Sabah Essaghira, un destin tragique
Dans quelques jours, le pays va célébrer la Journée nationale de l’artiste. Il nous a paru opportun de nous remémorer, à l’occasion du deuxième anniversaire de sa mort, le souvenir de Sabah Essaghira, une artiste qui fut longtemps adulée et dont la triste fin illustre de façon véhémente la précarité de la situation de l’artiste dans notre pays.C’est un certain 11 août 1952 que Fatima Bentabet vit le jour dans le quartier de Gambetta, à Oran. Mais c’est dans le quartier populaire de Petit Lac où ses parents avaient déménagé qu’elle fit ses premiers pas à l’école primaire du quartier. A l’indépendance, la famille qui s’était agrandie de plusieurs enfants décide encore une fois de déménager et de retourner à Gambetta, le quartier qui a vu naître Fatima pour élire domicile au 43 rue Général Ferradou. En ce temps- là, la musique orientale était au goût du jour. Les ondes de la radio nationale diffusaient à longueur de journée les chansons des grandes stars égyptiennes (Oum Keltoum, Farid El Atrach, Abdelhalim Hafez, Najet Essaghira...) ou libanaises (Faïrouz, Sabah...) qui étaient fort appréciées par les mélomanes algériens. Leurs disques en vinyl s’arrachaient chez les disquaires et les salles de cinéma de la ville affichaient complet lorsqu’on y projetait leurs films. C’était l’époque où Sabah, la star libanaise, était au sommet de son art et ses tubes «El Ghaoui», «Eddai’a» ou «Zenouba» faisaient un tabac. La jeune Fatima, qui connaissait déjà par cœur les chansons de sa star préférée Sabah et passait son temps à essayer de l’imiter, voulait s’inscrire au Conservatoire de la ville pour apprendre le solfège et se consacrer à une carrière artistique dans la chanson. Une providentielle coïncidence exaucera son vœu. La station régionale de la télévision algérienne d’Oran, domiciliée alors à la Cité Perret, proposait dans son émission « Le coin des amateurs «, animée par la présentatrice Leïla, un concours pour les jeunes mélomanes désirant prouver leur talent dans la chanson. Elle décide d’y participer avec le consentement de ses parents qui étaient déjà persuadés des qualités artistiques de leur fille. Ce fut le grand jour pour l’adolescente de 16 ans qui se voyait offrir, pour la première fois de sa vie, l’occasion de chanter dans un studio de télévision en présence d’un orchestre dirigé par le grand maître de la chanson oranaise, Blaoui Houari. Elle chantera le célèbre tube «El Ghaoui» de la chanteuse libanaise Sabah. L’animatrice Leïla, éblouie par sa prestation, lui donnera le pseudonyme de Sabah Essaghira qu’elle gardera toute sa vie. Le 8 mars 1967, elle donne son premier gala sur la scène du Théâtre d’Oran où elle enflammera le public oranais en interprétant le succès «Ma ana illa bachar» du chanteur marocain Abdelouaheb Doukkali. Le professeur Hachemi Hafiane d’Oran propose à ses parents de l’inscrire au Conservatoire de la ville pour une formation académique. En 1969, grâce à son professeur, la jeune chanteuse est invitée à participer à une émission à la radio nationale où elle chantera en direct des mouachahates et des mélodies de la star libanaise Sabah.
Le public algérien venait de découvrir une nouvelle voix de la chanson algérienne. Elle fera dès lors partie de la chorale de l’orchestre dirigé alternativement par Blaoui Houari et Ahmed Wahby. Sabah Essaghira sera aussi très sollicitée par tous les compositeurs patentés de l’époque. Elle fera une première tournée aux Emirats arabes, au Koweit et en Arabie Saoudite. C’est la consécration. Ses chansons seront régulièrement diffusées à la radio et les tournées à l’étranger se succèderont: Libye, Tunisie, Allemagne, Maroc.... Les plus grands noms de la musique oranaise commencent alors à s’intéresser à sa voix remarquable. Blaoui Houari compose pour elle deux chansons «Ha houa fayet» et «Errim elli faregni», Ahmed Wahby lui élabore «Rakhem Aynek». A cette époque, elle sera la chanteuse oranaise la plus sollicitée par les paroliers et les compositeurs. Tayebi Tayeb lui propose « Ya nedjma «, Ahmed Bellili «Khatmek khaletni dekra» et «Habitek yames ouel youm», Abdallah Tammouh et Abdellaoui Cheikh lui composent «Ghaden» et Cherif Kortebi «Mahma tenzel elalali». Elle commence à faire de l’ombre aux grandes stars de la chanson orientale avec des titres tels «Asmar Asli» et «El Khillan» qui auront un écho favorable au Moyen-Orient. Mais ce sera la chanson «Yal khoumri», écrite par Saïm Hadj et mise en musique par Karim Houari en 1979, et plus tard «Lamima» également de H. Saïm, qui la propulseront au sommet de son art. Elle s’avèrera également une excellente comédienne au théâtre, dans les pièces «El Khobza» et «Eddi ouala khalli» de AEK Alloula, «Les cerveaux» de Mohamed Adar ou «El Mahgour» de Abdelmalek Bouguermouh et au cinéma où Youcef Sahraoui fait appel à elle pour «Le silence des cendres» (1975), Mohamed Ifticène lui offre un rôle dans le feuilleton «Marchands de rêves» (1976), qui relate les arcanes du show business, où elle fit une brillante interprétation et partagea la vedette avec Sid Ali Kouiret. Mohamed Badie la distribue dans deux de ses films: «Le chant du souvenir» (1978) et «Mama» (1998). Le réalisateur Djamel Fezzaz l’intègrera dans la distribution de son feuilleton télévisé «El Massir». Dès les premières années de la décennie 90, l’Algérie va sombrer dans une période de violence qui allait donner le coup de grâce à toute vie culturelle dans le pays. Les galas vont se faire rares, les artistes sont réduits au chômage ou contraints à l’exil. Sabah Essaghira éprouvera alors de grandes difficultés à prendre en charge sa famille et à assurer sa propre subsistance.
Et puis ce sera la maladie qui lui fera subir le calvaire durant cinq longues années. Elle luttera jusqu’à sa mort contre la maladie et le dénuement. La galère continuera jusqu’à cette triste journée du 20 mai 2005 où le rossignol d’Oran s’éteindra dans le domicile familial à la cité Usto. Tel est le triste destin de celle qui fut la première grande dame de la chanson oranaise qui a sacrifié sa vie de femme pour représenter dignement la chanson algérienne durant trente cinq années pour finir dans le dénuement. Un destin qui renseigne amplement sur le fragile statut de l’artiste dans notre pays.
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Posté Le : 04/06/2007
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com