Un jour d'été, le 3 août 1936, le soleil commençait a décliner sur le magnifique stade de Berlin lorsqu'un Noir, le jeune Jesse Owens des USA, fort de sa jeunesse et de sa puissance, décrochait la médaille d'or du 100 m des Jeux olympiques organisés par l'Allemagne.
Le chancelier Adolphe Hitler entouré de son aréopage ne semblait pas s'intéresser aux joutes sportives qui se déroulaient devant lui. Mais cette indifférence n'était qu'apparente car, à la vue du Noir triomphant, il va se lever d'un bond, la mèche de les cheveux en colère, sa moustache dressée et quitter l'enceinte olympique. Il ne pouvait pas supporter qu'une personne classée dans la catégorie inférieure dans la nomenclature nazie des races triomphe des aryens. Il fut suivi par son staff ; on sait ce qu'est devenue par la suite la prestigieuse Allemagne, cette terre de culture chère à Goethe. Elle va sombrer dans la dictature la plus cruelle, le racisme le plus abject ; des intellectuels de toutes sortes, peintres, artistes, écrivains, cinéastes, des juifs, des communistes vont connaître les pires humiliations et pour beaucoup d'entre eux l'exil et la mort. Des bibliothèques furent saccagées, des livres brûlés ou interdits.Un effet positif sur nousTous ceux qui ne se proclamaient pas de la nationale socialiste étaient voués aux pires ignominies et s'exposaient à de graves dangers. Quelques mois plus tard et au nom de la civilisation, Adolphe Hitler se lançait à l'assaut de l'Europe et peut-être du monde. Les avions vont déverser des bombes sur les villes de Pologne, de Tchécoslovaquie d'abord, avant de s'étendre sur les autres cités d'Europe, n'épargnant ni civils ni malades, ni vieillards, ni femmes, ni enfants. Ses compatriotes complices ou résignés observaient sans réagir le déroulement d'une guerre avec son cortège d'incendies, de destructions, de prisonniers, de blessés et qui aura entraîné plus de 50 millions de morts. Sur ce qui se passe actuellement aujourd'hui après un match de football, sans atteindre la folie de ce qu'on a pu voir lors de la guerre de 40, relève cependant du même esprit. Un pays se déclarant supérieur à un autre ne peut pas admettre que l'issue d'une compétition sportive lui soit défavorable. Un Goliath ne peut pas céder devant le petit David ; le Sphinx ne peut pas être battu par les Fennecs. Mais ce déferlement de violence, de haine observé sur les bords du Nil, soyons rassurés, ne troublera en rien la marche du monde. Le pouvoir égyptien n'a pas ou presque d'aviation (tant mieux) et ses possibilités de nuisance ne sont craintes par personne et notamment par ses voisins les plus proches, pourtant petits et ne disposant pas de moyens humains aussi importants que ceux des pharaons. Nous irons tranquillement en Afrique du Sud sans craindre que l'avion de nos joueurs soit intercepté, ou leur bus caillassé. Nous n'avons pas besoin de nous rendre en masse en Afrique du Sud, les habitants de ce pays avec lesquels tant de liens nous unissent sauront protéger nos joueurs et spectateurs, comme le fit magnifiquement le Soudan. Partant du principe que la loi du plus fort est toujours la meilleure, et bien avant la confrontation, commença une déferlante d'insultes, d'humiliations envers les Algériens par ces médias qui, quelques mois auparavant, avaient accusé leurs propres joueurs d'avoir eu des relations avec des prostituées traitées, en la circonstance, de voleuses. On sait à ce propos que ces affirmations étaient gratuites et que beaucoup de joueurs, très croyants de surcroît, furent très affectés, certains ont eu des conversations houleuses avec leurs épouses, les divorces étaient dans l'air et d'autres vont même envisager de quitter leur équipe nationale. Cette campagne de calomnies va préparer le piège tendu aux joueurs algériens à leur arrivée au Caire et plusieurs blessés furent relevés. Le ridicule ne tuant pas (et c'est bien dommage), cette agression est mise sur le compte des Algériens qui se seraient blessés eux-mêmes sciemmment. Heureusement que des caméras étrangères ont pu filmer l'attaque du bus des joueurs, mettant à nu les allégations des médias égyptiennes, pour le moins ubuesques. Le jour du match, et surtout après, les Algériens qui y ont assisté ont subi un véritable cauchemar ; ils ont été blessés, humiliés, et j'en passe... Mon fils qui travaille en France et qui y vit depuis des années, a fait le voyage du Caire et croyant à un séjour de sinécure, envisageait même de visiter la prestigieuse ville du Caire. Il évitera de justesse blessures et humiliations en rattrapant un taxi passant par miracle à proximité de lui pour rejoindre son hôtel. Ses autres amis qui étaient dans leur bus furent agressés, humiliés et certains blessés même. Ils ne purent atteindre leur lieu d'hébergement qu'aux aurores pour ensuite s'engouffrer dans le premier avion en partance pour Paris. Mon fils, fatigué, traumatisé, mettra plusieurs jours avant de s'en remettre. Quand il a eu la force de nous écrire, il nous dira qu'il était bien arrivé et qu'il était retourné à la civilisation (tiens, tiens ..., lui aussi parle de civilisation ... ). Ce qui s'est passé au Caire est très grave, car des joueurs ont été agressés avant le match, un acte que les Algériens ont ressenti comme un affront et qui ne saurait être pardonné. C'est tout naturellement, sachant que leurs idoles étaient menacées, qu'ils vont se rendre massivement à Khartoum pour les encourager et les protéger. Ceci a, semble-t-il, surpris nos « frères » égyptiens qui ignorent totalement notre mentalité. Tout le monde sait (à part bien sûr ceux de Oum Dounia) que l'Algérien est très sensible, fier et qui, dès qu'on touche à son amour-propre, à son pays, ou qu'il sent la « hogra », il sort ses griffes et ne recule devant rien. Le match de Khartoum (qui aurait pu d'ailleurs sourire aux Egyptiens) s'est déroulé dans d'excellentes conditions, avec un arbitrage magistral et neutre, une sécurité des plus satisfaisantes, comme l'ont attesté les instances internationales du monde du football et les autorités soudanaises (qu'on doit féliciter pour la circonstance). Alors que tout semblait rentrer dans l'ordre, nos Goliath ne veulent pas s'avouer vaincus et occultant le cauchemar du Caire, les médias, le monde culturel et même certains de leurs autorités vont redoubler de violence dans leurs médias bien rodés dans ce genre de travail. Ils iront même jusqu'à brûler le drapeau, symbole de toute une nation. Je ne reviendrai pas sur toutes leurs insanités, mais leurs attaques sur l'état lamentable de notre culture méritent qu'on s'y attarde. Je suis d'abord convaincu que ces événements auront un effet positif sur nous. En effet, ils nous obligeront à redoubler d'efforts pour faire connaître notre histoire et notre civilisation, notamment aux descendants des pharaons qui, en dehors du Caire, ne semblent pas voir plus loin que le bout de leur nez, fût-il aussi beau que celui de Cléopâtre. En dehors du Nil, il n'y a point de culture. Nous devons aussi les remercier de nous avoir civilisés après l'indépendance, démontrant ainsi que le pouvoir colonial nous a laissés dans un état de délabrement avancé et que son 'uvre civilisatrice est une pure invention. Mais, franchement, on n'avait pas besoin de ce coup de pouce car si nos pharaons avaient daigné se renseigner sur notre histoire, ils auraient su, et c'est l'avis même des généraux qui nous ont combattus à l'époque, que 60% des Algériens en 1830 étaient alphabétisés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans de nombreux pays, y compris le vôtre. Et comme le disait Mohamed Dib, « Si vous nous connaissiez, vous auriez constaté que le plus civilisé, ce n'est pas celui à qui l'on pense. » De plus, s'ils veulent bien nous cerner, ils doivent savoir que parce qu'on était pas rien, qu'on avait une histoire et une civilisation, une identité à défendre, que nous avons de tout temps bouté les dominateurs hors de notre pays. Le dernier combat libérateur nous a coûté des milliers de morts (à qui il leur sera très difficile de vous pardonner de les accuser d'avoir donné naissance à des millions de voyous ). Mais notre sacrifice n'était pas vain, car après 130 ans de colonisation (le fait est rare dans l'histoire des combats des peuples qui ont subi une colonisation de peuplement) après avoir combattu une armée suréquipée et disposant d'un million d'hommes, nous avons retrouvé notre liberté et notre dignité. Notre civilisation puise ses ressources dans la période anté-Christ où nos vaillants Imazighene ont battu les pharaons, des empereurs romains et même Rome. Durant l'évangélisation de notre pays, on donnera à l'église Saint Augustin un de ses illustres enfants qui a codifié leur culte. Après l'arrivée des Arabes, l'Islam n'a pas posé beaucoup de problèmes d'acceptation, car nos compatriotes de l'époque, déjà au fait des croyances, vont vite l'adopter pour toutes les raisons que l'on connaît. Les habitants de l'Algérie vont se lancer avec toute leur âme et leur ardeur pour apporter leurs connaissances et leurs richesses. Certains d'entre eux vont créer le Caire et commencer la construction de l'actuelle mosquée d'El Azhar. Les meilleurs d'entre eux vont conquérir l'Espagne et permettre à cette belle Andalousie de rayonner de par le monde, de sortir l'antique Grèce de son oubli et contribuer à l'édification de la civilisation que nous connaissons. Cette période la plus glorieuse verra l'éclosion de mathématiciens, d'astrologues et de médecins comme Averroès qui a séjourné plusieurs fois dans notre pays et qui a été à la base de la médecine moderne. On peut citer encore plusieurs faits civilisationnels et guerres, mais comment oublier qu'Ibn Khaldoun, l'ancêtre de l'histoire et de la sociologie modernes (qui a écrit la majorité de son 'uvre en terre algérienne) a contribué à éviter la défaite et l'humiliation des Egyptiens. Il vivait au Caire quand le roi de l'époque Anassir Faradj (qui était jaloux de son aura) lui demanda de l'accompagner contre son gré en Syrie pour combattre Tamerlan, le chef mongol, digne héritier de Gengis khan. Le roi craignant pour sa personne, repartit chez lui en abandonnant son armée et Ibn Khaldoun. Celui-ci sera sollicité par les notables de Damas pour intercéder auprès de Tamerlan (cela se passait entre décembre et janvier 1401) et de lui demander d'épargner leur ville. Ibn Khaldoun se rendra auprès du chef mongol, bien que sachant que c'était un monarque terrible et sanguinaire. Après 35 jours de discussions, Ibn Khaldoun fut relâché, la ville de Damas évacuée, et l'Egypte échappera aux foudres de Tamerlan qui n'aurait eu aucune peine à conquérir le pays des pharaons. Il est inutile de vous faire l'injure de vous rappeler nos faits d'armes, contemporains, où le sang de nos martyrs s'est mêlé à celui des vôtres, arrosant ce cher sol égyptien. Quant à votre niveau de civilisation actuelle supposément élevé selon vous, je laisserai à vos hommes compétents et honnêtes de science et de culture, d'en faire le bilan et de balayer à vos portes. Si à ce jour vous ne savez rien de notre civilisation au point de nous traiter d'incultes, c'est de notre faute car nous ne faisons pas le nécessaire pour vous la faire connaître.La guerre par d'autres moyensJe ne rougirai pas en souscrivant pleinement aux propos d'un historien qui, dans une conférence tenue à Paris, dira : « Vous les Algériens, vous êtes trop modestes. Votre pays est magnifique, votre sol est un musée pour les anthropologues, il contient des ressources extraordinaires et votre vécu culturel et vos apports scientifiques ont largement contribué à l'épanouissement de la civilisation actuelle. » Oui, ce pays est magnifique et nous allons le faire connaître et bien connaître et on ne remerciera jamais les médias égyptiens de nous avoir poussés à nous intéresser plus à notre histoire, à notre culture et à son rayonnement dans le monde. Merci surtout d'avoir donné l'occasion à notre jeunesse d'exulter et de montrer aux jeunes du monde entier que dans sa majorité qu'elle n'est pas celle des harraga. C'est une jeunesse qui aime son pays, qui est attachée à son histoire, à sa culture, elle se sent aussi garante de ce patrimoine qu'elle défendra, au besoin, bec et ongles contre quiconque s'aventurera à le dénigrer où à 1'humilier. Cette jeunesse est prête à tous les sacrifices et pour peu qu'on s'y intéresse, elle fera de l'Algérie un eldorado, comme nous le rêvions. Pour revenir sur terre, rappelons que tout ce séisme est dû à un match de football. Dans beaucoup de pays et contrées, la violence rode autour des stades, mais jamais, si l'on excepte les faits survenus entre le Salvador et le Honduras (encore qu'il y avait un problème de terre) elle n'a donné lieu à autant de dérapages, et ce par la faute de certains mafieux et des médias (et peut-être de certains responsables belliqueux) malhonnêtes et chauvins. On a assisté à des débordements avec des conséquences graves, notamment des blessés et aussi au point de compromettre l'amitié légendaire de deux peuples et surtout mettre en péril la vie de leurs habitants. Le football est devenu, comme le dit un philosophe, une façon de faire la guerre par d'autres moyens. En tant qu'adultes et responsables, nous avons le devoir d''uvrer pour que le sport et le football ne soient pas un moyen d'attiser la haine, mais un facteur de rassemblement et de paix entre toute la jeunesse du monde entier. C'est le souhait que je formule, en espérant que tous ceux qui ont semé la haine et la violence fassent leur examen de conscience et reviennent à de meilleurs sentiments.
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Posté Le : 06/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kheir Eddine Merad
Source : www.elwatan.com