Algérie

Et où sont, aujourd'hui, les changements qu'imposent l'état du pays et la longue panne du «pouvoir» ? (1)


« La Constitution n'est pas le Coran » A. Ouyahia (2)

« Permettre au Président d'achever son programme » ne saurait évidemment être l'objet du scrutin d'avril 2009 (3). Celui-ci doit pouvoir constituer l'occasion de lancer, enfin, les changements qu'appellent l'état de l'Algérie et de sa société, ainsi que la panne manifeste du système de gestion de leurs affaires. Chaque jour, davantage la nécessité de telles décisions s'impose au commun des Algériens.

L'absence d'une politique cohérente et assumée en souligne l'urgence. Le besoin n'en est pas ignoré de toute la classe politique ni même peut-être de quelques 'cercles de la décision'. Des voix, familières des arcanes du pouvoir, vont jusqu'à dire, à l'occasion, que « c'est le système dans sa globalité qu'il faut changer »(4). Rien de moins. Mais nul ne dira avec quelles forces cela se ferait, ni quand ou comment ou encore à quel régime l'actuel laisserait place. Ce voeu n'engage ni ne dérange personne. Il est néanmoins très largement partagé. A ceci près que l'avenir espéré par les uns est violemment récusé par d'autres projets. Occultées, les fractures n'en sont pas moins vivaces. Sociales et politiques, elles sont aussi idéologiques et peut-être culturelles. Volatile, la situation est tout, sauf simple. Sans direction politique, dans tous les sens du terme, le pays tourne en rond. Combien sont-ils à croire que cela peut durer longtemps encore ? Cette incertitude résume les enjeux du scrutin présidentiel.

A la veille d'une échéance si proche, le récent « mea culpa » du chef de l'Etat, face aux responsables du pays, dont les présidents d'APC, aurait été une sévère autocritique de l'action passée et présente de l'Etat. Les « remises en cause de Bouteflika » seraient « l'aveu d'un échec » et « l'échec d'une politique ». Si tel a été le cas, il s'agirait d'un événement politique majeur qui appelle un examen attentif. Il poserait la question de savoir si, à cette occasion, le pouvoir a pris la mesure de l'état de la société et de l'attente inquiète et sceptique, de changements effectifs dans la conduite de ses affaires. Celle, aussi, de son aptitude à proposer, au cours des six prochains mois, un projet cohérent d'une évolution crédible des institutions et des règles de gestion du pays. La dernière question, et non la moindre, concerne la capacité du 'pouvoir' à mettre en oeuvre un tel projet (5).

Quelle est, selon cette autocritique, la situation économique et sociale de la majorité des populations et en premier lieu, celle du chômage de centaines de milliers de jeunes et moins jeunes des cités populaires surpeuplées des villes et des désolantes bourgades du pays ? Le chef de l'Etat estime que le chiffre, de source inconnue, qui fixe à 11,2 % le chômage actuel « est trop élevé ». Ce taux est comme il le dit, « loin de la réalité ». En effet, si tel était le cas, cela voudrait dire que 88,8 % des hommes et des femmes d'Algérie en âge de travailler auraient un emploi ou pourraient rapidement en avoir un. La situation politique et sociale du pays serait alors toute autre. Il est vrai que « les jeunes qui ne veulent pas travailler dans l'agriculture ou les travaux publics ne sont pas considérés comme des chômeurs » (6). L'image qu'il en donne est peu flatteuse : « le chômeur c'est ce jeune qui n'accepte de travailler que comme agent de sécurité. Et de nuit ! Ce n'est pas un chômeur, c'est un fléau pour la société... Les jeunes préfèrent le gain facile ». Pour le Président, « il faut leur inculquer l'esprit du travail et du sérieux ». Dans le même ordre d'idée, le précédent Premier ministre estimait qu'il « faut leur inculquer l'amour de la patrie et de l'identité nationale ». C'est cela qui manquerait, pas le travail. Il ajoutait que « le pays est un grand chantier qui pourra assurer 400.000 emplois par an» (7). Le ministre du Travail assure de son côté, qu'il sera créé 2 000 000 d'emplois de 2009 à 2014 soit 400 000/an et que ces prévisions seront respectées. La question du chômage ne se poserait donc pas.



«Je ne donne pas au privé qui, après, vend le terrain au mètre carré... je prends la moitié avec l'investisseur étranger, il restera toujours gagnant...»



Celle de la paupérisation de larges couches de la société non plus. Seule la 'touiza' des centaines de milliers de couffins et repas du Ramadan, de partout annoncés, et la « ruée vers les restos 'du coeur' ou de la 'rahma'» illustrée par la presse, donne une idée d'un dénuement massif et d'inégalités sociales honteuses et croissantes. Pour leur part, les harraga représentent l'une des conséquences les plus dramatiques d'une gestion économique et sociale faite depuis trop longtemps de décisions expéditives, improvisées et abandonnées sans débats et sans appel. Mais, ce ne serait là pour l'ex-Premier ministre qu'une « une pratique maffieuse et criminelle interne et externe » (8). Aussi, les survivants aussitôt pris sont mis sous les verrous sous divers motifs. Pour tout remède, un projet de loi annoncé en ferait un délit punissable de six mois de prison. L'ampleur et les ravages d'une corruption, de l'avis général banalisée, constitue, notamment selon la Banque mondiale et le FMI, hors de toute considération d'ordre moral, l'un des obstacles majeurs au développement du pays. Cette question au centre de toutes les amertumes, légitimes ou non, est escamotée avec une anecdote : « regardez, dit le Président, la voiture qu'il conduit ou la maison qu'il a construite, il a volé ». Il ajoute « si on doit demander d'où tient-il cela, on doit le faire pour tout le monde ». La plupart ne demanderaient sans doute pas mieux. Quelques jours plus tôt, la presse notait « dans un passage improvisé d'un discours lu au ministère de la Défense à l'occasion du 5 Juillet 2008, la même incompréhension mortifiée du Président devant la violence destructrice de fréquentes émeutes de jeunes et de moins jeunes ». Comment élaborer de possibles solutions à de tels problèmes si le pouvoir sous-estime l'état réel du pays et de ses populations, et plus souvent encore, le nie ou plus simplement l'ignore ?

Sur des questions aussi vitales, le souci majeur qui semble prévaloir est que tout cela « nuit à la réputation du pays. L'Algérie, ajoute le chef de l'Etat, est connue pour le trabendo, la drogue et les fléaux sociaux ». Cette opinion, même fondée, constitue surtout un verdict sur une longue 'gestion indépendante'. Avant cela, le pays fut avec le Viet-Nam, l'un des champs de bataille décisifs de la décolonisation du tiers-monde dans la seconde moitié du XXe siècle et l'un de ses porte-drapeaux les plus respectés. Le Président le sait bien. Mais si la situation est telle que décrite, alors la tâche du pouvoir est d'y remédier. Cela appelle non le dépit mais la lucidité sur les réalités du pays et la prise en charge des attentes dans la société de vrais changements dans le fonctionnement de ses institutions et la conduite de ses affaires. Le chef de l'Etat lui-même s'en plaint qui note « nous sommes dans une situation de gel et nous n'attendons que les instructions d'en haut ». Mais qui en est responsable ? Les assemblées élues où, pense-t-il, « il existe une relation étroite entre l'électeur et l'élu basée sur une confiance inébranlable, les élus étant choisis en toute transparence ? ». Certes, « le multipartisme, acquis pour le peuple, met à nu, dit-il, de nouvelles problématiques », sans préciser lesquelles. Mais « il convient de les traiter au niveau de la commune ! ». Bien que le Parlement n'ait jamais posé de problème, la règle, sur tout ce qui pourrait donner lieu à débats, est de légiférer par ordonnances. Faute d'être mises à contribution, qui sait qu'il y a d'autres institutions ?

Le plus notable dans cette autocritique est l'occultation de la gravité de la situation sociale et de l'attente anxieuse de vrais changements dans les institutions et la gestion des affaires du pays. On y chercherait en vain l'esquisse d'une solution aux maux de la société, urgents autant qu'ignorés. Dès lors qu'il n'y a pas de problème, il n'y a pas non plus nécessité de changer la manière de gérer le pays et ses affaires. Dès lors que nul n'y songe, il importe peu de savoir s'il y a, aujourd'hui, un pouvoir capable d'assumer et de mettre en oeuvre un projet cohérent au service d'une ambition nationale à la mesure des défis du temps.

« Oui, en matière de politique de privatisations et d'investissement, nous nous sommes cassés le nez, il faut tout revoir », déclare le Président. Et de fait, l'autocritique se réduit à un changement de cap sur la question de la privatisation des entreprises publiques et de l'investissement privé, national et étranger. Cette conversion s'ajoute à celles connues depuis la fin des années 70. Elles restent provisoires et ne changent pas grand-chose à la situation générale du pays et à l'absence d'une politique de développement. Celle-ci, tout comme la privatisation des entreprises publiques, n'a jamais fait l'objet d'un choix raisonné et résolu, surtout en période électorale. En 1999, tout devait être privatisé en six mois. La situation financière présente permet, aussi longtemps qu'elle durera, de différer toute décision difficile. Rien n'est nouveau non plus concernant l'investissement privé, national ou étranger. Pas plus qu'il n'y en a eu dans le passé, il n'y aura, dans les conditions d'incertitudes qui prévalent toujours, de vrais investissements étrangers ou nationaux. Les exportations continueront pour les uns, puisque le pays en dépend pour presque tout, pommes de terre et vaches laitières comprises. Pour les mêmes raisons, les importations seront aussi profitables. Les investissements des uns et des autres attendront qu'il y ait une politique de développement cohérente et assumée. Il y en aura quand même dans quelques niches sûres, à l'abri des mêmes 'autocritiques' cycliques. En attendant, il faudra bien plus que les assurances du Premier ministre pour que « les vrais investisseurs n'aient rien à craindre ». Les mesures prises n'arrangent rien (9).

Il s'agirait d'une 'autocritique' et comme le Président le dit, « qui ne vise personne ». Il ajoute cependant : « nous sommes tous responsables ». Ce qui est sans doute vrai, mais peut-être à des degrés très divers. Ce n'est ni l'ANDI et les EPLF, dissous, qui prennent les décisions. C'est le chef de l'Etat qui parle ainsi : « Moi je remets en cause même ces 11,2 % de chômeurs, il est trop élevé... la privatisation dont vous parlez, je dis que je ne vends plus en gros... on ne me donne pas le prix... je le jure que personne ne prendra rien... je ne donne pas au privé qui, après, vend le terrain au mètre carré... je prends la moitié avec l'investisseur étranger, il restera toujours gagnant... je dis qu'il y a des règles, il faut les appliquer etc., ». Jusqu'à plus ample informé, c'est le Président qui a recours aux ordonnances pour tout ce qui pourrait susciter le moindre débat, alors qu'il est assuré de l'approbation finale du Parlement. La conduite des affaires du pays se réduit ainsi à une gestion, intermittente et privatisée, de velléités contradictoires.

Ignorer l'acuité des détresses matérielles et morales de la société, de ses impasses, de ses contradictions violentes, de ses anachronismes et de ses pesanteurs séculaires, de ses retards économiques, sociaux, techniques et scientifiques, revient pour le pouvoir à les perpétuer et a en aggraver les conséquences. La quête d'une identité apparemment perdue n'en sera que plus intolérante et suicidaire chez ceux qui y trouvent un refuge, illusoire, contre les défis incontournables du siècle et du monde alentour. La négation des dures réalités du pays et des conditions de vie des populations explique la futilité et le caractère anecdotique trop souvent, du discours politique officiel. Dans ces conditions, la seule perspective reste pour l'heure le statu quo. Sauf qu'il n'en est pas d'éternel. Des changements, en premier lieu d'ordre politique, n'en sont donc que plus indispensables et urgents. Aussi, importe-t-il de voir si les oppositions d'aspirations démocratiques, notamment, pourraient, elles, proposer dans les mois à venir, les changements crédibles que requièrent la situation du pays et celle de son système politique.

A suivre

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