Algérie

Evocation



Qui se souvient d’El-Hadj Benaissa Benchaâ, le forestier? «Un arbre qui brûle ou un arbre qui meurt, c’est une vie qui brûle et un homme qui meurt» Il y a dans la vie des hommes qui, comme le soleil, en s’éclipsant, laissent derrière eux une grandeur qui est constamment évoquée et qui suscite admiration et respect pour l’amour qu’ils ont porté à l’arbre auquel ils se sont confondus pour tenter, comme Emeric de Monteynard, d’apprendre à résister, exister et traverser le temps. Parmi ces hommes, El-Hadj Benaissa Benchaâ qui a consacré toute sa vie à défendre, avec amour et grande bonté d’âme, la forêt dont il est devenu, depuis les années quarante, l’un des meilleurs amis à telle enseigne que ses proches et des collègues ne savaient plus vraiment où se situait la frontière entre l’arbre et sa personne. Chaque année, à l’occasion de la journée de l’arbre, se réveille le souvenir de cet homme qui a laissé un exemple sans faille d’honnêteté, de dévouement et d’engagement pour son pays et pour le travail qu’il a choisi pour devenir plus tard sa fierté, son bonheur et sa raison d’être. Tous les ans, ses amis, ses collègues et tous ces forestiers qui protègent l’arbre et le patrimoine cynégétique, plantent et éteignent les feux et incendies, se rappellent l’image de ce forestier qui a suivi l’exemple de son père Abdelkader, de son frère feu Mohamed et de son cousin Kaddour pour, disait-il, «défendre cette sacrée nature qui reste pour moi ma seule passion et mon unique motivation». El-Hadj Benaissa Benchaâ est né le 20 novembre 1919 à Ain-El-Hadid, une petite localité de la wilaya de Tiaret, dans une famille très modeste, conservatrice et très attachée, dès le début des années 1930 à l’indépendance de l’Algérie pour laquelle elle a donné ses meilleurs enfants à Saïda, Tiaret, Laghouat et Tissemssilt. El-Hadj Benchaâ obtint son certificat d’études primaires, en 1935, avec plusieurs de ses amis dont certains sont devenus à l’indépendance des personnalités de premier plan au niveau national, à l’exemple du défunt général Khelil Habib et autres membres des gouvernements successifs formés depuis 1962. La carrière de El-Hadj Benaissa commence le 27 janvier 1942 quand il a choisi de devenir forestier. Très jeune, il aura l’occasion de grandir dans une famille qui a donné le meilleur d’elle-même dans les soulèvements populaires des années quarante et d’observer les différentes phases de préparation de la lutte de libération nationale, en 1954 à laquelle il apporte avec engagement, foi et courage sa contribution. Il lui arrivait d’évoquer, avec une très grande modestie, les actions qu’il a menées contre l’occupant avec ses frères de combat. Il disait que son engagement pour la libération du pays était un devoir sacré que chaque algérien était dans l’obligation d’accomplir. Il avait même commencé à écrire ses mémoires. Dans ses écrits, il avait un souci méticuleux du respect de la virgule et du choix des mots à telle enseigne que ses propres enfants disaient de lui qu’il était un véritable écrivain très attentif à la réalité. Dans les quelques pages qu’il a pu rédiger, il citait avec une grande admiration et un grand respect le défunt moudjahid Rabah Bitat qu’il a personnellement connu grâce à Monsieur Rachid Aktouf, ancien sous-préfet à Sidi-Bel-Abbès et ancien Wali. Il ne manquait pas aussi de remercier un homme de cœur, de justice et de sincérité et dont la disparition l’a profondément affecté, le défunt Abdelmadjid Allahoum qui a personnellement apporté un bonheur inégalable à sa famille, vers la fin des années 1970... Il s’appliquait également à mettre l’accent sur «l’importance de la mission fondamentale de sauvegarde et d’extension de nos ressources naturelles, de lutte contre le braconnage pour protéger le patrimoine cynégétique». Il ne manquait pas aussi de relever les effets néfastes de l’homme et l’érosion sur la stabilité physique de certaines régions qui connaissent aujourd’hui une désertification menaçante. Les incendies et les actes irresponsables de destruction des arbres par les hommes constituaient, aux yeux de El-Hadj Benaissa Benchaâ, un drame et un crime condamnables. «Un arbre qui brûle ou un arbre qui meurt, c’est une vie qui brûle et un homme qui meurt» répétait-il souvent, rappelant Emeric de Monteynard qui disait au sujet du massacre des arbres: «Comme vous, j’ai entendu des arbres grincer, siffler, crier, fouetter l’air... avant de tomber. [...] En quoi l’homme serait-il plus fort et qu’aurait-il à gagner... à trop souvent renouveler cette épreuve?» Avant de partir à la retraite et de quitter ce bas monde, El-Hadj Benchaâ aimait, en dépit de l’âge et de la maladie, sortir, avec son fils Djamel, pour contempler de temps à autre ces belles forêts qui le connaissent si bien, comme celles de Tessalah, Ténira, Caid Bélarbi, Télagh, Sfisef, Boutin et autres. Il s’arrêtait parfois pour lancer un regard que seuls les eucalyptus, les cyprès, les pins d’alep, les palmiers nains ou autres arbres comprenaient. Il accomplit le pèlerinage aux Lieux Saints grâce au défunt Rabah Bitat, alors Président de l’Assemblée Populaire Nationale. De retour, il maria ses enfants et consacrait son temps à offrir son affection à ses petits-enfants avant de quitter ce bas monde, le 12 janvier 1992, comme si Dieu voulait que cet homme modeste, honnête et très estimé de la population, n’assiste pas aux folies meurtrières qui ont failli emporter le pays vers une destination inconnue. Il laisse derrière lui des valeurs qui font de lui un exemple à suivre, sa femme à laquelle tous souhaitent santé et longue vie, et des enfants qui font honneur à leur père, à leur ville natale et à leur pays: son fils Abdelkader qui a représenté le pays comme diplomate dans plusieurs pays et comme Consul général en Tunisie et en Arabie Saoudite; Mohamed, ingénieur d’Etat; Abdelkrim infirmier; Mourad, instituteur; Habib, cadre à la SONELGAZ et ses filles dont l’une est institutrice et les autres biologiste, fonctionnaire de lycée et agent de bureau. El-Hadj Benaissa avait répondu un jour, le sourire aux lèvres et le regard flamboyant, à un de ses fils qui lui faisait le reproche de ne pas avoir «amassé une fortune» comme certains avaient pu le faire «Mon fils, je suis sûr que le sang qui coule dans tes veines n’est pas souillé par l’argent sale. Je quitterai ce bas monde la conscience tranquille, mon sac plein d’honnêteté et mes mains propres. Ma seule richesse est de vous voir grandir avec le salaire de mon effort et de ma sueur». Tout le monde cite l’honnêteté exemplaire de Si El-Hadj Benaissa Benchaâ qui repose au cimetière de Sidi-Bel-Abbès où sa femme, la merveilleuse et courageuse Hadja Khadidja, ses enfants et ses collègues de travail viennent tous les vendredis lui dire leur estime, reconnaissance et leur grand respect. Les forestiers, comme El-Hadj Benchaâ Benaissa, devraient être décorés par le Ministère de l’agriculture ou par l’administration des forêts, même à titre posthume. C’est ainsi que l’on pourra encourager l’honnêteté, la droiture et l’amour de l’arbre, et instaurer dans notre pays des traditions qui respectent les hommes et les compétences. B. Djamel


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