Algérie

Fausses mémoires pour Messali, un 05 Juillet


« Dieu ! Je ne suis ni mort, ni vivant, mais j'ai la têtelourde d'un homme qui a été frappé par derrière. Je suis affalé derrière lesmontagnes, l'oreille contre les murs de la création, à vous entendre gratter laterre que je vous ai laissée et transporter les grains de blé comme des fourmisvers les cachettes. Je n'arrive pas à mourir, pas même à dormir et jamais àfermer les yeux sur mon propre portrait gigantesque que me dessinent les nuages,ou les étoiles la nuit ou même le vol des oiseaux qui vous reviennent certainessaisons, sous forme d'essaims ou de présages. Je me vois partout reflété etrépété à l'infini par la géométrie des hasards de la nature. Je me perdssouvent à vouloir trancher des limites entre mon reflet que copie la créationpour me parler d'autres hôtes plus profonds, et ma propre image qui a perdu lesraisons d'avoir une frontière : je suis devenu infini. Vous êtes tous mesenfants et tous vous avez mangé à ma chair et bu à mon sang. Lorsque les ventsde l'Est vous soufflent vos bougies d'âme et que vous vous retrouvez seuls,chacun devant l'oeil de sa culpabilité et le couteau de son crime, c'estl'odeur de mon cadavre gigantesque qui vous revient sous les narines, sans quevous n'en connaissiez la source exacte et la puanteur identifiée. Il n'est pirepuanteur que celle de la mort d'un demi-Dieu ou d'un surhomme trahi par uncaillou de chemin ou une marche d'escalier fourbe. Le cadavre met des siècles àdisparaître et attire presque tous les charognards sur le pays qui a osé tuerson propre géniteur, son ancêtre, l'homme qui lui a donné une cartegéographique, l'usage des ustensiles, les manières de table et l'habitude debalayer debout au lieu de le faire penché comme vous l'imposaient les Ottomanset les Français. Vous comprenez pourquoi, malgré votre indépendance, vous avezpresque tous le teint jaune, la bouche sèche et la parole violente ? Dederrière les montagnes de l'Atlas qui vous cachent ma tombe ouverte, je vousentends parfois chanter des hymnes, célébrer votre Indépendance sans un motpour moi, et raconter des histoires autres que celles que je vous ai laisséesen héritage. Chiens bâtards que vous êtes sans mon propre nom au-dessus de voslaines et qui vous donne des visages à la place des museaux ! Voussouvenez-vous des jours anciens où vous vous promeniez dans la création àquatre pattes, avant que je ne vienne vous enseigner à cuire les chairs desanimaux avant de les manger et à réclamer l'Indépendance au lieu de réclamer dela semoule ? bien sûr que non, aujourd'hui vous êtes des hommes libres dans unpays qui ne l'est plus. Vous célébrez vos morts, pas vos vivants et vous vousracontez la même histoire qui me nie, sans remarquer qu'il y manque les 100 premièrespages : celle de ma naissance, de ma grandeur, de ma trahison et de ma mortimpossible. Si j'avais pu deviner que je mourrais un jour dans un trou et passous un mausolée, pauvre jusqu'à ne pas avoir une carte d'identité et anonymejusqu'à être enseveli dans la clandestinité, j'aurais commencé à rire plutôt.En 1930 ou peut-être même avant, à l'époque de l'Etoile nord africaine.J'aurais commencé par manger mes enfants, ceux qui, plus tard, m'entourerontcomme des jeunes loups, me déchireront le burnous et me traîneront hors del'histoire pour me présenter comme un traître. J'aurais commencé par une grossecouronne et pas par cette grande barbe qui témoignera contre moi, avant même lejugement dernier. Que veut Messali aujourd'hui ? Que l'on rit avec lui ou qu'onlui donne une carte d'identité ou qu'on admette au moins que ce pays est partisur un crime et qu'il ne peut donc éviter d'aboutir au cimetière... »


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