Algérie

Et le tocsin sonna



A regarder de près cette incroyable goinfrerie de communiquer qui s'empare des Algériens, il y a, peut-être, de quoi entrevoir un des nombreux décodages à la crise multiforme qui tire tout le pays vers le bas. Parce que l'on dit aujourd'hui que si trois Algériens sur quatre n'ont pas les moyens de payer le loyer, l'électricité et le gaz, n'ont pas de quoi bouffer ni même passer un jour de vacances, sont tous «flanqués» d'un téléphone portable avec tout ce que cela suppose pour la grande «tchatche» tous azimuts. L'on dit aussi que l'Algérien de Oum Tboul comme celui du petit village «coincé» là-bas entre M'ghila et Tidda, passe au moins trois heures par jour (plus qu'il ne boulotte !) à parler au téléphone sans que personne ne trouve aucun mal à deviner sur quoi il pourrait bien «déblatérer» pendant tout ce temps gâché. L'Algérien, seul capable à se parler à lui-même, trouverait même le moyen de se rendre la vie facile au point de tout vouloir transformer en portatif: porter tout à la fois en bandoulière son poste TV, son frigo, son matelas à ressorts, son garde-manger, son bahut à chemises, ses chaussettes usées. Il voudrait même porter avec lui sa mère sur le dos et sa femme sur la tête. Et si c'est là notre «part» à nous, arrachée à ce que d'aucuns appellent les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), l'Algérien a un besoin irrépressible de parler, de dire tout, n'importe comment, à l'endroit, à l'envers, la bouche pleine, l'estomac vide, dans n'importe quelle langue, quelle position, avec tous les mots qui lui «transitent» par la tête. Il faut bien se convaincre que l'Algérien a une soif irrépressible de «se dire» à l'autre, de montrer sa langue fourchue à tous, son nez bien droit et ses pieds bien plats. Certains ont même leur manière propre de prouver leur vie aux autres comme ces jeunes épris d'une nouvelle mode, celle de badigeonner des graffitis partout sur les murs juste pour dire son sentiment à l'égard d'un être aimé, son fiel à en revendre, son rêve d'aller sur la lune, ou carrément son rejet total et violent d'une société qui le cloue au mur de toutes les incompréhensions. L'époustouflant succès des opérateurs de ce «machin parlant» en Algérie s'expliquerait aussi par ce «cas spécial» à nous autres Algériens, celui d'actionner son portable partout et nulle part, dans la rue, sur le toit d'un moulin à vent, coincé dans un bus ou un taxi, sous sa douche, au boulot, suspendu entre ciel et terre, juste pour demander qu'est-ce qui a à bouffer à midi, le film programmé pour la soirée, le temps qu'il fera demain la veille ou la date du prochain ramadhan. A nos autres incuries, quoi opposer que ce sésame incantatoire de «Allah Ghaleb», comme le président lui-même l'a «craché» à la face directe des Algériens. Ce pathétique tocsin sonné par le chef de l'Etat résonnant tel un aveu plus grand que l'horizon prouve, encore et toujours, toute l'impuissance d'un pays, une gigantesque machine en panne, à faire face à ses trop nombreuses ornières.


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