Farid ne cherche pas à démontrer, il donne à voir. Chez lui, l’objet n’est pas alibi. Il scrute l’âme des choses. Son extrême sensibilité fait de lui un artiste tout le temps à la limite de la rupture.
C’est par l’accumulation des fines couches, une rare maîtrise personnelle de la lumière et aussi par son implication qu’il nous fait rentrer dans l’intime. Car, que les scènes se déroulent en extérieur ou soient des mises en situation, on est bien dans l’intime. C’est d’ailleurs ce qui ressort de son cheminement artistique. Que ce soit sa période académique, un classicisme empreint d’orientalisme, où l’on remarque une forte influence de Dinet et de Delacroix, ou, déjà plus personnel, ses portraits de plus en plus stylisés, l’ancien élève des Beaux-Arts d’Alger accapare un univers original. « La Kabylie chez lui est un village qui donne l’universalité. C’est une Kabylie généreuse, ouverte. Il serait injuste de l’enfermer dans un pays, tant ses influences et ses inspirations dépassent largement les frontières d’un Etat. C’est un peintre libre qui se vit comme tel », note l’un de ses amis. « Plus ses toiles sont grandes, plus il se montre pudique et discret. Sa rage de survivre ne saute pas aux yeux au premier abord. Farid a le don très rare de nous laisser voir l’invisible. En regardant ses toiles, très expressives, on apprend à regarder ce qu’elles cachent », observe Hocine, en fin connaisseur. Grand, élancé, l’homme aux multiples talents (musicien, interprète, professeur de chant ) évite de mettre des mots sur son art. Sa façon de conceptualiser est peut-être de peindre encore et encore, frénétiquement. Une façon de survivre, surtout quand la violence frappe à la porte. Etrangement, son œuvre échappe justement à toute forme de violence. Il y a une grande force d’expression, parfois une possessivité qui fait l’unicité de son œuvre, mais aucunement une forme d’agressivité. Ses portraits sont à plusieurs dimensions. Comme si le personnage peint est nombreux, schizophrénique. Il en ressort un trouble diffus, obsessionnel. L’homme est à l’intérieur de l’homme, ce n’est jamais une surface lisse. Ses personnages féminins ont cette force qui semble faire défaut à l’homme, par ailleurs très absent. Une absence qui ne semble pas très importante. Elle passe même inaperçue, tant la présence féminine accapare tout l’espace. Un peu à l’image de l’Algérie dans les années sombres, tenue debout par sa « moitié faible ». « On ressent une étrange douleur dans ces tableaux, une douleur sans mots, très discrète. Une forme de mélancolie voile les yeux des personnages. On comprend plus qu’on entend les personnages. Ils murmurent une langue sans mots », souligne un admirateur, venu assister à son exposition (1). Dans son art, Farid est modeste. Il se réfugie dans l’art pictural pour éviter d’ajouter des mots aux mots. Et quand le besoin se fait sentir de chasser d’autres démons, et cette fois-ci non pas dans le silence mais au contraire dans un joyeux brouhaha, il prend son bendir et laisse sa voix chevaucher le répertoire traditionnel algérien. Car la lumière (et son absence) et le son se complètent. Farid passe de l’un à l’autre avec une facilité déconcertante. Son univers est riche de couleurs et de sons. Un monde forcément généreux.
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Exposition : Kif-Kif, 17, rue de la Forge royale, 75011, Paris, Métro Faidherbe-Chaligny (8).
Posté Le : 30/10/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Rémi Yacine
Source : www.elwatan.com