Algérie

Fanon, reviens ! Edito



Fanon, reviens ! Edito
La charge, maladroite et puérile, du Premier ministre de Bouteflika contre les sciences humaines et la poésie, renseigne sur la place de la culture en général aux yeux du régime algérien. N'est intellectuel que l'historien, le sociologue, l'écrivain ou le poète «organique», chouaârae el balat (les poètes de la cour). Les seuls nervis que le vieux régime peut accepter et adouber, en tant que vassaux de sa pensée étriquée, opportunistes selon les saisons. On peut comprendre la charge d'un Premier ministre qui, lui-même, et durant sa carrière au sein de l'Etat, n'a jamais placé les connaissances avant la médiocrité ambiante. Lui et son président ' ce dernier complexé par l'absence dans son CV de diplômes universitaires ' n'ont eu de cesse de mépriser le savoir en général et les sciences humaines en particulier. Souvenons-nous de la colère de Bouteflika, en 2002, quand des chercheurs en anthropologie ont rendu leurs résultats dans le cadre de sa fumeuse réforme de l'éducation : il avait balayé d'un coup de main coléreux les conclusions des chercheurs quant à l'origine des langues en Algérie. «C'est quoi ces travaux ' Vous voulez me faire éclater le pays '», lança le Président en recevant les chercheurs au Palais d'El Mouradia.Mais au-delà, le président et son Premier ministre viennent d'un autre âge, de l'ère glaciale de Boumediène. Ce dernier a mené une guerre sans répit contre les sciences humaines pour qu'il puisse imposer ses choix idéologiques d'arabisation et de «socialisme spécifique». Et ainsi des sommités valeureuses, comme Mostefa Lacheraf, ont payé le prix de cette obsessionnelle volonté de casser l'intellectuel. Longtemps après, nous constatons à quel rang sont reléguées les sciences humaines. Mais il faudra poser la question à Sellal, à son gouvernement et à son président Bouteflika : quelle place aurait l'Algérie et quelle issue compte-t-elle adopter en se technocratisant sans réfléchir à «être soi» ' Pourquoi les agriculteurs ne travaillent plus la terre ' Parce qu'aucun lien anthropologique et sociétisant ne les relie à cette même terre. Pourquoi l'inflation ' Parce qu'on a perdu le sens ancestral des saisons et que le marché est dicté par des importateurs et non par des agronomes ou des sociologues de la ruralité comme Claudine Chaulet. Pourquoi les violences multiformes éclatent-elles un peu partout ' Parce que nous n'avons pas étudié assez les racines psychologiques de notre mal-être.
Pourquoi les réflexes coloniaux résistent-ils dans l'ADN mental de nos dirigeant et de nos élites ' Parce que nous n'avons pas assez exploré la période coloniale comme l'aurait fait Frantz Fanon, dont les travaux que le mental algérien a ostracisés après l'indépendance. Et la liste est très longue. In fine, que dit Sellal en somme ' Qu'un bureau d'études étranger pourrait régler les problèmes ' D'ailleurs, c'est exactement ce que fait l'Etat. Au fond, ce mépris est le même que celui de la France coloniale contre le génie des jeunes cadres du CRUA en 1954. Le même que celui de l'intelligence humaine face à la machine, mépris adopté par les totalitarismes nazis et staliniens au XXe siècle. Avec ce mépris, on ne peut aller que vers la catastrophe. Nous en avons déjà des avant-goûts dans notre système éducatif.


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