Algérie

Et le 17 mai n'eut pas lieu !



Il est, dans notre monde, des lois naturelles qui ne peuvent être ignorées. L'une d'entre elles est celle de la nécessité du changement. Or le changement tant attendu par les Algériens n'arrive pas, comme si le 17 mai n'avait pas eu lieu ! Si on ne change pas une équipe, c'est soit parce qu'elle gagne soit parce qu'on n'a pas avec quoi la remplacer. A voir comment le Président se plaignait publiquement de certains de ces ministres et à se rappeler la demande formulée et confirmée par Belkhadem, lui-même, de procéder à un remaniement ministériel, on est en droit de déclarer que l'équipe qui constitue l'exécutif, depuis bientôt quatre ans, est loin d'être performante. Reste alors la deuxième option qui signifierait que le Président n'a pas trouvé d'éléments valables pour former une nouvelle équipe. En d'autres termes, le système en place n'arrive plus à se reproduire ! Est-ce donc un aveu d'échec que cette reconduction du gouvernement ou est-ce plutôt une autre acrobatie inutile du système pour tenter de donner l'illusion que tout va pour le mieux ? L'abstention du 17 mai est un acte si fort que même lorsqu'on fait semblant de l'ignorer il se fait rappeler. Certes, chacun peut avoir la lecture qu'il peut de cette abstention mais de là à ce que chacun en fasse la lecture qu'il veut, il y a beaucoup de pas à faire. Dire que cette abstention n'a pas de portée politique est une erreur. Ne pas en tenir compte en est une autre, plus grande encore. La reconduction de la même équipe gouvernementale et du même organigramme ne plaide pas en faveur de l'adaptabilité à l'environnement économique, social et politique mondial. Dans le monde qui nous entoure pourtant, tout bouge, tout évolue, parfois même très vite alors que, accrochés aux perceptions qui ne nous ont menés nulle part jusque-là, nous plongeons la tête dans le sable, refusant délibérément d'améliorer les choses. NOTRE BILAN N'EST PAS TERRIBLE... La surexploitation irréfléchie du pétrole a hypothéqué l'avenir de nos enfants. Le nombre incroyable de concessionnaires de véhicules finance, grâce à la rente des hydrocarbures, la croissance des firmes étrangères et de pays autres que le nôtre. Les réformes mal menées (malmenées) dans le secteur bancaire ont abouti à une hémorragie des devises qui restent. L'enseignement se porte mal à tous les paliers, les entreprises cherchent ailleurs leurs gestionnaires, les jeunes se jettent carrément à la mer, la criminalité prend des formes de plus en plus inquiétantes, nos éléments valables ont plié bagage pour aller faire exploser leurs compétences sous d'autres cieux et faire le bonheur d'autres sociétés. Sait-on seulement combien cela fait mal de voir partir tout ce monde ? Et dire combien ils avaient hâte de revenir dans leur pays une fois leurs études terminées ! Sait-on aussi seulement que, dans les séminaires auxquels il a la chance de participer à l'étranger, l'enseignant universitaire algérien ne dit jamais son vrai salaire à ses collègues d'ailleurs, tellement il en a honte ! Les Tunisiens et les Marocains gagnent au moins deux fois plus que les nôtres alors qu'ils n'ont ni notre pétrole, ni notre littoral, ni l'étendue de notre territoire ! Il n'est pas terrible notre bilan ! Nous ne pouvions pas nous attendre à autre chose à partir du moment où le mépris de la connaissance et du savoir s'est érigé en valeur dans une société à laquelle on a enlevé tous les repères pour les remplacer par les totems de l'argent facile et du gain rapide. Et nous ne devions pas nous attendre à autre chose, non plus, à partir du moment où l'appartenance clanique, tribale et partisane est consacrée critère suprême de sélection et de recrutement des cadres. Que l'on se réveille donc de cette ivresse inexpliquée pour ouvrir grands les yeux sur une réalité incroyablement insupportable. Les budgets ne servent plus qu'à renouveler, chaque année que Dieu fait, le revêtement des trottoirs des centres-villes alors que les routes des quartiers demeurent éventrées et sans bitume. Nos restaurants sont des gargotes malsaines, nos cafés des crachoirs nauséabonds, nos cités des dortoirs tristes et repoussants, nos villes invivables, nos campagnes désertes, notre route hautement mortelle, nos enfants inconscients et irresponsables... Nos entreprises se débattant dans un environnement des plus stressants, n'hésitent pas à tenter l'ultime et inutile recours d'aller chercher ailleurs leurs managers, nos agences de voyages, encouragées pourtant dans le but de promouvoir le tourisme chez nous, se ruent pour promouvoir celui de nos voisins. Nos festivals tournent au mauvais folklore, nos séminaires à la mangeoire, nos rencontres aux disputes... Combien doit-attendre un employé pour retirer son maigre salaire du bureau de poste ? Et quelle acrobatie doit-il faire pour supporter ces chaînes humiliantes qui donnent l'impression de mendier ? Nous avons perdu la notion de service public lorsque nous ne l'avons pas détournée à d'autres choses. La télévision nous nargue avec des programmes plus creux que les discours des politiciens. Et, avec son incapacité mortelle à organiser des émissions et des débats honnêtes, elle nous oblige à aller voir ailleurs, même lorsqu'on n'en a pas envie. Il n'est vraiment pas terrible, notre bilan ! ET POURTANT ÇA CONTINUE DE PHILOSOPHER... Certains, qui n'ont pas encore perdu le goût de la philosophie et la promptitude aux caresses dans le sens du poil, parlent de développement durable, d'écologie, de démocratie et de toutes ces grandes et si belles choses dont nous ne connaissons que l'orthographe et les contours des noms. C'est à croire qu'il y a plusieurs Algérie, sinon comment expliquer qu'on ne parle pas de la même chose en parlant de notre pays ? A moins que l'on s'obstine à prendre l'ombre de l'arbre pour l'arbre lui-même, il est difficile de croire (et encore plus de faire croire) que notre problème est d'ordre écologique, économique ou sociologique. Le réflexe des apprentis sorciers n'est-il pas d'aller directement aux symptômes au lieu de chercher la raison des dysfonctionnements ? Boumediene avait dit un jour que « les peuples aujourd'hui ne cherchent pas le paradis le ventre creux », une sentence qui résume bien notre situation actuelle car le développement durable, cette autre chanson venue d'ailleurs et aussitôt adoptée par ceux, parmi nous, qui raffolent de la mode et des éphémérides, est une solution à des problèmes d'autrui. Qui a crevé la couche d'ozone ? Qui pollue les mers ? Qui pille les énergies non renouvelables des pays endormis ? Qui pousse à leur surexploitation ? Qui rend l'air irrespirable ? Qui refuse de signer les accords de Kyoto ? Qui sacrifie l'environnement pour le bien du roi-capital ? Qui délocalise les entreprises ? Qui a accaparé les richesses naturelles des pays pauvres pour les saccager sans compter ? L'intellectuel n'est certainement pas celui qui sait se saisir des idées des autres au vol et s'appliquer à en louer les vertus sans trop de conviction, mais plutôt celui qui réfléchit aux problèmes et, surtout, aux solutions de sa société dans toutes ses dimensions. L'Algérien est fatigué de ses faux intellectuels, comme de ses faux politiciens et de ses faux lendemains qui, jamais au rendez-vous, toujours fuyants, à l'image de Godot qui ne fait que repousser les échéances, ne commettent jamais l'erreur de pointer au registre des présents. Et lorsqu'ils le font c'est pour tromper les décideurs, pour les uns, avec des analyses orientées qui n'ont pour objectif que de plaire, tromper le citoyen, pour les autres, avec des promesses évanescentes et des discours qu'ils sont les seuls à écouter et à croire. Philosopher ? A quoi cela servira-t-il donc quand on sait qu'une partie du peuple crève la faim en 2007 ? Parler du développement durable ? Quelle est donc cette adéquation entre la performance économique et celle écologique que nous tenterions de préserver ? Nos entreprises n'ont pas de performance et les externalités négatives sont encore non significatives sur notre environnement. Nos problèmes sont plus terre à terre ! Ce sont les problèmes du pain quotidien, de l'éducation insuffisante que reçoivent nos enfants et qui ne les arme point pour se nourrir demain, ceux des diplômes dévalorisés à l'extrême qui ne servent à rien, ceux des parents qui tremblent au moindre retard de leurs enfants, celui du père dont on agresse la fille, du mari dont on agresse la femme, des enfants dont on agresse le père sous le soleil de l'Algérie indépendante et riche. Parler autrement c'est induire son monde en erreur. C'est mauvais conseil donner à ceux qui écoutent et, surtout, ceux qui sont censés faire quelque chose ! C'est vrai que ce ne sont pas les conseillers qui trinquent après coup, mais un peu de retenue messieurs, nous parlons de notre pays tout de même et de notre société ! Gardons la théorie pour nos étudiants, et à bon escient, et faisons grâce aux citoyens de ces développements trop abstraits par lesquels nous voulons toujours avoir raison mais qui finissent par nous donner l'air de débarquer d'autres planètes ! Il est là, l'Algérien. Coincé entre un passé qui ne finit pas de se conjuguer au présent et un présent qui échappe à la concordance des temps. Il est là, à regarder le kiwi, la mangue, l'ananas, l'avocat et tous les fruits exotiques ramenés du bout du monde sans pouvoir se payer un kilo de la pomme de terre qui ne finit pas de grimper comme pour narguer les mille et un programmes de développement de l'agriculture et les autant de fonds qui lui ont été consacrés. L'Algérien craint qu'arrive le jour où il ne pourrait rentrer avec une baguette de pain sans se faire agresser pour se la faire prendre par plus affamé. L'Algérien a peur des lendemains terribles qui s'annoncent après une stratégie basée sur le biberon des hydrocarbures. Sans compétences, nous n'aurons ni la croissance ni la productivité qui nous permettront de... manger. Il est loin de notre préoccupation réelle le développement durable, il est trop loin. A quoi donc philosopher ?! Nous avons réalisé le triste record de rater tous les rendez-vous avec l'histoire. Et nous avons opté pour l'incroyable manie de toujours arriver en retard par rapport à nos propres ambitions pour n'en constater que la désuétude. Faute de perspicacité, de réflexe et, souvent, de bon sens, nous avons passé cinquante ans d'indépendance à aller et venir dans les sillons d'une hésitation tuante, alors que nos voisins, beaucoup plus pauvres et presque sans ressources, n'ont eu de cesse que de progresser sur tous les plans. Certes ceux qui ont conduit le pays ont une grande responsabilité dans une telle situation, mais ceux, parmi les vendeurs d'illusions, qui les ont conseillés en ont aussi la leur. Y a-t-il matière à philosopher après tout cela ? UN PEU DE BON SENS ! Nous étions bien partis pourtant après l'indépendance pour construire ensemble un pays grandiose, une économie florissante, une société saine et équilibrée. Nous n'avions certes pas tous les ingrédients pour cela, mais nous en avions, tout de même, les plus importants : la conscience, les valeurs et... le rêve. Aujourd'hui même ces ingrédients nous font défaut. Nous n'avons plus rien. Inconscients, sans valeurs ni repères et interdits de rêve, nous vivotons au jour le jour, au gré de notre peur du lendemain et des humeurs désarçonnantes de ceux qui se découvrent des métiers dans la politique. Notre pays, resté sans attractivité pour les investissements étrangers, n'intéresse que les pilleurs de ses ressources naturelles. Même les fabricants de voitures, qui nous vendent des véhicules bons pour... le contrôle technique, refusent d'investir ne serait-ce que dans certaines activités. Nos partenaires, qui se méfient de notre comportement, ne guettent que l'opportunité de nous prendre la rente pétrolière sous une autre forme. N'y a-t-il pas, enfin, un peu de bon sens dans ce pays pour faire prendre conscience du mal que nous sommes en train de nous faire et, surtout, de faire à nos enfants et aux générations futures ? 


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