Algérie


«On court le risque du dégoût quand on voit comment se préparent l'administration, la justice et la cuisine.» Chamfort
«Mon Dieu! ce que tu as dû traverser! Tu pourrais écrire un livre volumineux avec la mémoire que tu as! Moi, j'ai oublié ce que j'ai mangé hier! Il m'est impossible de mettre une idée devant l'autre!», s'est exclamé l'ami Hassan, en ouvrant de grands yeux brillants de cette humidité que confère la boisson. «Je n'ai aucun mérite! Je n'ai aucun effort à faire. J'ai tout juste passé plus de trois décennies à subir les décisions des autres. Alors, les jours de nostalgie, quand la réalité quotidienne est d'une désespérante platitude, il me suffit de convoquer mes souvenirs. Certains répondent présent alors que d'autres se cachent dans les replis de la mémoire en attendant le déclic qui les fera jaillir. Elle est dôler la mémoire! Elle ne répond pas automatiquement quand on la sollicite et elle s'impose à vous dès qu'un événement quelconque, qui a une quelconque relation, même ténue, survient. Les jours d'optimisme, je me souviens des grands éclats de rire ou d'événements positifs et les jours de pluie comme aujourd'hui, je me souviens des galères que nous avons vécues. Tu as raison de dire que je pourrais écrire un livre sur ce que nous avons vécu. Je dirais même mieux: sans me sentir aigri, je pourrais écrire plusieurs romans si je me mettais à relater toutes les anecdotes suscitées par les passions humaines, les comportements honorables comme les mesquineries, les ambitions, les succès, les échecs, la hogra. C'est un véritable microcosme que cette entreprise: c'est une Algérie en miniature. Pour quelqu'un qui n'a jamais voyagé à l'intérieur du pays, travailler dans une entreprise comme celle-là équivaut à faire le tour du pays, dans l'espace comme dans le temps. On y retrouve tous les physiques et tous les accents que la généreuse nature et l'histoire non officielles ont confectionné avec une singulière complicité; il y a des citadins précieux et rusés qui aiment la musique andalouse et les pâtisseries turques. Il y a les montagnards à l'accent rocailleux qui affichent fièrement leur spécificité. Il y a les provinciaux qui se donnent la main et forment des petits groupes d'une discrète mais efficace solidarité. Il y a bien sûr les anciens moudjahidine, les vrais comme les faux: les premiers se montrant très discrets sur un passé douloureux et les seconds roulent des mécaniques à la moindre occasion et sont toujours à l'affût d'une promotion ou d'un avantage quelconque. Il y a les planqués qui se méfient des premiers cités comme il y a des anciens «collabos» qui ont leur seul talent comme parachute. Il y a les fils de famille qui sont d'une retenue exemplaire comme il y a des braillards qui parlent à tout propos, à haute voix et qui se mêlent de tout et de rien. Il y a ceux qui ne font que passer, pointent assidûment avec une ponctualité digne d'une montre suisse, rejoignent leur poste de travail et en ressortent sans demander leur compte tandis que d'autres ont élu domicile dans les couloirs, à la cantine et font tous les services pour se mettre au courant de tous les commérages qu'une pléthorique administration fournit à profusion. Les problèmes de larcins, de harcèlement sexuel, les promotions-canapé, les parachutages de fils ou de fille de flène, ces inévitables pistonnés qui grimpent les échelons quatre à quatre sont les sujets favoris des discussions de cantine.
Il y a aussi l'histoire du syndicalisme. Tiens! Rien que les épisodes de la lutte syndicale pourraient tenir dans un roman où le parti unique, le syndicalisme-maison tous les coups fourrés qu'une administration soumise aux facteurs de la lutte idéologique tiendraient les premiers rôles. Mais, je crois que si je devais un jour commencer à écrire, je me poserais d'abord sur la mauvaise qualité persistante de la production.»


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