Algérie

Europe : La ruée sur les souverains n'est pas forcément bon signe



La ruée cette année sur les emprunts souverains de la zone euro tient peut-être plus à des investisseurs qui se résignent à avoir une croissance molle des années durant qu'à un authentique témoignage de confiance envers l'économie de la région.
La Banque centrale européenne (BCE) a paru confirmer le bien-fondé de cette attitude jeudi en réduisant ses projections de croissance et en repoussant à 2020 au plus tôt une première hausse des taux post-crise, tout en promettant aux banques de leur servir à nouveau de l'argent frais à longue échéance et à taux bonifié.
La France, la Belgique, l'Italie et l'Espagne ont toutes suscité une demande sans équivalent à l'occasion de leurs émissions longues ces dernières semaines et la Grèce, jadis interdite de séjour sur les marchés de capitaux, a été débordée par la demande qui s'est portée sur son premier emprunt à 10 ans émis depuis 2010.
Les pays de la zone euro auront émis pour 35 milliards d'euros de dette à des échéances de 15 ans au moins entre le 1er janvier et le 25 février contre 24 milliards d'euros levés durant la période comparable de l'an passé, selon des données de Refinitiv. Et encore, ce montant n'intègre-t-il pas les cinq milliards d'euros à 15 ans placés par l'Espagne au lendemain de la compilation des calculs.
Les émissions sur l'ensemble de la courbe des taux obligataires ont également augmenté, à 80 milliards d'euros contre 68 milliards d'euros sur la même période de 2018, même si les coupons et les rendements sont nettement plus bas.

Europe, Japon, même combat
Des coûts d'emprunt plus bas et une forte demande des investisseurs sont habituellement de bonnes nouvelles mais pour certains experts, tel Charles St-Arnaud (Lombard Odier Asset Management), ça peut aussi vouloir dire que les investisseurs croient que "l'Europe maintenant c'est le Japon".
Evidemment la demande soutenue d'actifs dits sûrs s'explique de bien des manières, que ce soit le contexte politique, des perspectives moroses tant pour la croissance que pour le commerce international ou encore une population vieillissante qui pousse les fonds de pension à investir encore plus dans l'obligataire.
Mais en prenant l'exemple des sept milliards d'euros à 30 ans placés par la France en février, St-Arnaud explique que si les investisseurs étaient disposés à accepter un rendement de 1,6% c'est sans doute parce qu'ils n'attendaient plus de croissance et d'inflation dignes de ce nom dans la zone euro dans la trentaine d'années à venir.
En cela, la situation de l'Europe rappelle celle de la "décennie perdue" du Japon, ajoute-t-il, faisant référence à une période de stagnation économique qui a débuté dans les années 90.
L'idée que l'Europe pourrait connaître une situation similaire à celle du Japon, caractérisée par une déflation rampante, une population vieillissante, une dette élevée et une croissance atone malgré une injection permanente de stimulants, s'était faite discrète lorsque la BCE étayait la croissance de la zone euro à coups de prêts bon marché et de rachats d'actifs massifs.
Mais à présent que la BCE a mis un terme à ces 2.600 milliards d'euros de rachats d'actifs, que l'économie semble lentement revenir à la normale et qu'une hausse des taux reste envisageable au début de l'an prochain, on pourrait penser que les investisseurs considèrent les obligations comme un placement passable au mieux.
Or ce n'est pas le cas et on peut en déduire que la "japonisation" représente une menace bien plus réelle qu'on ne le pensait à la même époque l'an passé.
"Fin 2016 et en 2017, il semblait que nous allions en finir avec ce cycle mais il semble en fait qu'on retombe dans un environnement à la japonaise fait de croissance basse, d'inflation faiblarde et de banques centrales accommodantes", observe Iain Stealey, gérant de JPMorgan Asset Management. Tous ces éléments, explique-t-il, font que JP AM, l'un des premiers fonds mondiaux avec plus de 1.700 milliards de dollars d'actifs sous gestion, parie sans trop de souci sur la duration, un terme qui s'applique habituellement aux emprunts souverains d'au moins 10 ans d'âge. Cette appétence pour les durations longues montre que les investisseurs ne croient pas à une hausse des rendements en période de croissance décevante. Le modèle de "japonisation" d'ING - qui prend en compte des facteurs tels que la croissance, l'inflation, les taux d'intérêt et la démographie - laisse penser que l'économie de la zone euro a présenté les symptômes de ce malaise au cours des deux dernières années.
Les économistes de la banque pensent ainsi que l'Europe est dans une certaine mesure "japonisée", expliquant qu'en dépit du mal que se donne la BCE, les ressemblances de fond sont frappantes.
Les Bund allemands et même les Treasuries américains évoluent d'une manière similaire à ce que l'on observait au Japon à partir de 1998.
Le rendement du Bund à 10 ans est passé de 0,60% en octobre 2018 à 0,05% ce vendredi et risque fort, de l'avis de certains, de se retrouver en territoire négatif. Sans compter l'inflation.
Malgré les sommes folles dépensées par la BCE pour l'amener vers son objectif, un taux un petit peu inférieur à 2%, l'étalon d'inflation préféré de la banque centrale, le swap d'inflation à cinq ans dans cinq ans, se languit à 1,51%, non loin de son plus bas depuis octobre 2016.
Ce taux exprime l'avis des investisseurs sur l'évolution de l'inflation sur une période de cinq ans dont le point de départ se situe dans cinq ans par rapport à maintenant. On en déduit que les investisseurs ne voient pas l'inflation atteindre l'objectif de la BCE de sitôt.


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