« Les hommes que nous glissons dans le dispositif adverse, souvent à des postes subalternes, nous les aidons à conquérir progressivement de l’importance au sein de la rébellion. Nous leur permettons par exemple de passer des armes, de l’argent pour le FLN. Leurs convois clandestins sont protégés par la DST., alors que les transports d’autres chefs fellagas sont bloqués, saisis.
Avec notre accord et la complicité de l’armée française, nos agents FLN., montent également des opérations bidons de manière à se couvrir de gloire aux yeux de leur état-major du Caire et de Tunis. Chaque fois nous organisons tout nous-mêmes pour rendre le coup de main rebelle totalement crédible.
Au fur et à mesure, nous déblayons le terrain devant eux. Leurs camarades se font prendre, leurs chefs jouent également de malchance. Ce qui leur permet de grimper dans la hiérarchie clandestine, de remplacer ceux que nous choisissons d’éliminer. Certains de ces agents vont atteindre les plus hauts échelons dans l’état-major du FLN. Il nous est arrivé de manipuler des chefs et des chefs adjoints de wilaya… »
Ces aveux ne sont pas d'un illuminé qui les aurait claironnés dans le brouhaha d'un souk mais de Roger Weybot, du fondateur et chef suprême de la DST pendant plus d’une décennie rapportés par Philippe Bernert, dans un salon feutré, qui les a consignés dans un livre best-seller, publié en France, en 1975 (1.)
Entre janvier 1957 et décembre 1960, j’avais entre 11 et 14 ans. Berger, j’étais également « Chouf » : les yeux, les oreilles, le flaire, le ravitailleur, l‘informateur, le guide… des plus fiables des maquisards affectés ou de passage dans l’un de secteurs de la zone IV de la wilaya IV, vallée de Kellal, arrière pays de Gouraya, ex. département d’Orléanville, actuellement de Tipaza.
A partir du printemps de 1958, j’ai pu voir, au coucher du soleil, à plusieurs reprises, des maquisards solitaires ou deux par deux se diriger vers la base du 2ème bureau du 22ème RI (régiment d’infanterie), dirigés par le lieutenant Jean Lacoste.
Au retour de leurs mystérieux voyages nocturne je remarquais que mes pensionnaires troquaient leurs oripeaux contre : des vêtements, propres, des pataugas neuves, des armes et ds munitions qu'ils n'avaient pas avant et des rations alimentaires identiques à celle distribuées à la troupe, qui ne se trouvaient dans aucune commerce local.
Des membres de ma tribu, raflés et séquestrés au Bois Sacré, m’ont informé que Jean Lacoste, le chef du 2ème bureau, recevait sous une tente dressée dans l’enceinte de sa base trois individus qu'ils ont nommés. Mes cousins, Ali Ezzine et son fils Mohamed, qui résidaient à Halla Embarkate, à environ 500 mètres à vol d’oiseau de la base militaire, d’où ils avaient une vue imprenable sur la caserne et ses alentours, m’ont informé qu’ils voyaient régulièrement, tôt le matin, les mêmes individus personnes sortir du de la base militaire aux premières lueueres du jour. en sortir pour se diriger vers les maquis avoisinants.
J’informe d’abord le responsable sonal, Si Djelloul Abodat, qui m’avait solennellement ordonné de ne plus jamais en parler, de rompre tout contact avec tout élément inconnu ou douteux, jusqu’à nouvel ordre.
Quelques jours plus tard, il avait souhaité m’entendre répéter mes observations en présence d’un certain Si Kouider. Une fois mes propos réitérés devant les deux authentiques baroudeurs de la révolution algérienne, ils m’ont demandé de les laisser seuls sans toutefois m’éloigner de leur refuge, une maison en ruine abandonné qui se trouve dans un endroit nommé « Akebli anta3zibth ». Quand ils m’ont rappelé, ils se détournaient pour me parler. Sans doute m’avaient-ils invité à les laisser seuls pour donne libre cours à leur intenses émotion. En effet, j’ai pu aisément constater qu’ils avaient les yeux rouges pour avoir pleuré pendant mon absence. L’émotion était si forte qu’ils se sont jetés, l’un dans les bras de l’autre et explosés littéralement en sanglots, comme des gamins, devant l’adolescent que j’étais, en balbutiant d’une voix saccadée :
« Khad3ouna ! (Ils nous ont trahi!) Allah Yerham echchouha ! (Qu’Allah ait les âmes de nos martyrs. Nous sommes vaincus… »
Ils m’ont à nouveau demandé de les laisser seuls quelques instants. Par suite, ils m’ont ordonné, d’un ton on ne peut plus solennelle, de rompre tout lien avec les nationalistes algériens y compris avec ceux que je connaissais depuis fort longtemps. Ils m’ont déclaré que ce que je savais était grave… Djelloul Abidat m’avait donné 300 anciens francs pour prendre le car des messageries Maury et d’aller me mettre à l’abri à chez ma tante, à Castiglione (Bou-Ismaïl) en attendant que les traîtres soient identifiés et mis hors d’état de nuire.
Je ne reverrai plus jamais mes deux interlocuteurs. J’apprendrai plus tard que la wilaya IV avait été pacifiée et passée sous le contrôle des services coloniaux du 2ème bureau dirigés par le lieutenant Jean Lacoste. Parmi mes anciens pensionnaires une douzaine ralliera les forces coloniales pour y former un redoutable commando qui sèmera la terreur et la mort parmi les populations civiles alliées du FLN.
A partir de janvier 1960, mon secteur sera classé par les forces coloniales : « Zone interdite. » Les populations proches du FLN, qui refusaient de collaborer avec les félons, seront déplacées et placées dans des camps de concentrations clôturés par de large et haute haies de fil de fer barbelé, mis sous surveillance militaire permanente. Or, il serait plus aisé à un poisson de vivre hors de l'eau que pour un maquisard de survivre sans le concours des populations qui leur étaient alliées.
Donc j’ai perdu à jamais tout contact avec Djellou Abidat qui est tombé au champ d’honneur dans des conditions fort mystérieuses. Il semblerait qu’il ait été éliminé par des traîtres aux ordres et à la solde du 2ème bureau. Derrière le pseudonyme de Si Kouider, se cachait le commandant Si Lakhadar, celui qui avait tenté d’abréger l’agonie du peuple algérien en allant à l’Elysée pour tenter d’arracher au Général de Gaulle une indépendance honorable. Si Lakhdar assassiné par ses compagnons.
Suite aux révélations de Roger Weybot, probablement pour brouiller les pistes qui mènent à la vérité historique, dans l’un de ses discours publics durant la campagne pour : « L’enrichissement de la charte nationale» en 1976, Houari Boumediene avait déclaré avec un ricanement non dissimulé :
«…Pour consoler leurs citoyens, des historiens français ont écrit que pendant la guerre d’Algérie, leur armée avait gagné : la 1ère, le 2ème, la 3ème, et la 4ème… bataille». Quant à nous, avait-il ajouté, nous leur rétorquons que nous avons gagné la guerre et cela nous suffit… »
Pour Houari Boumediene, en 1976, l’Algérie ne disposait pas encore d’historiens honnêtes et compétents pour écrire l’histoire de la révolution algérienne. En attendant l'avènement de la génération providentielle d’historiens, il a suggèré à la famille révolutionnaire :
« Erchémou bhedjra oua bkhchba (marquer à l’aide de pierres et de buches) les lieux historiques.'
Une fois les témoins auront disparus, les pierres érodées et les bûches vermoulues par les vicissitudes du temps, ce ne sera plus à des historiens qu’il faille confier l’écriture de l’histoire d’Algérie mais à des archéologues dont la formation prendra encore au moins un autre demi-siècle.
En effet, un demi-siècle après le terme de la guerre d’Algérie, les autorités algériennes garde jalousement les archives de cette guerre au plus haut niveau des secrets d’Etat. Que peuvent-elles contenir de si grave et de si honteux pour mériter un tel traitement ?
(1) Philippe Bernert, Roger Weybot et la bataille pour la DST, Presse de la Cité, 2ème trim. 1975, P. 449
Posté Le : 20/01/2013
Posté par : Aissahakim
Ecrit par : Aissa-Hakim
Source : diverses