Algérie

«Et puis qu'est-ce qu'on nous apprend réellement dans ce pays ' A nous aimer entre nous ' » Amina Zoubir. Plasticienne



«Et puis qu'est-ce qu'on nous apprend réellement dans ce pays ' A nous aimer entre nous ' »                                    Amina Zoubir. Plasticienne
Sélectionnée pour la 2e biennale méditerranéenne d'art contemporain d'Oran qui se tiendra du 29 au 31 mars prochain, Amina Zoubir, nouveau visage de l'art contemporain, exposera aussi à Istanbul, en avril.
-Parlons du rôle de l'artiste dans la société. Doit-il redevenir un catalyseur créatif '
L'artiste, au sens où je l'entends, est un visionnaire. Il devine tout avant les autres, et ce n'est pas de la prétention. Il y a ce film du Palestinien Raed Andoni, Fix Me, où l'acteur-réalisateur, au cours d'une de ses séances d'analyse, se lève sur une chaise et observe l'ailleurs. Cette scène est, selon moi, la traduction irrévocable de l'artiste : il existe et surtout, il est seul. Et puis, se pose aussi la place de la femme dans cette ladite société. Comment la (re)définir, comment l'homme doit réfléchir sans pour autant empiéter sur son territoire. Il n'y a rien de féministe dans mes propos, juste un constat. J'ai mis en avant des analyses de quelques sociologues pour établir un contexte socioculturel, voire sociopolitique. J'ai donc puisé dans leurs écrits pour tisser un cheminement de ma réflexion et aboutir à cet essai.
-L'écriture de votre essai La relation entre l'image et le son dans la vidéo contemporaine algérienne a-t-il été bénéfique dans vos recherches personnelles '
Beaucoup de choses. J'avance progressivement. J'essaie de comprendre cette société, de me chercher aussi. Ce livre est le fruit d'un travail personnel que j'ai confronté à ceux de mes collègues ou d'autres artistes. En Algérie, je me suis retrouvée avec de bons passeurs quand j'étudiais à l'Ecole des beaux-arts. Puis, je suis partie en France, car je voulais prolonger certaines voies scolaires. Je suis comme une éponge, j'aspire pour mieux digérer les choses utiles. Un artiste est fragile. Il a besoin d'un commissaire, d'un critique d'art, de réseau, il a besoin de tout cela pour exister aussi. L'artiste est faible par son expression, mais terriblement puissant si on lui donne un espace pour crier sa création.
Par exemple, les mariages en Algérie ! Il y a là un espace cathartique intéressant pour un artiste qui désire questionner l'identité plurielle algérienne. Toutes ces femmes que l'on voit dans ces salles des fêtes, parées de leurs bijoux, transpirant d'un trop-plein de danses frénétiques et joyeuses, expriment parfois un malaise. Elles dégagent des pulsions et finissent par s'affranchir de leurs interdits. Elles sont apaisées et certaines peuvent prendre du recul sur leur société. L'Algérie a souffert de plusieurs choses, dont les années 1990, ce qui en fait une société hybride. Je suis persuadée que les gens doivent impérativement faire un travail personnel. Me concernant, j'ai eu de la chance de rencontrer les bonnes personnes qui m'ont donné quelques clés pour que je puisse m'affranchir.
Mes questions étaient : qui suis-je ' D'où je viens ' Que puis-je apporter à ma société ' Cet essai, selon moi, est une première dalle pour construire un pont, le mien ! Et puis, je voulais rendre accessibles tous ces éléments, toutes ces informations sur la vidéo contemporaine algérienne, car j'avais remarqué un vide important. Je voulais, par ce travail, échanger avec d'autres essayistes, d'autres analystes qui voudraient étudier cette thématique. En plus de me connaître, de me situer dans cette scène artistique algérienne, j'aspirais aussi à faire découvrir mon monde !
-Vos films sont traversés par une forte implication personnelle traduite par des questionnements autour du corps, à l'instar de votre livre'
J'ai insufflé quelques relents de ma personnalité, dont ceux qu'on a qualifiés injustement de provocateurs dans certaines phrases du livre. Il y avait surtout un travail sur mon rapport à l'écriture que je n'avais pas eu en Algérie. Et puis qu'est-ce qu'on nous apprend réellement dans ce pays ' A nous aimer entre nous ' Là se trouve la bonne question ! Tous ces complexes sont liés à l'amour de soi et de l'autre. Il y a une sorte de haine envers les femmes, les hommes, même envers les mères. Je l'ai constaté' et c'est tragique ! Par exemple, il existe un fossé énorme entre la jeunesse et leurs aînés, car il n'y a pas eu la confrontation tant attendue !
Et puis tu constates que cette jeunesse n'a plus d'espoir, même si elle veut vivre ! Dans La Clôture de Tariq Teguia, tu vois un jeune homme supplier pour qu'on lui montre des images provenant d'autres pays où des jeunes de son âge seraient dans le même état que lui, afin qu'il soit rassuré de la déliquescence mondiale ! C'est terrible d'en arriver à ça ! Les jeunes sont confrontés au vide ! Et pour la plupart, certains se réfugient dans la religion. Par exemple, beaucoup de femmes portent le voile pour ne pas se faire embêter ! Il y a là un amalgame terrible entre la tradition et la religion !
-Votre engagement est de quel ordre, quand vous vous retrouvez devant un choix créatif '
Sans aucun doute, de l'ordre du social ! Le politique te presse, t'empresse à faire de mauvais choix. En tant qu'individu, je suis plus concernée par des questionnements autour d'une forme d'hypocrisie qui consiste à faire croire que la vie actuelle est normale !
-Où se trouve donc la relation entre l'image et le son '
C'est une relation technique développée dans le livre. Cela varie, car il a fallu d'abord que je comprenne ma propre histoire, que je saisisse la portée des années 1990, que je me réapproprie toute cette période. Je n'ai pas vécu tout cela, mais j'ai utilisé les lignes principales de certains analystes pour tisser un chaînon manquant entre l'histoire et mon histoire. Quand je découvre les vidéos de Ammar Bouras, mon affect en prend un coup. Et je saisis rapidement l'ampleur du sujet, de ce quotidien délabré. Ce qui est fort dans ce travail, c'est qu'il n'y a pas d'autocensure de sa part ! Dans mes films, je montre énormément des intérieurs de maison où la liberté est reine. Dès que l'on sort de ce lieu, on se conditionne, on tente de suivre la masse, on s'autocensure. Pourquoi s'infliger toute cette complexité '
Par exemple, les femmes fument discrètement chez elle, ou dans un café mixte, mais jamais elles n'auront l'idée de le faire dans la rue sous peine d'être giflée voire d'être ennuyée par les flics ! J'ai l'impression que les hommes ont peur des femmes, peut-être parce qu'elles travaillent, qu'elles sont indépendantes' parfois, je questionne l'amour que ces hommes ont pu avoir vis-à-vis de leur mère, comme si il leur était impossible de reproduire avec leur propre femme. C'est fou de constater qu'ils diabolisent le verbe orchestré par les femmes, qu'ils incitent à une séparation physique et morale avec la femme.
-Comment s'est déroulé le tournage de votre film Prends le bus et regarde, où vous avez filmé des voyageurs sans prononcer un seul mot '
Au début, je n'arrivais pas les filmer frontalement' puis progressivement, je me suis confrontée à leur regard. Il y avait une timidité extraordinaire de la part de certaines personnes. A la base, je ne suis pas cinéaste, j'ai étudié les Beaux-Arts afin de créer et de vivre de mon statut d'artiste. A un certain moment, je voulais montrer l'oppression liée aux regards des autres. C'est une violence importante car subie ! Mon désir était de capter le réel, de l'enregistrer, de présenter aussi ce que moi-même, j'avais vécu durant des années. Par le biais de ce film, par cet espace restreint (le bus), j'ai questionné ce regard sans pour être provocatrice.
C'est de l'impudeur de recevoir ce genre de regard ! Je ne suis pas forcément une tête à claque ' l'un des voyageurs m'avait conseillé de faire attention avec ce film, car je risquais de recevoir une gifle ', juste une femme conditionnée par ce genre de société, qui tente de frayer un chemin individuel pour avoir un poids ! Tout est de l'ordre de l'image, comment la recevoir, comment l'éviter aussi, comment l'accepter' toutes ces questions sont dans ce film ! En les filmant, je leur donnais aussi une forme de tendresse de ma part, et non une malhonnêteté !


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