Algérie - A la une


Fatuité
«Celui qui a la prétention d'enseigner ne doit jamais cesser d'apprendre.» John Cotton Dana
«Pour écrire un quelconque ouvrage, il faut, selon moi, avoir le feu sacré. Il y a des auteurs qui se sentent habités par le besoin de témoigner de leur époque et donner aux futures générations un inventaire détaillé de situations et de comportements... Il y en a qui, par vanité, veulent laisser une trace de leur passage sur terre: cela se traduit souvent par des ouvrages recouverts par la poussière dans les entrepôts de l'oubli. J'ai été dans ma jeunesse un rat de librairie et je m'extasiais devant la profusion de romans étalés sur les devantures et les rayonnages: des peintures de moeurs, des histoires d'amour, des aventures palpitantes, des intrigues policières, des contes philosophiques, des biographies ou des autobiographies édifiantes, des sagas qui racontent les parcours sinueux de grandes familles, des romans historiques... Enfin, j'étais tellement attiré par ces ouvrages bien reliés avec, en médaillon sur la couverture, le portrait de l'auteur que j'ai rêvé maintes fois de me voir à cette place si honorifique. Mais quand j'ai découvert l'envers du décor, les démarches mesquines auprès d'éditeurs âpres au gain, les piles d'invendus qui encombrent les couloirs de certaines maisons d'édition, j'ai mis un bémol à ma folie des grandeurs.
La voix de la raison s'est finalement imposée: pourquoi ajouter une goutte d'eau à l'océan' De quel talent dois-je me prévaloir pour oser rêver simplement de remplacer le plus méconnu des auteurs sur un petit coin de bibliothèque' Si je ne peux pas me mettre à côté d'un Balzac, d'un Zola, d'un Tolstoï ou d'un Faulkner, à quoi bon prendre toutes les peines du monde pour m'engager dans un long processus de gestation: inventer des personnages ou créer des copies presque fidèles aux gens que j'ai connus, décrire leur accoutrement, les situer dans l'espace et dans le temps, les habiller, décrypter leurs comportements, décrire l'environnement dans lequel ils évoluent...' Un sacré boulot. Et puis promener tout le temps avec soi ces personnages, dialoguer avec eux pendant que les autres vaquent à leurs affaires. Je ne me vois pas assis à la terrasse d'un café et vomir sur un rouleau de papier, comme Jack Kerouac, mes fantasmes. Qu'amènerais-je de neuf à une littérature qui compte des galeries de personnages tout aussi attachants les uns que les autres' Je ne ferais pas oublier Céline. N'est pas Kateb Yacine qui veut: il y en a un par siècle. J'aurai peut-être avec un peu de chance, aligné quelques silhouettes un peu floues dans un décor qui a maintenant disparu et où ne se reconnaîtront pas les jeunes d'aujourd'hui. Et puis, qu'aurais-je vécu de si extraordinaire pour oser m'avancer sur le devant de la scène et dire aux gens: me voilà et je vous présente ma famille' Je peux bien parler du village de mon enfance qui est pour moi unique au monde: il suffira de lire Le fils du pauvre de Mouloud Feraoun pour en voir un tout pareil, avec ses personnages presque identiques. On se reconnaît dans chaque pas que font les personnages de Feraoun et de Mammeri.
Evidemment, on peut le raconter autrement, comme dirait un journaliste de mes amis: imaginer un crime politique déguisé en crime crapuleux et suivre toute la filière des corrompus qui habitent les administrations d'hier comme d'aujourd'hui.
Raconter la saga d'une famille qui a aidé le colonialisme à s'installer au pays, qui a prospéré durant un siècle avant de déléguer un des siens à Tunis afin qu'il rentre victorieux pour préserver les acquis. Je vois déjà les gens de chez moi mettre des noms sur des profils très connus: «Combien me regarderaient de travers, combien je recevrais de coups de revolver».


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