exclusion du monde féminin. C'est un rapport à la mère par
substitution. Dans le ménage, ce sera plus la mère qui aura la prééminence que
l'épouse. Celle-ci, n'aura alors qu'un but : devenir mère. Et le cycle se
perpétue en se reproduisant. Ces cycles de production de mères sont accompagnés
d'effets matériels dont les plus évidents sont ceux engendrés par les
stratégies matrimoniales élaborées par la mère qui, souvent sont des stratégies
patrimoniales.
Une fois dans le
monde masculin, le garçon ne fait, en réalité, qu'assurer par son travail, la
production des mères. Et comme disait le prophète (qsssl) à l'adresse des
garçons «le Paradis est bien sous les pieds des mères» c'est-à-dire à la portée
des mères.
La cellule
familiale assure ainsi la reproduction civilisationnelle en ordonnant les
gestes matériels et culturels de la vie dans un cycle d'ensemble de production
des mères. La famille produit un système où le pouvoir vient du monde masculin
grâce au travail productif, à la guerre et au monopôle du message religieux et
où la prééminence se situe du côté féminin. Ce sont les mères (les femmes) qui,
avant l'âge de six ans, auront totalement modelé le cerveau du garçon. Et on
pourra dire que : « A l'origine de chaque grand homme, il y a une grande dame
». La production des grands hommes, en réalité, du pouvoir masculin, devient,
en dernière analyse, une production féminine (c'est la femme qui produit le pouvoir).
Ce système pourvoyeur des mères est, aujourd'hui, détruit et l'équilibre entre
le pouvoir masculin et la prééminence maternelle rompue. Il y a, tout d'abord
l'extinction progressive du monde féminin. Les femmes n'ont plus la culture de
leur mère et ne transmettent plus à leurs enfants les moyens culturels de leur
prééminence (en fait le vrai pouvoir).
Les jeunes femmes
d'aujourd'hui ont perdu, n'ont pas eu, les gestes et les représentations
essentielles du système reproducteur des mères. Et de fait elles ont perdu le «
vrai » pouvoir.
Les entretiens
opérés auprès de certaines jeunes filles montrent qu'elles n'ont pas reçu de
leurs mères ni l'apprentissage des gestes matériels ni celui des contes et des
représentations véhiculées par les femmes. La jeune fille, comme le garçon, est
très vite abandonnée à elle-même : l'exiguïté des logements, la démographie, la
scolarisation font que les enfants partagent leur temps entre la rue et
l'école. Les mères ont aussi abandonné l'utilisation de leurs enfants comme
émissaires dans le monde masculin : les femmes font elles-mêmes leurs courses
et portent et rapportent elles-mêmes leurs messages. Elles ne pratiquent plus
qu'un rapport indirect à la rue. Le garçon n'est plus leur démembrement social.
Le garçon est indépendant de sa mère. Il n'est même plus tenu par le plaisir
oral de la tétée (les biberons sont là et le lait en poudre disponible au prix
très abordable) ou l'oralité culinaire (la gastronomie traditionnelle n'est
plus retransmise).
Les jeunes filles
qui ont évolué dans ce monde n'ont rien à transmettre à leurs enfants et qui
provienne de leurs propres mères. Mieux encore, elles ne peuvent leur
transmettre que ce qu'elles ont appris à l'école, dans la rue, au travail, ou
par les médias (TV, radios, presse écrite etc.) Le garçon est davantage livré,
lui aussi, à la rue, à l'école ou à la télévision. Ce sont donc des pratiques
et des représentations forgées par le pouvoir masculin qu'il reçoit. Sa mère
est devenue l'agent de la transmission des représentations masculines qu'elle a
reçues elle-même de l'école, de la télévision. La mère a perdu le monde féminin
de ses mères. La perte de ce monde féminin est représentée comme un progrès,
comme une libération, un accès à la modernité. En réalité, la perte de ce monde
féminin provoque la rupture de l'équilibre entre la prééminence féminine et le
pouvoir masculin. Livré, dès sa naissance aux pratiques et représentations
masculines, le garçon, d'aujourd'hui, ne reconnaît plus la prééminence
maternelle. Il est acquis aux règles du pouvoir masculin et à ses
représentations. Ce pouvoir le façonne dès sa naissance et le cerveau des
filles, elles- mêmes- futures mères, est conditionné par le monde masculin.
Emerge alors un
pouvoir masculin absolu, total, où le fils commande et sa mère et son père
(inversion de hiérarchie qui aura des conséquences considérables sur la société
algérienne) et où les mères se trouvent « sous les pieds » de leurs garçons.
Les nouvelles mères renforcent cette production d'un pouvoir masculin total en
ne transmettant à leurs enfants que ce qu'elles ont appris des appareils
idéologiques dominés par les hommes. La prééminence féminine est détruite, les
femmes « écrasées », elles, vont réagir par une aspiration au partage du
pouvoir masculin. Le pouvoir devient valeur suprême et l'équilibre
civilisationnel est définitivement compromis. La famille n'est plus alors le
noyau de reproduction de cet équilibre civilisationnel, mais le lieu de lutte
pour le partage du pouvoir et où le respect de la mère a disparu. Seule
l'autorité prime, accompagnée de violences matérielles, physiques et sexuelles.
N'ayant plus de limite, le pouvoir masculin » redouble de férocité » et ne
trouve plus en face de lui un monde étranger, le monde féminin, mais des femmes
acquises aux représentations du monde masculin, qui deviennent des compétiteurs
et ne sont plus les personnages prééminents. Des mères réclamant l'égalité,
égalité dans le pouvoir bien sûr, car seules les armes du pouvoir masculin
existent. Les moyens d'action proprement féminins ont disparu. La femme va »
joue »r alors dans la cour des hommes.
La surpuissance
masculine nouvelle et la disparition de la prééminence féminine engendrent une
remise en cause des éléments constitutifs du Moi et du Sur-Moi. L'un des
éléments qui méritent attention est l'oralité. Pour le petit garçon
traditionnel, l'oralité intervient, en gros, de trois manières toutes féminines
à savoir : le rapport direct à la mère au stade de l'allaitement, le rapport à
la consommation qui se prolonge durant toute la vie avec une mère nourricière,
reine de la pratique et des représentations culinaires et gastronomiques
commandant par-là même les objets et aliments à produire dans le monde masculin
et enfin le rapport à la culture et l'apport, par la mère, des éléments
constitutifs du Sur-Moi à travers le discours et les contes.
Ce rapport à
l'oralité s'est complètement transformé avec les nouvelles trajectoires des
enfants (rue, école, médias, travail) et surtout avec la rupture radicale
intervenue dans la représentation de la mère nourricière. Et bien évidemment,
le facteur de rupture de cet élément fondamental de la constitution du Moi a
été l'apparition de la rente pétrolière, nouvelle mère nourricière. Le système
n'utilise plus le travail pour la production de la mère mais utilise la
consommation pour la destruction de la mère. Et c'est la descente aux enfers.
Il en perd les repères de la reconnaissance de soi.
La rente
pétrolière explose et rend toute production inopérante et obsolète. Tout peut
s'obtenir par l'importation. La rente est le prétexte à une redistribution
salariale qui confère un pouvoir d'achat indépendant de la production. Elle
détruit les normes et les valeurs civilisationnelles attachées à la production
et le fils ne produit plus pour reproduire sa mère. Ainsi la nourriture sera
importée. La mère n'allaite plus et perd les éléments de l'oralité
gastronomique qui lui permettait de garder sa prééminence et de commander le
système de production alimentaire. Le fils s'engage dans le business ou dans le
monde de la paperasse. L'école, les médias, généralisés, évacuent les
représentations traditionnelles. Les histoires et les contes soudant la
maisonnée ont disparu puis remplacés. Ainsi l'ogresse « El ghoula » personnage
central du monde et symbole féminin de la brutalité et de la force, défaite et
remplacée par les histoires d'enfants rusés (genre H'didouane et M'kidèche des
années 1970). Si le conte traditionnel représentait l'équilibre réel du monde,
l'histoire médiatique, proprement masculine, véhicule, le fantasme du pouvoir.
La femme ogresse ou la jeune fille à délivrer est évacuée. L'homme, représenté
plus, par sa finesse que par ses muscles cède la place au missionnaire musclé.
La femme ne
commande plus la culture, ses atouts ne commandent plus la production. Les
fabrications de textiles ou cosmétiques s'alignent sur l'importation. Les robes
et les habits traditionnels disparaissent. Les produits de beauté sont copiés
sur l'étranger. L'industrie inverse le rapport hiérarchique du monde féminin et
le paraître féminin est commandé par les ingénieurs du textile et des produits
de beauté, la représentation même, que veut donner la femme par son paraître
est détruite. Elle devient une représentation fabriquée par le pouvoir des hommes
importateurs ou producteurs de nouvelles usines. Celles-ci ne seront plus des
usines de vêtements traditionnels, de produits de beauté (à base de khôl, de
ghassoul, d'henné etc.) traditionnels. Ce seront des usines symboles du pouvoir
masculin de décision s'appuyant sur un discours idéologique qu'appuieront les
nouvelles femmes à la recherche de formes masculines de pouvoir. Cette nouvelle
structuration d'un monde « unidimensionnel » ne fait que traduire la perte de
toute esthétique civilisationnelle propre à nous (Algériens). La transformation
du paraître et des moyens qu'il se donne en agençant différemment le travail
des hommes s'accompagnent d'un changement du nom que l'on s'attribue. Une étude
réalisée (il y a de cela quelques années) sur l'évolution des prénoms depuis
l'indépendance nous révèle une rupture datée du début des années 1970.
Auparavant, la famille, notamment rurale, utilisait un registre de noms
devenus, au fil des siècles, des noms proprement algériens liés aux formes
locales d'intermédiation.
Les prénoms des
femmes avaient un rapport direct à la nature (Khadra= la verte, Warda= la
fleur, Hadjila = perdrix, H'mama, …..etc.), la terre
et la mère entrant dans un rapport de représentation réciproque.
La deuxième
catégorie de prénoms féminins reprenait le registre des filles, épouses et
parents du prophète Mohammed (qsssl).
Les prénoms des
hommes reprenaient les attributs du prophète (Mokhtar= l'élu, Mostapha, et
surtout Mohammed), les autres prophètes (Aïssa, Moussa, Ibrahim, Youcef….etc.),
les noms locaux (noms de souche berbère) et rarement des noms rattachés aux
attributs de Dieu. La pratique du nom était directement liée aux formes de
l'intermédiation. Les reprenant les attributs(sens )
de Dieu n'étaient en réalité, que des noms de Saints d'intermédiation
maraboutique locaux. Les nouveaux noms sous l'influence probable des médias,
s'inspirent de la pratique chrétienne cairote et beyrouthine qui utilise des
noms communs (Farid = l'unique, Nassim = zéphire, etc.), noms arabes mais ne référant
pas à l'identité musulmane. L'essentiel est de se détacher de la référence
locale.
L'Algérien semble
aspirer à un monde neuf, nouveau, coupé de ses ancêtres, déraciné. Certes, les
Algériens qui utilisent ces noms ne se doutent pas que les chrétiens du
Moyen-Orient en font usage pour concilier leur arabité avec leur non islamité.
Pour les Algériens, ces noms réfèrent à la civilisation arabe moderne…/…
*Universitaire
-
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Posté Le : 23/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Z Megueni*
Source : www.lequotidien-oran.com