Algérie

Faudel. Notes sans musique



1, 2, 3, réveil ! Dans son livre Faudel, itinéraire d'un enfant de cité (Michel Lafont, éditeur), le chanteur avoue une dépression terrible qui l'a mené au bord du suicide. Il explique ses tourments après que sa compagne l'ait quitté avec leur enfant. Il dévoile des relations avec sa mère qui frisent pour le lecteur un sentiment de voyeurisme. Mais surtout, et c'est pourquoi le livre est passionnant, il fait un certain nombre de révélations sur son parcours symptomatique, même s'il n'est pas entièrement représentatif des problèmes et des visions d'une génération de jeunes issus de l'émigration. La vie de Faudel apparaît comme un roman flamboyant, jusqu'à la cassure brutale intervenue en 2007 après son soutien affiché à Sarkozy, candidat UMP devenu président. Il aborde sur la défensive, à la presque fin du livre, cette ultime question qui le vit descendre de son piédestal. Peu lui importent du reste les « crachats, les sifflets » et le rejet par ceux qui le portaient il y a peu aux nues. Non, Faudel cherche à se justifier : « Mais ce n'est pas le candidat de l'UMP que je connais, c'est l'homme que j'ai rencontré un jour au mariage de mon ami le footballeur Ali Benarbia. Nous avons eu de nouveau l'occasion de nous croiser via Rachida Dati avec qui j'avais sympathisé (...) Nous sommes devenus amis. » Il maintient ne pas avoir de carte à l'UMP et, en réduisant cet épisode à une simple amitié, il insiste : « Est-ce faire de la politique que soutenir un ami ? ». On aimerait bien le croire, sauf que quelques lignes plus loin, l'ancien petit prince du raï introduit lui-même la dimension politique : « Nicolas incarnait un espoir, j'ai vraiment cru que la France en avait besoin. » Il reconnaît enfin par des paroles lourdes de sens : « J'ai peut-être été trop naïf, j'ai mis le doigt dans un système qui est trop puissant pour moi. » Il faut dire qu'il s'est fait de « nouveaux amis », en dehors du show-biz, des gens comme le judoka Douillet (ami des Chirac, qui lui conseilla de rentrer en affaires) et Bernadette Chirac, qui fréquentait le restaurant qu'il a ouvert. Il n'en dit pas plus, mais on imagine les gens qui tournaient autour de lui. « En tout cas, en vivant le succès de mon quatrième album et celui de mon pote Nicolas, j'affrontais une grosse vague de dépression qui m'a emmené loin, très loin », conclut-il lui-même. On passera sur l'expression « Mon pote », si dérisoire, tant le livre recèle nombre d'informations intéressantes qui replacent la trajectoire personnelle et artistique du jeune Faudel dans une histoire : celle de l'Algérie dont il vient. Il parle de la cité bien sûr, mais ce n'est pas ce qui l'a le plus forgé. Plus loin en arrière, c'est l'Algérie ancestrale, à laquelle il rend hommage au travers d'abord de ses deux grand-pères, tous deux morts pour l'indépendance du pays. Il raconte comment dans les années 80 son père a tenté le retour au pays : « Mon père a acheté un camion, on est partis l'été en Algérie, on est restés longtemps, très longtemps. Nous, les petits, on ne comprenait pas pourquoi on restait plus que d'habitude. Et puis finalement, on est rentrés au Val-Fourré. Que s'est-il passé pour que papa change d'avis ? Je sais en tout cas qu'en Algérie on est aussi des immigrés, c'est comme ça qu'ils nous appellent. Peut-être que papa n'a pas le courage de recommencer à s'intégrer, cette fois dans son pays d'origine ». Toujours au « bled », Faudel raconte l'initiation musicale avec sa grand-mère, qui a tout déclenché : « ça s'est passé l'été. Vous savez cette espèce de bouffée qui rend fort, cette énergie brute qui vous soulève, je l'ai ressentie souvent à Hennaya. Elle s'est rapidement confondue avec le chant. Ma grand-mère nous proposait, à mes frères et moi, de l'accompagner pour jouer avec elle. Elle nous donnait des tambourins, des percussions et nous devions battre la mesure. Je ressentais presque une transe d?être là, traversé par des rythmes frénétiques et des mélodies hypnotiques. Je buvais les chansons et, à force, j'en apprenais les paroles. J'avais sept ans et tous les espoirs. Ma grand-mère, c'est ma Marianne kabyle, ma dignité, ma noblesse, elle m'a emmené dans son sillage. Et je me suis un peu imposé aussi, avec l'audace des enfants. J'ai pris un micro, je n'en pouvais plus, elles me donnaient tellement envie ces femmes, je voulais chanter. Alors j'ai fait mon show, sans peur, sans complexes, librement. Le groupe m'a laissé faire ». On passera vite sur le frère Karim qui a créé le premier groupe, puis les « Etoiles du raï », créé au Val-Fourré, dans le sillage du maître, Khaled : « Tout ce que nous avons appris de la musique, c'est à son contact. Pas direct, bien sûr. Au contact de sa musique. Nous avions toutes ses cassettes. Si c'est ma grand-mère qui m'a initié à l'art en chantant les musiques traditionnelles orientales, c'est Khaled qui m'a donné l'exemple ou plutôt l'espoir d?être une star. Avec lui les Arabes ne se sont pas cantonnées à la rubrique faits divers et aux articles sur l'insécurité, ils ont atteint à la nage les journaux people. » Faudel révèle aussi des aspects méconnus de contacts décisifs, comme avec Mathieu Chedid, qui n'est pas encore le célèbre M. : « Je l'avais croisé lorsque je faisais la première partie de Jimmy Oihid. J'avais une prestance, il m'a offert une consistance. Il m'a écrit deux titres ; j'ai fait une vraie maquette dans un vrai studio. » Ensuite, au début des années 90, ce sont les médias qui cherchent à donner une étoffe aux « enfants du raï ». Arte, puis France 2 éclaireront ce jeune chanteur qui va entrer dans une spirale : Printemps de Bourges, Francopholies de La Rochelle, où il fait un duo avec Mami, et Montluçon en première partie de Khaled, son idole d'alors : « J'étais enfin dans le même espace-temps que le sien (...) Incroyable. Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à sourire. La chance me souriait, alors je souriais. Une façon de dire oui à la vie, oui à ma chance, oui à demain ». Le tourbillon de la vie était là : « J'oubliais d?être sérieux, j'assurais les concerts, mais, en dehors de la scène, je faisais ce que je voulais. Je faisais sauter les limites. Je m'éclatais. J'avais un sentiment de puissance. J'étais pris dans un cycle porteur. » Dans la foulée, il livre quelques secrets de coulisses du projet « 1, 2, 3 Soleil » avec Rachid Taha et Khaled : « Khaled, je peux le dire maintenant, cherchait la merde. Il était en retard et assez cyclothymique. Rachid lui était dans son monde et ce n'était pas toujours facile de s'accorder avec lui. On plaisantait avec Khaled, on sortait des vannes. Rachid s'énervait et nous demandait de nous concentrer. Elle était belle l'équipe. Un trio d'enfer assez ingérable. Je crois que la maison de disques s'est arraché les cheveux avec nous. Moi, j'étais en plein délire, j'avais l'impression d'avoir de la fièvre. J'étais obligé de me dépasser sous peine d'avoir l'air nul à côté des deux autres et de me griller ». L'aventure a duré trois ans. A propos de Khaled, il se fend d'une pique : « Il n'a pas géré son succès. C'est dommage. Il a créé un souffle mais qui l'a exténué ». 1999 est l'année de la rencontre avec A. la femme dont il tombe amoureux et dont il va avoir un enfant : « L'idée que j'allais être père n'était pas facile à intégrer. Oui, parce que j'étais surtout un fil et un fils qui n'a pas réglé tous ses problèmes avec ses parents. Je me fais d'ailleurs l'effet aujourd'hui d?être un animal non sevré. J'ai quitté mes parents vite mais d'autres adultes m'ont biberonné. » Faudel parle aussi de Serge Moati, rencontré par hasard en Tunisie à Hammamet. Le réalisateur va le faire tourner dans Jésus, puis sur M6 dans Sami le pion en 6 épisodes. Pour un Faudel qui a arrêté l'école en cinquième, il le dit lui-même, cela faisait un peu beaucoup... Puis il tourne avec Merzak Allouache dans Bab el web. Là encore, une révélation sur Samy Nacéri : « l avait un comportement difficile car il allait mal. Ça a été très pénible. C'est dommage nous avions un joli film, avec des gens bien mais un grain de sable suffit à enrayer la machine ». Il avoue enfin son envie de faire un Cosby show version rebeu : « C'est marrant une famille orientale, ça vibre, ça crie, ça pleure, ça rit, c'est vivant. Un projet qui m'est cher que je mènerai à terme un jour ». Tout ça pour dire qu'il est prêt à repartir, ce livre constituant pour lui une rupture. Mais sans sourire, comment cela va-t-il se passer ? Qui vivra verra.


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