Algérie

Evocation : Vingt ans sans Mouny Berrah



Une figure resplendissante et pertinente de la culture algérienne et, notamment, de la critique cinématographique.Le samedi 15 janvier 2000 à Washington, alors que le monde s'épatait du passage au Troisième Millénaire et que la ville entamait un week-end serein ? bien éloigné des tensions qu'elle vient de vivre ?,une voiture quitta la chaussée pour aller buter contre un arbre ou un mur. On découvrit que la conductrice était de nationalité algérienne et que c'était son c?ur qui avait lâché.
Mouny Berrah, née Laâzib en 1949 à Alger, n'était plus. Elle laissait son époux, Noureddine, et leurs deux enfants, ainsi que le monde culturel algérien dont elle fut une figure resplendissante et pertinente.
En 2015 sur Internet, Ahmed Bedjaoui, dont la connaissance du cinéma fait autorité, reproduisant un article d'elle sur le peintre Issiakhem, écrivait : «MounyBerrah a sans doute été la critique littéraire et cinématographique la plus douée de notre génération». Sans aucun doute en effet et sans doute à ce jour.
Aucun art ne lui était étranger mais elle se dévoua le plus pour le septième, avec une rigueur qui le disputait à un regard sensible et une écriture précise, fluide et plaisante.
Mouny Berrah est apparue au milieu des années '70 dans le sillage de la Cinémathèque algérienne, alors reconnue mondialement, où ses points de vue sur les films étaient déjà remarqués. Proche des milieux du cinéma, en Algérie comme dans le monde, à tu et à toi avec des réalisateurs, techniciens et comédiens, il n'était pas rare dans les festivals que les gens se demandent qui pouvait être cette femme discrètement élégante que des sommités allaient saluer.
Elle collaborait régulièrement à la revue Ciném Action publiée à Paris qui mettait alors en valeur les filmographies de ce qu'on nommait le Tiers-Monde. Elle y a notamment participé à la réalisation de l'édition spéciale«La guerre d'Algérie à l'écran» (n° 85, 1997).
On retrouve ses écrits dans d'autres revues spécialisées et journaux du monde. Au pays, sa carrière s'est affirmée avec la revue Les 2 Ecrans, publication de la Télévision algérienne quand celle-ci ressemblait à quelque chose et produisait même des longs métrages de cinéma, ce qui était alors nouveau dans le monde.
Dirigée par Abdou B. et animée par Mouny Berrah, la revue,lancée en mars 1978, a poursuivi son cours jusqu'au milieu des années '80. Elle y a produit de nombreuses critiques de films et analyses qui accompagnaient un certain renouveau du cinéma algérien. C'est à ce jour la seule expérience relativement durable (8 ans) de revue d'art spécialisée en l'Algérie !
On retrouve ensuite Mouny Berrah dans les rubriques culturelles de Révolution Africaine et d'Algérie-Actualités où son talent se déploya sur d'autres disciplines.
Respectée par les cinéastes, elle ne refusait pas de répondre amicalement à leurs sollicitations de conseils, généralement par des observations sur leurs scénarios. Elle figure en tant que coscénariste (avec Rachid Boudjedra et le réalisateur Farouk Beloufa) dans le générique du sublime «Nahla» (1979) et il lui est reconnu une influence majeure dans le récit et l'âme de ce film. A Washington, elle avait poursuivi son travail de décryptage du cinéma tout en étant correspondante de la radio et de quotidiens algériens.
Elle faisait aussi partie de l'équipe du Festival du film arabe de New-York. Il est certain que ses brillantes études de sociologie à Paris où elle avait suivi, entre autres, les cours du sémiologue Roland Barthes et du psychanalyste Jacques Lacan, combinées à une culture générale impressionnante,ont permis à Mouny Berrah d'arrimer son travail de critique d'art sur un socle solide, nourri de plus des valeurs profondes de notre société.
Seul hommage notable qui lui a été rendu, celui des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa qui, en 2017, avaient créé sous son nom une bourse d'aide à la finition de films. Elle rêvait d'un cinéma algérien capable de confirmer ses élans et ses réussites et de générer une véritable industrie créative. Le rêve demeure, hélas et tant mieux. Ainsi que le souvenir généreux d'une intellectuelle accomplie qui devrait servir de référence à l'ecole de journalisme !
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