58 ans après les essais nucléaires de In Ekker et de Reggane, les victimes lancent encore des cris de détresse. L'Algérie dit avoir enfin ficelé ce dossier qui reste une priorité majeure. DébriefA 73 ans passés, Hadj Mohamed Fnoufnou Ben Bilal Hirafak n'est guère en grande forme : douleurs abdominales persistantes, genoux ankylosés, incontinence urinaire, difficultés à rester debout, une santé qui périclite malgré une volonté de fer qui le maintient en activité et le pousse chaque jour à entretenir son jardin à Ideless, 200 km de Tamanrasset.
Par rapport à ses anciens camarades de travail, Fnoufnou s'estime heureux : «Nous étions plus d'un millier, moins d'une centaine sont en vie et encore, ils souffrent tous de maladies incurables et se sont éteints les uns après les autres dans l'indifférence totale. Ils sont partis trop tôt, qui d'un pic de tension, qui d'une toux persistante qu'on n'a pas su traiter, d'autres ont vu leur corps faiblir du jour au lendemain pour disparaître sans diagnostic précis et n'ont jamais pu constituer de dossier administratif complet, selon les exigences de proximité, prouvant leur présence dans un rayon de 100 km des lieux des essais, selon le texte de loi français.»
Ouvrier câbleur à l'âge de 15 ans, il se rappelle avoir passé son premier carême sur le chantier. «Quatre sociétés ?uvraient ici, j'ai travaillé de 1961 jusqu'en 1966, hormis les 9 mois de service militaire après l'indépendance, je n'ai pratiquement pas quitté les lieux.» Ce père de 13 enfants a été interpellé par la petite santé de sa fille Lalla : «Elle n'était pas franchement malade mais plutôt chétive et ses enfants lui ressemblent, c'est elle qui a un enfant handicapé, le premier dans notre famille.»
Fnoufnou ne doute pas un seul instant que la radioactivité des lieux soit mise en cause dans ses problèmes de santé et ceux de sa fille. D'où son adhésion d'abord comme témoin, puis comme membre à part entière à l'association Taourirt des victimes des essais nucléaires dans l'Ahaggar. Le combat sera long, Hadj Mahmoud Waer, son président en est convaincu. Il déplore que le dossier des indemnisations stagne et reste porté par les associations de la société civile et les chercheurs.
Pour lui, «les retombées nucléaires radioactives des essais aériens et souterrains réalisés par la France dans le Sahara algérien n'ont épargné personne, ni l'humain, ni la faune, ni la flore. Au-delà de l'Algérie, toute l'Afrique du Nord et le sub-sahara ont été victimes d'une politique nucléaire dont la France nie la responsabilité et les séquelles». Pour le président de Taourirt, une association qui active depuis 2011 et qui a organisé la rencontre internationale de 2014, «la reconnaissance par la France du statut de victimes à environ 500 ouvriers de la région recensés par l'association est la priorité de l'association».
A ciel ouvert
Un inventaire sommaire et préliminaire qui n'englobe pas toutes les victimes mais seulement les ouvriers rescapés des essais, selon Hadj Mahmoud, qui estime à 35 sites les zones concernées par les retombées qu'il observe chaque jour sur ses chameaux, l'acacia, arbre emblématique du Hoggar et surtout l'eau contaminée qui continue à faire des victimes parmi les femmes enceintes, les nouveau-nés et les éleveurs en transhumance, explique-t-il.
Des effets dévastateurs sur l'humain et l'écosystème qui persisteront pour des centaines d'années et que la France nie toujours. «Du 7 novembre 1961 à fin février 1966, cinq explosions ont été recensées, ils sont encore restés pour évacuer les lieux mais aucun curage n'a été effectué, contrairement aux mêmes sites en Polynésie française», déplore Hadj Mahmoud. Un site nucléaire à ciel ouvert, quiconque peut y accéder ne se doutant de rien, contrairement à la Polynésie, où le site a été curé, assiégé et doté d'un observatoire sophistiqué qui suit l'évolution des maladies et les atteintes à l'environnement.
Une des recommandations du colloque de mai 2014 soulignait la persistance à designer l'opération «Béryl» d'événement nucléaire, comble du déni, selon le président de Taourirt qui estime que les essais faisaient partie intégrante du programme nucléaire française.
Et alors même qu'il dénonce la classification d'une vingtaine de maladies engendrées par les radiations nucléaires par la loi Morin au moment où une quarantaine sont répertoriées par l'OMS, notre interlocuteur interpelle les autorités algériennes sur l'inexistence d'inventaire sur les fausses couches, la cécité en recrudescence, les maladies rares, les déformations encéphaliques devenues très courantes et surtout la négligence du traitement des réserves souterraines d'eau résolument contaminées.
Pour le mouvement associatif, au-delà de la santé humaine en dégradation, le chameau du Hoggar qui vivait plus de 50 ans a désormais une espérance de vie de moins de 20 ans et les oiseaux ne sont plus aussi nombreux qu'avant. La cartographie divulguée par la presse française a levé le voile sur des certitudes exprimées depuis plus d'un demi-siècle par les habitants, mais que personne n'écoutait.
«pollen»
Pour Hadj Mahmoud, «nous savions qu'à Hamoudia, dans la wilaya d'Adrar, toute la zone a été couverte par le nuage nucléaire, quelques jours après, ce fut tout In Salah dans le Tidikelt puis Tamanrasset, avant d'arriver le 17e jour à Ouargla, puis Alger, l'Espagne». Dans le cadre du travail mémoriel effectué par l'association Taourirt, les témoignages recueillis mettent au jour cinq autres essais au plutonium encore plus graves en conséquences, effectués entre 1964 et 1966 sous l'appellation «Pollen».
«C'est comme pour mieux nous polluer et dire qu'on ne nous reconnaît même pas le droit d'exister en tant que victimes avec cette loi Morin», s'insurge Hadj Mahmoud qui estime que la France a pollué le Sahara pour les milliers d'années à venir, dont 240 siècles pour le seul site de Taourirt. Depuis la constitution de l'association, un travail de suivi de l'évolution du nombre des victimes et de dépôt des demandes d'indemnisation a été fait.
Pour ces témoins oculaires encore en vie, une question persiste sur l'offre de l'ambassadeur du Japon qui avait proposé en 2016 l'aide de son pays pour la décontamination des zones irradiées dans le Grand-Sud de l'Algérie, pour les rendre vivables. Pour Djamel Eddine Miaadi, directeur du Centre national d'études et de recherche sur le Mouvement national d'Alger, «outre le dossier de rapatriement des crânes des résistants algériens, le dossier des indemnisations des victimes des essais nucléaires est un vraie priorité pou l'Algérie qui a préparé un dossier bien ficelé avec plusieurs commissions chargées des différents aspects sanitaires et juridiques, entre autres».
Miaadi affirme que sur les 782 dossiers d'indemnisation déposés à ce jour par les associations de victimes à titre individuel ou collectifs, seuls 34 ont été étudiés et restent sans réponse. Pour lui, la loi Morin a mis des conditions impossibles à réunir au mépris des victimes et du bon sens, les victimes de cancers contractés après 1967, jugées non concernées par cette loi sous prétexte que la France a quitté les lieux, fermé les zones avec du béton armé et procédé au nettoyage des lieux, est un déni des responsabilités de la France coloniale.
Le directeur du CNERMN est convaincu que le dossier restera ouvert de par la mobilisation en Algérie et à l'étranger, même si beaucoup de victimes sont décédées. «Les ayants droit portent le flambeau et le dossier ne tombera pas sous la prescription», estime-t-il. Pour l'heure, les deux cimetières à Mertoutek témoignent en silence des 70 décès directs survenus après les essais. «La France sait qu'elle nous a fait tant de mal, l'être humain, la terre et même les animaux sauvages en témoignent», dénonce Fnoufnou.
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Posté Le : 16/02/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Houria Alioua
Source : www.elwatan.com