Traduction par E. LEVI-PROVENÇAL Paris, Geuthner, 1928
ENTRÉE DE L'IMPECCABLE A TLEMCEN
Apprends, ô mon frère, qu'une fois entrés à Tlemcen, nous descendîmes (au faubourg) d'Agadir, chez Ibn Sahib es-Salât (1). En pénétrant dans la ville, l’imam rencontra une nouvelle mariée que l'on conduisait à la demeure de son époux : elle était montée sur une selle et précédée d'un cortège de musique et de choses blâmables. Il brisa les tambourins et les instruments de musique, mit fin à ce spectacle immoral et fit descendre la mariée de sa selle.
Les tolba de la ville vinrent assidûment auprès de l'Imam Mahdi s'entretenir avec lui (2) : parmi eux se trouvaient Abou l^Abbas ech- Charîf, Mouhriz b. Yousouf et-Tounisi (3), Ali Ibn Sâhib es-Salât Ibn Jalal, Otman Ibn Sahib es-Salât, Yahya b. Yafitin el-Jazouli, Abd er-Rahim et Mohammed b. CAbd er-Rahman el-Madyouni. Et ils virent le maître faire preuve d'une science dont ils étaient incapables.
Un jour, l’imam monta entre les « Deux Rochers » (es-Sakhrataïn) (4), regarda à droite et à gauche et dit : « Comment s'appellent ces eaux, cette plaine et cet endroit ? ». On les nomma et il ajouta : « Ici même, parmi vous se trouve un taleb qui campera là-bas, parmi ces eaux, avec son armée, et l'on entendra de l'endroit où nous sommes le bruit qu'elle fera. » Puis il reprit le chemin de la ville et nous dit : « Nous partirons demain, s'il plaît à Dieu et avec la bénédiction du Prophète de Dieu. »
(1) Ce personnage, dont Ibn Khaldoun (V. note suivante) fait le cadi de Tlemcen à cette époque, est difficilement identifiable, de même que le Ali et le Otman nommés plus bas, encore que sa famille - ou une famille du même nom- ait acquis en Espagne une illustration suffisante pour que plusieurs personnages de ce nom aient fait l'objet de monographies de la part des biographes andalous. Mais il semble que ces différents Benou Sahib as-Salât n'aient eu entre eux aucun lien familial : l'un était de Palma, un autre de Séville, un troisième de Grenade. II ne semble même pas qu'un rapport de parenté existe entre Benou Sahib es-Salât de Tlemcen et le futur historien de la dynastie almohade, Abou Marouan ou Abou Mohammed Abd el-Malik Mohammed b. Ahmed b. Mohammed b. Ibrahim el-Bâghi, connu sous le nom d'Ibn Sahib es-Salât, qui mourut en 1182.
(2) Abd el-Wahed el-Marrâkouchi. el Moughib, texte, p. 132-33, trad. p. 159-60, donne un long récit d'allure légendaire sur le séjour d'îbn Toumert à Tlemcen. D'après lui, il s'installa à la mosquée d'el-Eubbad et y mena une vie d'ascète, n'ouvrant la bouche qu'à ses cours. Il y aurait, d'après cet auteur, délivré sans aucune intervention l'un de ses disciples qui avait été emprisonné. Il ne quitta la ville « qu'après s'être concilié les principaux habitants et avoir conquis leurs cœur ». Ibn Khaldoun, Ibar, Histoire des Berbères, texte, I, p. 300; trad., II, p. 166. dit qu'à Tlemcen Ibn Toumert fut conduit devant le cadi de la ville, Ibn Sahib es-Salât, qui lui reprocha sa doctrine et lui adressa une réprimande; l'autre n'en tint aucun compte et continua sa route.
(3) Peut-être ce personnage est-il le même que celui dont parle Kitab et-Tasaouwouf (ms. de M. Michaux-Bellaire, p. 86) et qui était originaire de Sfax, en Tunisie. Avec ses deux frères Abou t-Tayeb et Mohammed, il finit par s'installer à Aghmat des Orika, et tous trois se mirent à enseigner.
(4) Le même toponyme apparaît dans Ibn Khaldoun, « Ibar. Histoire des Berbères ». texte, I, p. 247, 305; trad., II, p. 85, 177. Il s'agit des contreforts rocheux de la montagne qu'el-Bekri, Description de l'Afrique septentrionale, texte, p. 77, trad. p. 179, appelle Jbel Terni.
Posté Le : 24/05/2019
Posté par : tlemcen2011