Algérie

Explications en cour d'examen



Dans ce centre d'examen de Tébessa où on passait le brevet, les élèves du collège Souahi-Madani comme ceux de Imam-Ali sont convaincus, chaque bande de son côté, qu'ils sont les «meilleurs».
Les premiers «savent» surtout que les autres sont des salauds qui ne sont là que pour leur pomper l'air. Les seconds, quant à eux, n'en démordent pas : les premiers ne valent pas grand-chose, sont nuls et sont des sauvageons. A quelques nuances près, il en est ainsi dans tous les établissements scolaires d'Algérie.
A défaut de saine compétition, on apprend la rivalité qu'on peut. Ou qu'on veut bien nous inoculer. La rixe qui vient d'éclater à Tébessa entre les élèves des deux collèges cités ne fait que nous rappeler que l'école couve une violence permanente et elle n'attend que le prétexte, n'importe lequel, pour s'exprimer au grand jour. Elle vient donc de s'exprimer dans une cour de centre d'examen, à la sortie de l'épreuve de français.
Un accrochage entre deux élèves des deux établissements à la récréation a dégénéré. S'en est suivie une bagarre générale incontrôlable où quasiment tous les enfants ont placé leur coup. Une vingtaine de blessés dont un dans un état grave, rapporte notre correspondant sur place.
Il a fallu l'intervention de la police pour que le calme revienne et que les élèves retrouvent les salles d'examen pour l'ultime épreuve de sciences naturelles.
Il a fallu donc que ces bambins, visiblement toujours prêts à en découdre, se retrouvent ensemble, partagent un espace que personne ne leur a appris à partager pour que survienne l'invraisemblable. Un centre d'examen subitement transformé en arène avec un niveau de violence inimaginable, puisque l'un des «belligérants» a été transféré aux urgences avec un morceau de verre enfoncé dans la jambe.
C'est que les deux enfants à l'origine de cette rixe impensable, comme tous les autres à travers le pays, sont tous les jours soumis à ce terrible matraquage. Immeuble contre immeuble, groupe d'immeubles contre groupe d'immeubles, cité contre cité, quartier contre quartier, village contre village, ville contre ville, région contre région' et ça continue. Les raisons ' Il paraît que les Algériens ne savent pas partager autre chose que leurs malheurs.
Il est vrai que des exemples, à toutes les périodes de l'histoire où ils se sont serré les coudes et dormi ensemble pour avoir moins froid, ne manquent pas. Mais la formule reste un cliché, sinon il faudra céder à toutes les fatalités. Il n'y a pas de violence dans les gènes, pas plus qu'il y en a dans le parcours historique.
Il n'y a de violence que celle que sécrète la société à un stade ou à un autre de son développement. Justement, quels espaces communs ont nos enfants à partager qui leur permettent de vivre autre chose que la confrontation permanente, avec des motivations très souvent fallacieuses '
Pas grand-chose, sinon des endroits qui, faute d'inspirer plaisir d'être et la perspective de s'émanciper, sont d'abord vécus comme des contraintes. Le travail, l'école et la rue. Qu'on se retrouve dans le parking de la cité et c'est la bagarre avec le voisin d'en face, qui a forcément moins de raisons d'être là. Parce qu'il vient de débarquer dans le coin, parce qu'il est «étranger» à la ville, parce qu'il est originaire d'une région pestiférée ou parce que d'un rang social trop bas pour lui permettre d'être là.
Qu'on se retrouve au stade et c'est la guerre assurée. Les affrontements en tribunes ou aux alentours des enceintes sportives compensent dans de rares violences le piètre spectacle proposé sur le terrain, quand ce n'est à partir de là qu'on «donne l'exemple».
Ce qui est censé être une rivalité sportive s'exprime dans la haine la plus abjecte, parfois jusqu'à mort d'homme. A partir de là, il ne faut pas s'étonner que des ados censés se chambrer dans la bonne humeur en arrivent aux affrontements les plus dramatiques. Même les explications traditionnelles par le dés'uvrement tombent en désuétude et accentuent l'impuissance.
C'est dans la cour d'un centre d'examen que des dizaines de gamins ont cru devoir s'expliquer à coups de poing et de tessons. Comme explications, il faudra maintenant trouver autre chose. Et pas seulement des explications.




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