Algérie

Extinction du parler constantinois Usage d'un langage hybridé chez les jeunes



Extinction du parler constantinois Usage d'un langage hybridé chez les jeunes
A. Lemili

S'il y a une particularité qui n'est plus de mise à Constantine, c'est le parler local. Il est certain que ce parler n'est pas spécifique à la seule ville des ponts dans la mesure où chaque région d'Algérie a, si l'expression est permise, son idiome ou du moins des expressions qui permettent de préciser des situations qui ne peuvent l'être autrement.
A Constantine, le parler constantinois a existé, il pourrait même être qualifié de langage d'initiés qui caractérise l'âge, l'origine sociale et l'éducation ou encore les milieux de fréquentation mais également le lieu géographique de résidence selon qu'il s'agisse de quartiers populaires, huppés, bourgeois.
Les familles bourgeoises qui revendiquaient leur appartenance à la ville, quitte pour cela à remonter à la présence ottomane, les nouveaux citadins que l'invasion française a forcément déraciné au début du 19e siècle et enfin ceux qui ont rejoint la ville au lendemain de l'indépendance. Chacune de ces catégories se différencie par son langage, celui des premiers étant maniéré, voire précieux, alors que pour les seconds c'est plutôt un parler simple et souvent fruste, fécond et surtout un parler vrai. Enfin il y a le langage des derniers arrivés, c'est-à-dire les populations descendues des montagnes de grande Kabylie, celui-ci est compréhensible malgré la déformation de certaines consonnes notamment, le «l» étant prononcé par «n», le «q» par «k» et le «k» par «ch». Du début du siècle et jusqu'à la fin des années 70 le parler des Constantinois allait toutefois entamer graduellement son extinction, après une période très féconde où un mot ne se résumait pas seulement à déterminer ou désigner une chose, un objet, un individu mais s'avérait allusif à telle enseigne qu'il renseignait dans sa quasi intégralité l'élément auquel il était appliqué. C'était plus particulièrement le parler de l'honneur, du respect de la dignité et de la morale. Tout comme les mots utilisés dans les chansons populaires à l'image du chaabi. Ce type de langage glissera
progressivement vers un autre tout en gardant la même majesté populaire à mesure que passaient les générations. Ainsi du début des années 60 à la fin des années soixante dix, c'est l'usage de mots et qualificatifs courants très machistes qui faisaient florès chez les jeunes, si des mots comme «gouman» (dur), «sani» (parvenu), «sat» (éphèbe) s'estompaient graduellement, d'autres venaient à leur lieu et place prenant naissance dans les milieux artistiques mais aussi au sein d'une jeunesse à l'attitude mâle très exacerbée (roujla). Là allait s'implanter une nouvelle forme de langage appelée «zeglania», sans doute par allusion à «anglizia» (anglais), et qui consistait à inverser les syllabes d'un mot, une sorte de verlan, et permettre à deux initiés de converser entre eux sans risque de voir leurs propos interprétés. «Sidi» devenait «Dissi», «Difen» (le vin) se prononçait «fendi», «chouf » (regarde) par «fouch», «n'taï» (mien ou mienne) par «naati», «tofla» (fille) devenait «flotta», «cheikh» par «kheïch», «draham» (argent)' «mradaa», etc. Cette façon de parler et de communiquer qui s'était vulgarisée pendant un certain temps s'essoufflera néanmoins en raison du rétrécissement, voire de la disparition des rencontres conviviales que suscitaient les fêtes familiales, où une bonne place était consacrée à la rencontre des «chouyoukh» locaux de la musique citadine lesquels déteignaient par leur attitude, leur port, leur calme, sagesse sur les convives qui ne pouvaient que les répercuter sur leur entourage, dans leur quartier. A partir des années 80 il y aura une certaine rupture dans cet espèce de modus-vivendi, le vide durera assez longtemps jusqu'à la popularisation de la musique rap qui installait une novlangue spécifique aux jeunes. Un parler plutôt brut pour ne pas dire violent, voire grossier dans lequel la poésie ne pouvait qu'être indésirable.
La particularité de ce nouvel idiome est qu'il est d'usage aussi bien chez les garçons que les filles.
En fait, au jour d'aujourd'hui, le parler populaire, simple, compréhensible a été totalement hybridé jusqu'à en rendre incompréhensible tout type de communication entre deux personnes décalées, en décalage d'une génération.
A. L.


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