Alors que l’imprimerie Mauguin de Blida vient de célébrer ses 150 ans d’existence, incarnant ainsi une longue tradition graphique, les Editions du Tell qui lui sont attachées poursuivent leur collection consacrée aux romanciers et poètes.
On devait le premier, publié l’an dernier, à Christiane Chaulet-Achour qui avait consacré à son ancien professeur à la Faculté d’Alger, Jamel-Eddine Bencheikh, un ouvrage de référence qui permettait de pénétrer plus aisément l’œuvre et les contributions diverses de ce grand poète et immense érudit, injustement considéré parce que souvent ses productions, exigeantes, étaient considérées comme hermétiques. Intitulé Polygraphies pour exprimer tous les registres d’écriture de l’auteur décédé en 2005, l’essai avait préfiguré la collection et son objectif, celui de fournir justement des clés à l’approche des textes littéraires et des écrivains.
Trois nouveaux titres viennent donc enraciner la collection dans le catalogue de l’éditeur et sur les étals des librairies. Il s’agit de Jules Roy, le céleste insoumis de José Lenzini, Emmanuel Roblès, une œuvre, une action de Guy Dugas et enfin, Maïssa Bey, l’écriture des silences de Bouba Mohammedi Tabti. Né en 1907 et décédé en 2000, Jules Roy, enfant de Rovigo (aujourd’hui Sidi Moussa), a eu une vie riche et mouvementée qui ne l’a pas empêché de produire une œuvre riche et diverse : trois romans dont le fameux Les Chevaux du soleil, une vingtaine de récits, un journal en trois tomes, une dizaine d’essais, des recueils de poèmes, des pièces de théâtre, etc. José Lenzini qui le présente est né à Sétif et enseigne le journalisme à Marseille.
Il le rend bien d’ailleurs, présentant toutes les facettes d’un auteur et d’un baroudeur, aviateur de guerre aux positions toujours étonnantes. Un type entier, dirait-on, si entier qu’il fut pétainiste ce qu’il regrettera, et partisan de l’indépendance de l’Algérie ce qu’il ne reniera jamais. Il conclut son livre La guerre d’Algérie (Ed. Julliard. Paris 1960) par ces mots violents : « Si un jour, dans le collimateur de vos chars ou de vos avions, vous distinguez parmi les ratons en guenilles un grand bâtard de votre race aux cheveux blancs, ce sera moi. N’hésitez pas. Appuyez sur les boutons de feu de vos mitrailleuses. »
Il ne rejoindra pas les maquis de l’ALN mais continua, seul, à défendre l’indépendance de l’Algérie. Nous reviendrons prochainement dans Arts & Lettres sur cet auteur attachant dont c’est le centenaire de la naissance.
Autre écrivain né en Algérie, Emmanuel Roblès (Oran 1914-Paris 1995) est aussi prolifique que Jules Roy : 20 romans, une dizaine de recueils de nouvelles, une douzaine de pièces de théâtre comiques ou dramatiques et une quantité d’autres publications, sans compter le journalisme, une activité de critique littéraire à Radio-Alger, mais encore de scénariste auprès de réalisateurs prestigieux tels que Buñuel ou Visconti… Comme si le soleil du pays avait inoculé dans l’esprit de ces hommes une lumineuse frénésie d’écrire.
Guy Dugas, qui présente son œuvre et sa vie, est professeur de littérature à l’université de Montpellier a, de plus, l’avantage d’avoir connu de près l’auteur au sein de l’Académie Goncourt. Ami de Camus, Emmanuel Roblès eut une approche sans doute différente de l’Algérie dans son œuvre. Guy Dugas souligne ainsi comment, au contraire par exemple de l’Arabe dans L’Etranger de Camus, il créa sans doute dans « Les hauteurs de la ville » (Prix Femina 1948) le premier héros positif « indigène ». L’examen de la thématique de Roblès est l’occasion d’une découverte assez précise de ses visions et idées : les injustices coloniales, la guerre, Dieu, la mort, les labyrinthes, les femmes et l’amour aussi, à propos desquels il a écrit cette si belle phrase : « Il n’y aurait plus de guerre si les hommes aimaient les femmes comme elles doivent être aimées. »
L’essai sur Maïssa Bey accorde justement une grande place aux femmes, du fait de l’expérience de l’écrivaine, source première de son écriture, et sans doute par le fait que Bouba Mohammedi Tabti, enseignante de français à l’Université d’Alger, travaille particulièrement sur les écritures féminines francophones. Elle signale ainsi comment dans l’œuvre de Maïssa Bey, née en 1950, « en dehors des pères, il n’y a pas beaucoup d’hommes dans l’œuvre ». Mais Bouba Mohammedi Tabti ne se contente pas de ce thème et de la « communication brouillée » entre hommes et femmes de notre société.
Elle investit l’ensemble de l’œuvre de Maïssa Bey, au plan du contenu et de la forme, mettant en valeur une écriture travaillée « loin des facilités et des pièges du pathétique ». La collection « Auteurs d’hier et d’aujourd’hui » des Editions du Tell est bien partie pour devenir, non seulement une source de référence pour les étudiants, enseignants et chercheurs, mais hors ces catégories, tous les amoureux des lettres auraient tort de se priver de ces moyens de découvertes, en maints endroits plaisants.
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Posté Le : 05/07/2007
Posté par : nassima-v
Ecrit par : A. F.
Source : www.elwatan.com