Algérie

Essais nucléaires français dans le Sud algérien: Un crime d'Etat


Le président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et du développement de la recherche, Forem, le professeur Mostapha Khiati, estime qu'«en demandant à la France de dénucléariser les zones contaminées et prendre en charge les soins médicaux des Algériens irradiés, le président de la République s'est inscrit dans la légalité internationale».C'est en référence au traité international sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) que l'ONU a adopté en 2017 que le professeur Khiati a fait cette observation. Le président de la Forem rappelle ainsi que «même si la France n'a pas signé le traité, il lui est contraignant parce qu'une majorité de pays dans le monde l'a fait». Il note ainsi que le TIAN stipule l'obligation de «fournir une assistance aux victimes de l'utilisation ou de la mise à l'essai d'armes nucléaires ou d'?uvrer à l'assainissement de l'environnement dans les zones contaminées». Le professeur Mostapha Khiati a été sollicité pour réagir aux propos du président de la République parus dans l'interview qu'il a accordée à un quotidien français fin décembre dernier. Khiati sait de quoi il s'agit parce qu'il a traité du drame des essais nucléaires, entre autres, dans un livre sorti en 2018 sous le titre «Irradiés algériens, un crime d'Etat». Professeur en pédiatrie, médecin-chercheur, Khiati note que «le livre fait suite à un intérêt qui dure depuis une quinzaine, voire une vingtaine d'années, d'abord parce que nous avons été interpellés en tant que Forem par les irradiés dans notre Sud, chaque fois qu'on partait dans ces zones, il y avait des malades qui venaient nous voir, des cancéreux, des personnes portant des anomalies, des problèmes de santé». Il fait part de «plusieurs campagnes sanitaires qu'on a menées au niveau de Reggane, une campagne de cataracte qui a touché une cinquantaine de personnes, il y a 5 ou 6 ans...». Et comme, dit-il, «on est en contact avec le ministère des Moudjahine, on a participé au séminaire international sur les essais nucléaires qu'il a organisé à Alger en 2010 et qui a été une révélation pour beaucoup de monde parce que beaucoup ne pensaient pas qu'il y avait des problèmes de santé causés par ces essais nucléaires».
Des essais qui continuent de contaminer des Algériens à ce jour puisque «nous sommes à trois générations», affirme le président de la Forem. «Au début, on pensait qu'avec le temps, les choses allaient s'estomper» mais, indique-t-il, «comme on le sait, les Français ont utilisé le plutonium qu'on considère comme le plus sale des produits parce qu'il a une durée de vie de 24.000 ans».
Des radiations qui s'étendent sur... 24.000 ans
Il se réfère à «une importante étude américaine faite sur 40.000 enfants issus des victimes d'Hiroshima qui n'a pas montré une grande différence dans les anomalies génétiques observées chez les enfants de la 1ère génération». Pour souligner : «mais on a vite déchanté parce qu'on a observé des anomalies sur la 2ème et surtout la 3ème génération, ce qu'on appelle une transmission en saute-mouton, c'est-à-dire qu'à la 3ème génération, il y a eu beaucoup plus de cas d'anomalies génétiques notamment des anomalies chromosomiques que chez les enfants dont les parents ont été exposés à Hiroshima». Il note que «ces chercheurs n'ont parlé que de certaines anomalies, chromosomiques et mitotiques (au niveau de la division cellulaire), mais rien ne dit que l'avenir ne nous réserve pas d'autres surprises». Le Pr en pédiatrie affirme que «chez nous, dans les chiffres habituels, 1 à 2% des enfants sont touchés par des anomalies congénitales à la naissance mais apparemment dans les régions contaminées, c'est beaucoup plus». Il regrette que «jusqu'à aujourd'hui, il n'y a pas eu l'étude épidémiologie qu'on demande depuis des années, pour avoir une idée précise. Il faut faire ce genre d'études, c'est d'ailleurs une des recommandations que j'ai faite dans mon livre». Le médecin-chercheur relate des faits effrayants sur l'histoire scabreuse des essais nucléaires français en Algérie. «Les Français ont mené dans le Sahara des expérience sur la réactivité de différentes substances, différents métaux aux rayonnements ioniques, ils ont ramené à Reggane des blindés, des avions et autres matériels pour tester la résistance à une attaque nucléaire». Il rappelle qu' «il y a eu 13 essais souterrains et 5 essais atmosphériques de 1960 à 1966».
«Les Français n'ont jamais laissé de documents»
Pour le 2ème essai atmosphérique à Reggane, «les Français ont ramené près de 150 prisonniers qu'ils ont placés, attachés, à différentes distances du point zéro pour voir les effets des substances nucléaires», dit-il. «C'est au nom de la loi française de 2008 (la loi Morin) qui interdit l'accès aux archives sur le nucléaire que l'Algérie n'a pu avoir jusqu'à aujourd'hui aucun chiffre précis sur les victimes de ces essais, sur les morts, les contaminés...», a-t-il regretté. Khiati fait savoir encore que «les Français ont même fait avancer un régiment presque au point zéro et la plupart des militaires français de ce régiment ont eu des cancers et autres maladies, ils se sont regroupés dans une association, ont poursuivi en justice l'Etat français et ont eu gain de cause». Les Algériens, eux, ne peuvent pas le faire parce que, dit-il, « la loi Morin exige des irradiés qui demandent réparation de prouver qu'ils étaient sur place, au moment des essais nucléaires, ce qui est ridicule». D'autant, dit-il, que «les Français n'ont jamais laissé de documents. Même les gens qu'ils ont ramenés pour faire le travail ont été payés cash après qu'ils aient signé des papiers qui ont été pris tout autant que les dossiers médicaux, les radios réalisées chez les gens de la région, les Français ont tout pris avec eux». Plus grave, estime-t-il, «l'Algérie n'avait pas de médecins à l'époque, et la France a proposé d'envoyer des médecins militaires qui sont restés à Reggane jusqu'à 1975 et ont tout remballé avec eux». Le professeur Khiati recommande que «la France ouvre les archives pour qu'on ait les listes des Algériens qui ont été utilisés dans ces essais, ceux qui étaient au niveau de l'hôpital, qui ont été consultés, examinés». Pour lui, «tout existe dans les archives mais rien n'a été laissé en Algérie, aucun Algérien n'a été indemnisé à ce jour». La France a, indique-t-il, indemnisé «quelques personnes qui ont été contaminées dans des territoires français d'outre-mer», en Polynésie par exemple aux autorités desquelles elle a remis les cartes qu'il faut en 2006. «Elle peut et doit le faire avec l'Algérie,» affirme-t-il.
«Au nom de la justice»
Autre possibilité, «j'ai demandé qu'il y ait la constitution d'un collectif d'avocats qui puisse suivre cette affaire. C'est d'ailleurs ce qu'a demandé Me Benbraham», dit Khiati. Il faut, recommande-t-il, «constituer des dossiers et aller vers la Cour de justice internationale ou vers la Cour de justice européenne». Il faut, réclame-t-il, «délimiter les zones de rayonnement, parce qu'«on ne sait pas jusqu'où arrivent les radiations». Pour ce qui est des prises en charge des soins médicaux, le médecin-chercheur fait savoir que «j'ai demandé dans mon livre qu'il y ait au moins un centre de diagnostic et de traitement au niveau de Tamanrasset et un autre au niveau d'Adrar pour la prise en charge des malades mais encore une fois, j'insiste, il faut qu'il y ait en premier une étude épidémiologique pour s'assurer des types d'anomalies qui sont liées aux radiations, les cancers de la thyroïde sont par exemple plus fréquents au Sud, on peut donc penser qu'il y a une relation directe avec les radiations...». L'autre point important, qui est éthique, selon lui, «c'est le problème de ces 100.000 tonnes ou plus de matériels irradiés qui ont été enfouis, ou juste recouverts de sable à la va-vite, et abandonnés dans ces régions. Les Français refusent de donner à l'Algérie la carte de ces lieux dont les habitants tombent sur du matériel irradié qu'ils déterrent parce qu'ils cherchent du cuivre»... Aux Français qui ont dit que «c'était un désert», dans un dictionnaire de 1954, affirme Khiati, «j'ai relevé que dans ces zones, il y avait 700.000 habitants». La nécessité d'une étude épidémiologique, le problème des cartes, l'atteinte de l'environnement, sont, dit-il, importants «pour pouvoir entreprendre des démarches».