Algérie

«Faire le mur»



«Faire le mur»
Tragédie n Combien de morts et de disparus sont signalés chaque jour, emportés par une mer jamais rassasiée ' Elles sont combien de familles à toujours porter le deuil '
Des milliers de cadavres ont flotté et flotteront encore, poussés par les courants vers les rivages. Corps gonflés, sans vie, momifiés, parfois amputés d'un bras ou d'une jambe, dévorés par des poissons voraces. Toute la misère du monde se lit sur le visage de certains parents qui portent encore à ce jour un deuil éternel. Salah n'arrive toujours pas à croire que son fils Khaled a sacrifié sa vie sur l'autel du chant des sirènes et des mirages. «Khaled a sacrifié sa vie à cause de la misère.
Il avait le sentiment d'exclusion, le taudis familial que nous occupons, l'absence de travail décent, la hogra et le mépris qui l'accablaient, sont autant d'éléments qui ont poussé mon fils à la harga. Je ne pouvais pas le retenir, et lui, ne pouvait plus jouer chaque jour à cache-cache avec les uniformes pour installer sa table de cigarettes», dit-il.
Une maman, Bahia, veuve et mère de quatre enfants, n'arrive toujours pas à croire que son fils Madjid n'a pas eu droit à une sépulture. «Si au moins Madjid avait une tombe sur laquelle je pourrais me recueillir», nous dit-elle entre deux sanglots. Nous avons éveillé en elle un souvenir impérissable, celui de cet aîné qui remplaçait le père de ses frères et s'urs. «Il disait chaque fois, qu'il devait partir à l'aventure pour assurer une situation décente à la famille.
Et, il est parti sans jamais revenir. Il a emporté avec lui notre espoir. Je réalise maintenant qu'il a été irrésistiblement poussé par la fausse idée qu'il y a ''là-bas'', celle de la prospérité pour tous. Il avait l'image de ceux, parmi ses amis, qui ont réussi à se faire une situation et qui reviennent au pays avec des signes de richesse et de bien-être», ajoute-t-elle en nous montrant sa photo accrochée soigneusement au mur dans un cadre près de son défunt père. Deux témoignages, deux exemples de familles encore sous le choc. Elles sont des centaines, pour ne pas dire des milliers, dans la même situation que Salah et Bahia.
Entre-temps, les frontières naturelles et officielles de certains pays de l'Union européenne n'ayant pas suffi pour lutter contre «l'adversité», on recourt aux clôtures et aux «murs». Ces derniers, en acier ou en béton, surmontés de barbelés et placés sous forte protection policière, semblent, à première vue, infranchissables. Mais impressionnantes et discriminatoires, ces fortifications protègent moins bien qu'elles ne séparent, car il y a toujours des brèches et des moyens de s'y engouffrer. Un mur cela suggère la liberté, cela incite à l'escalade, à l'aventure, «faire le mur», c'est aujourd'hui le leitmotiv des harragas. «Un mur, c'est aussi un obstacle supplémentaire pour accélérer la mort», disent les spécialistes intéressés par ce phénomène. Même les harragas le disent aussi, mais ils vont vers la mort.
R. K.


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