Le « jazzman » existentialiste
S?il y a un artiste chanteur qui est arrivé à fondre la note musicale avec celle de sa voix pour donner dans la chute de la rime, tout son sens au mot, à la parole, c?est bien cheikh El Anka. Par quelle magie El Anka arrive-t-il à nous suggérer la fin de la rime (le mot de fin de phrase) sans le prononcer ? Les néophytes vous diront : « Il avale les mots... C?est difficile à comprendre. » El Anka s?exprimait-il mal ? Quelle hérésie ! Plus loquace et clair que lui c?est rare. C?est que le cheikh met en avance le thème central de la qacida (ode) qu?il interprète, puis s?accroche à chaque mot, chaque phrase, qu?il enveloppe d?une émotion profonde et sincère. Quand El Anka chante, il est dans la qacida. Il invite celui qui l?écoute à la vivre. « C?est notre jazzman national », m?a dit un jour le cinéaste Kamel Dehane, lui qui a choisi un passage « ankaoui » pour son premier long métrage Les Suspects. « C?est vrai que le chanteur de jazz travail essentiellement sur l?improvisation. El Anka aussi, mais avec une continuité à la fois rythmique et thématique. Ce qu?il à en plus du jazz, c?est évidemment le poids des mots. Ceux-ci associés au timbre de sa voix et parfois au dixième de note (d?où l?impression qu?il avale les mots) vont traduire un moment d?extase, de bonheur, de quiétude ou de douleur. Parfois le tout ensemble. C?est selon. En prenant les qacaïd (les odes) qu?il a interprété, nous constatons que le cheikh est profondément marqué par ce qui, en termes philosophiques et modernes, est désigné sous le générique » d?existentialisme. El Anka est existentialiste en ce qu?il est marqué par la nature limitée de l?homme. Inconscient par habitude de sa condition de mortel, l?homme vit dans l?éternité de la sottise, de l?égoïsme, de la méchanceté...(El Meknassia, Sabhan Allah ya l?tif.) L?aspect religieux dans les interprétations du cheikh est beaucoup plus un appel à la raison. Il dépasse le dogme du religieux pour le rendre à l?entendement humain et lui rendre à sa mission première : l?amour de l?homme à travers la contemplation et l?émerveillement devant le Créateur. La tolérance, la solidarité et l?amour entre les êtres humains en fait. Ce n?est pas rare que le cheikh débute une qacida par un appel à la fois sacré pour finir par un hymne à l?amour ou inversement (Zohra ya achkin Zohra). La place des rapports humains, l?amour porté à l?autre (Ya Illahi) sont sacralisés. Là se confond le sacré et le temporel pour élever la solennité du thème et de son interprétation. C?est pour toutes ces raisons qu?il est permis de dire que l?étude de l?homme et de son ?uvre n?ont pas fini de découvrir toute la portée de son art, 26 ans après sa disparition. Paix sur toi maître.
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Posté Le : 26/12/2005
Posté par : sofiane
Ecrit par : Bouzina M?Hammedi
Source : www.elwatan.com